vendredi 14 mars 2025

"New Report on Giving Birt" : Wen Hui:f Quatre filles "uniques" dans Levant qui empire au soleil

 


Wen Hui
Living Dance Studio Chine 4 interprètes création 2023

New Report on Giving Birth

Co-fondatrice du Living dance Studio – première compagnie artistique indépendante chinoise, avec le réalisateur de documentaires Wu Wenguang –, à Pékin en 1995, Wen Hui danse, filme et archive le réel. Après I am 60, qui faisait revivre la créativité saisissante du cinéma féminin des années 1930 en mêlant ses combats à ceux d’aujourd’hui, elle reprend le flambeau du droit des femmes à disposer de leur propre corps. En 1999, la chorégraphe s’intéressait aux expériences d’accouchement de ses compatriotes (Report on Giving Birth). Un quart de siècle plus tard, elle poursuit sa critique de l’interventionnisme de l’empire du milieu qui, après avoir imposé la doctrine de l’enfant unique durant deux décennies, enjoint par la discrimination une natalité forte face au vieillissement de sa population. Interviews, documents sonores et vidéos servent de socle à une pièce montrant comment l’intime est politique. Quatre danseuses d’origines et de générations variées composent en direct une mosaïque de résistance au féminin.


Baluchons, fardeaux,ballots sur la tête, sur le ventre, comme autant de charges pour ces quatre femmes qui peu à peu investissent le plateau. Quatre interprètes d'âges différents dont Wen Huit qui crève l'écran tant son habilité gestuelle, sa souplesse et son allant sont de mise. Souffrance ou plaisir de porter un enfant, des souvenirs lourds de conséquence ou quoi d'autre qui saurait alourdir un destin, une vie de femme en Chine ou ailleurs. Vêtues sobrement, tuniques et short elles déclinent une gestuelle, fluide et puissante. L'une d'elle est tranchante comme sous l'effet de la colère. 


Un jeu de méli-mélo ou pêle-mêle transpose les différentes postures et attitudes sociales de la femme en général. Jeu subtil d'images qui changent alors que jambes et pieds surgissent derrière ce petit écran tendu comme sur un fil à linge. Plus tard c'est une immense toile qui se déploie. Tissées de carreaux où fleurs et tiges sont dessinées à l'orientale. 


Elles évoluent sur cette nouvelle piste alors que l'une d'entre elles tire le tissus pour en faire une rampe, une cascade enrobante et sécurisante. Bercements, balancements évoquent la maternité avec sensiblité, douceur. Des intermèdes fulgurants étayent le rythme de la pièce: joie et jubilation non dissimulées pour ces quatre femmes qui se racontent aussi par le verbe. Wen Hui vient à nous au devant de la scène et nous conte le vécu des femmes, les temps obscurs de l'enfant unique en Chine. Alors qu'à contrario aujourd'hui des trafics d'humains les enferment pour les faire accoucher de huit enfants au moins..Redoutable sort..Les baluchons deviennent objets de bataille de polochons radieux et nos femmes solaires se débattent avec hargne et fougue dans ce magma historique désastreux pour les corps  agressés, violentés. Quatre têtes tombent des cintres, images surdimentionnées des visages de nos heroines. Un beau travail vidéographique accompagne le spectacle: les baluchons deviennent sujet de reflets d'images à la Tony Oursler....

tony oursler


Et la danse de reprendre le dessus, enflammée, vive, habitée, du sol à l'espace aérien, de courses à petits pas comptés.Wen Hui accouche ici une pièce loin d'être embryonnaire et expulse une énergie au forceps qui touche et interroge notre rapport au corps féminin, politique et sociétal au plus profond d'une hystérie utérine joyeuse cependant qui propulse le propos bien plus loin qu'un simple manifeste de circonstance prosélytique. 
 

Au final c'est un joyeux déjeuner sur l'herbe sur fond de tentures toujours sur le fil à linge des travailleuses qui se termine en toute joyeuseté et bonhommie: il y a  de l'espoir dans le combat solidaire des générations de femmes bafouées.


Au Maillon jusqu'au15  Mars en coréalisation avec Pole Sud

jeudi 13 mars 2025

"Reconstitution" : Le procès de Bobigny , Émilie Rousset et Maya Boquet : guerrirères pour un chemin de croix en douze stations édifiantes

 


Reconstitution : Le procès de Bobigny
, Émilie Rousset et Maya Boquet

Automne 1972 : au tribunal de Bobigny comparaissent devant les juges Marie-Claire Chevalier, jeune fille de 16 ans, ayant choisi d’avorter après avoir été violée, et sa mère. Elles sont défendues par la célèbre avocate Gisèle Halimi, dans un procès devenu historique. Quelque 50 ans plus tard, Émilie Rousset et Maya Boquet se saisissent de cet évènement : pas de procès théâtralisé ici, mais un dispositif inédit fondé sur l’expérience intime de l’écoute. Sur douze postes répartis dans l’espace, entre lesquels les spectateur·rices se déplacent sur le grand plateau, les comédien·nes prêtent leur voix aux témoins d’hier et d’aujourd’hui. Une démarche originale, fondée sur la liberté de chacun·e à mener son propre chemin de compréhension et découvrir ce moment qui mit la question des droits des femmes au cœur du débat public. Une restitution actualisée, qui fait écho aux enjeux du présent sur l’avortement, entre reconnaissance constitutionnelle et remise en cause.
 

Surtout ne vous attendez pas à une reconstitution classique moulée à la louche d'un procès phare, ni à des épisodes d'audience commune des  plaidoiries, jugements, coups de théâtre et autres gadgets de mise en scène spectaculaire.. Alors ouvrez grand les oreilles et choisissez d'emblée votre première étape, au choix ou au hasard :un poste d'écoute parmi les douze propositions de jeu-lecture-conférence: comme les douze stations de la bible où efforts et concentration sont de mise pour épouser ce projet ambitieux: rendre justice à ce fameux procès en conviant témoignages, discours, pamphlets et réflexions politiques, philosophiques et sociologiques.En cercle, casques sur les oreilles, assis, les spectateurs bénéficient d'un subtil jeu de proximité de 15 acteurs-comédiens qui vont alterner les rôles, même sur un même sujet. Aussi pourrez vous suivre un interprète pour plusieurs tableaux ou tenter d'en fréquenter au moins de 8 à 12 selon le temps imparti de cette "représentation" et ouverture requise pour une écoute partagée d'une grande efficacité participative inédite. Les brouhahas et murmures entre les changements de poste et de séquence font de ce plateau de plain-pied une ruche bruissante où les échanges sont possibles. En avant pour un rendez-vous marathon avec Marielle Issartel, chef-monteuse et réalisatrice, auteure d'un film sur l'avortement: témoignages brûlants autant que comiques sur la facture d'un documentaire coup de poing qui fera date pour un tour de France clandestin Une réalité inédite qui vous entraine dans l'actualité du moment comme une porte ouverte sur le style et les intentions des autrices-metteuses en scène:Emilie Rousset et Maya Boquet s'y collent avec justesse, franchise et authenticité irréprochable. Ce sont les sources et la genèse de ce procès, de cette question phare du XXème siècle qui sont ici soulevées plutôt qu'une mise en scène cinématographique, documentaire ou interviews. Et c'est cela qui fait mouche et touche. 
 

Chaque comédien incarnant personnage, discours ou note d'intention liés au procès. On apprend plein de détails inédits, d'anecdotes et l'on rencontre et côtoie Camille Froidevaux-Metterie qui expose l'histoire de l'avortement et ses politiques changeantes.Claude Servant Schreiber et bien d'autres selon la disponibilité des groupes et le timing imparti. C'est l'histoire du planning familial, du MLAC, de tous les combats de proximité pour tenter de maintenir des conditions décentes d'avortement malgré les différences sociales des concernées. Femmes "concernées" qui choisissent leur vie et disposent de leur corps! Manifestes, aveux, déclaration, théories ou témoignages, le voyage d'un poste à l'autre est haletant et l'on quitte Delphine Seyrig ou Françoise Fabian, les privilégiées qui partent avorter à l'étranger pour retrouver quelques hommes : René Frydman, Jean Yves Le Naour...
 

Alors encore  un bon cours de Sciences Politiques ou d'ENA et vous pourrez intégrer l'Assemblée Nationale, le Parlement pour peaufiner votre connaissances sur le sujet. Simone de Beauvoir bien remise à sa place entre autre dans ce combat fraternel où les hommes d'aujourd'hui pourront aussi se faire une place. Une expérience immersive au coeur d'un fait de société qui concerne soignants et patientes pour réfléchir et infléchir des situations décryptées avec tac, humanité, humour aussi, à l'envi.Un chemin de croix salvateur et constructif pour une résurrection des corps féminins en toute objectivité. Femmes et toutes autres identités en figure de proue civiques et égalitaires..Laïcisme en leitmotiv et sans slogan ni prosélytisme. Du grand art sans écueil ni faille où la réflexion s'immisce toujours dans la diversité des choix et postures.Le tout encadré par les photographies mouvantes, images vidéo, effigies de corps sculptés dénudés dignes du statuaire du Jardin du Luxembourg: feuilles de vignes et autres attributs phalliques en tête de gondole.Un théâtre politique non embryonnaire.
 
Au Maillon jusqu'au 14 Mars
 
Dans le cadre de Temps fort Corps politiques 12 mars – 4 avril

mercredi 12 mars 2025

"Le Rendez-vous" à ne pas rater.... Katharina Volckmer, Jonathan Capdevielle, Nadia Lauro et Camille Cottin ne posent pas de lapin !

 


Vous voulez vous libérer de vos « intrusive thoughts » ? Laissez vos tabous et votre bienséance à la porte du Dr Seligman et prenez rendez-vous.
 


A Londres, une jeune femme allemande observe le crâne dégarni du Dr Seligman en train de l’ausculter. Exilée dans son corps, exilée au Royaume-Uni, elle entreprend de raconter sa transition et de conjurer le silence grâce au rire. C’est le point de départ explosif du Rendez-vous, adaptation du roman de Katharina Volckmer dont Camille Cottin a décidé de s’emparer pour la scène. Plongé·es dans un monologue dont on jubile qu’il ne soit pas resté intérieur, on progresse dans le flux de conscience de cette patiente qui déverse ses fantasmes et ses obsessions : sa fascination pour un créateur japonais de sex-toys, les séances avec son psy Jason, des écureuils comestibles, le pyjama du Führer, une mère envahissante… Le texte flirte avec toutes les lignes rouges de notre société pour explorer la culpabilité allemande, la question du genre, l’asservissement de nos corps et le danger des tabous érigés en barrières morales.


Elle campe un personnage haut en couleur dans ce solo, monologue fameux: c'est Camille Cottin qui s'y frotte avec brio, passion et moultes qualités de jeu dont elle a le secret: variations, contrastes et facéties remarquables. Le corps d'emblée absent dans un prologue dans le noir où seule sa voix émerge et touche déjà. A l'aveugle on la discerne dans des contours sonores qui bientôt se feront chair et sang. Vêtue curieusement d'une couche veste-short dissimulant des collants rouges. C'est un dispositif gigantesque qui la dissimule d'abord. Immense rideau pourpre-violacé comme la couleur œcuménique (Dans la liturgie, le violet est la couleur des temps de pénitence (Avent et Carême) ; on l'utilise aussi pour les célébrations pénitentielles, ainsi que pour les offices des défunts). Couleur liturgique qui évoque le sang ou le feu.) Au sol des plis fabuleux comme autant de vagues se déroulent: un paysage en palimpseste, en strates qui évoquent sans doute les plis et contre-plis de la mémoire, de la psyché. Car ce corps qui apparait tronqué est suspect de mort ou de sommeil. A la Robert Gober, émergeant des tissus froissés. Enfin surgit le personnage, la voix s'incarne et la verticalité se dresse comme érection d'une femme, un être hybride singulier. Elle conte et raconte les péripéties d'un destin étrange, hors frontière qui tisse des rêves et des récits psychanalytiques mordant, lucides, fameuses évocation de secrets intimes. A propos du judaïsme, du sexe.Toujours la vie dans les plis, plis sur plis millefeuille plastique de toute beauté qui bouge, frémit se meut à l'envi dans une extrême discrétion impalpable. Œuvre de Nadia Lauro. Camille Cottin danse, le geste large en première position classique, buste offert et ouvert, plexus solaire à son corps défendant. Elle arpente le plateau savamment dans des gestes précis, mouvant, des attitudes jamais posées sans posture figée. La chorégraphie de Marcela Santander et la scénographie de Nadia Lauro ( plasticienne compère des chorégraphes Alain Buffard, Fanny de Chaillé et Latifa Laabissi) y sont pour quelque chose, un rien de très plastique et mouvant dans le corps de la comédienne. Figures fantomatiques aussi pour ces tentures omniprésentes, personnage à part entière, voilant ou dévoilant les interstices et profondeurs du personnage.

Le verbe incarné sans nul doute pour cette comédienne de "cinéma" plongée et immergée sur scène dans un direct avec le public qui touche. Ce "rende-vous" étrange opère et on la quitte frustré de la brièveté de cette rencontre inédite. Le texte furieux, tendre ou opaque, secrets ou affirmations assumées sur des sujets brûlants d'actualité. Capdevielle se régale de ces situations pour faire évoluer l'interprète dans un bain de jouvence violacé de toute beauté dans des costumes comme des secondes peaux changeantes. Le rouge vif comme celui d'une écorchée vive, le corps modelé dans des oripeaux très seyants. Un monologue, solo qui convoque avec brio toute une gamme nue et crue et façonne un couple comédienne -metteur en scène pour un rendez-vous impatient où chaque instant semble fait pour jouer du corps dans l'urgence et la continuité d'une présence scénique entière, physique, organique incontournable. Du bel ouvrage intempestif et indisciplinaire.
 
[Adaptation du roman Jewish Cock de] Katharina Volckmer [Traduction] Pierre Demarty [Mise en scène]Jonathan Capdevielle [Avec]Camille Cottin Le roman traduit en français est publié aux éditions Grasset & Fasquelle, 2021. Production Les Visiteurs du Soir


 Au TNS jusqu'au 22 Mars


De "Concha" de Marcella Santander, j' écrivais en prémonitoire :"Hortense Belhôte une vraie Camille Cottin ou Valérie Lemercier en herbe !"