mercredi 26 mars 2025

Clément & Guillaume Papachristou "Une tentative presque comme une autre": Le garçon et Clément , en scène!" L'inclusion évidente et limpide de jumeaux de corps et de coeur..

 


Une tentative presque comme une autre

Dans Une tentative presque comme une autre, tout est dans le presque. Clément et Guillaume Papachristou sont frères jumeaux. L’un est un acteur et chorégraphe à Bruxelles, l’autre, porteur d’une infirmité motrice cérébrale, s’implique dans des projets d’arts vivants, notamment Mixability, atelier de danse inclusive dirigé par le chorégraphe Andrew Graham, à KLAP (Marseille). Avec tendresse et humour, ils questionnent l’altérité et la différence en partant de leur histoire intime et de leur ressemblance physique. Dans une recherche approfondie d’un langage chorégraphique qui s’appuie sur la collaboration réciproque des corps, émergent les ressorts d’une entraide possible – bien que souvent insoupçonnée – au-delà des aprioris liés au handicap. Le duo se teste et s’apostrophe, jouant de la complicité du public, poussé à prendre conscience de l’étrangeté familière que représente, toujours, l’autre.

Un petit truc en plus...

On se souvient du film " Les garçons et Guillaume, à table!" de Guillaume Galienne: une histoire autobiographique sur l'identité de "genre" encore peu reconnue et ici dévoilée avec humour et tendresse. Voici pour ce spectacle, deux artistes liés, reliés par la gémellité qui montrent, exposent leur complicité autant que leurs différences avec véracité, sans concession et avec beaucoup de tac et de respect. C'est un lever de rideau sur une descente d'escalier sans faute pour un homme en fauteuil roulant qui ouvre la pièce après un rapide parcours effectué en diagonale par l'un et par l'autre: à toutes jambes et en fauteuil roulant adapté haute technologie.Ils l'ont bien descendu ce dispositif de marches qui empêcherait la libre circulation...avec paillettes et quelque appréhension cependant. L'exercice est périlleux mais ça passe sans casse! Le public est réuni autour des deux interprètes qui dans l'arène, sur l'aire de jeu en proximité vont se donner à coeur joie pour danser et exécuter toutes formes singulières de gestuelles adaptées chacune à leur corps respectif. Union et fusion, combines pour se lover l'un dans l'autre, se soutenir, se lever en érection verticale et audacieuse pour Guillaume, handicapé moteur.

Et enfiler le tee-shirt de l'autre devient forme et métamorphose esthétique et plastique "collant" les deux compères l'un à l'autre comme le fait Erwin Wurm dans l'exposition "Mode d'emploi"

Clément, le "valide" accompagne son partenaire de vie avec audace et considération maximale. Donnant libre court à ses désirs de mouvements conjugués soigneusement à ceux de ...son frère jumeau. Ce que l'on pouvait supposer ou suspecter en dévisageant les deux comédiens-danseurs:barbe naissance, yeux rieurs, crâne dégarni, corpulence agile et svelte. Guillaume crée d'emblée l'empathie et non la compassion, l'adhésion à son désir d'être sur scène pour bouger et ressentir la jouissance du mouvement, le trac du comédien. Sans se priver, sans fausse pudeur avec le sourire, les interrogations d'un homme qui réfléchit à ce qu'il donne à voir. Autrefois ce serait un quasimodo de foire, un être à part, aujourd'hui un homme construit par le désir de plaire, de séduire de tous ses pores de la peau. Par la parole aussi que son frère lui faire surgir des lèvres dans une phonation qu'il surtitre pour une plus rapide compréhension. Interprète de son jumeau, Clément questionne et fait face à la situation. Autant pour nous mettre à l'aise que pour inclure certains spectateurs dans le jeu: accueil du corps et de la parole de son frère, changement de place pour que celui ci trouve son "endroit" son "milieu" en toute franchise. Le tandem, le couple, la paire, comment les nommer ces deux tendres acteurs de leur vie intime. Sans fausse évidence, ils partagent poids, tension, équilibre, appui et ancrage à foison ce qui rend le mouvement évident, limpide jamais poussif ni empêché. 


Je est un autre
Pari et gageure tenus pour cette non démonstration d'un savoir être au monde et à la scène qui fascine,enchante, réjouit ou interroge. Le droit à la différence, artistique, esthétique pour deux créateurs de trouble et non d’ambiguïté! Le sourire de Guillaume attestant que ces "transports en communs" ne sont ni miracle ni fantasme; un énorme travail physique et orthophonique à la clef pour accompagner cet homme dans son processus de développement, de confiance, d'assurance et d' assomption.Une épiphanie citoyenne engagée, physique en diable où l'ordinateur, tel une intelligence artificielle traduit la langue de Clément comme un écrit manifeste de la reconnaissance. 


La danse comme Saint Christophe, Clément, patron des voyageurs qui assure la prise en charge de ceux qu'il transporte.Sans jamais être fardeau ni charge Guillaume ravit et se fait porte parole de tous ceux qui assument et vivent leur corps avec conscience et volonté de s'épanouir avec les autres. Une "tentative" osée et fertile, réussie et un pari scénique convaincant. On danse sur le plateau comme tout le monde sans différence "apparente". Mais respectée et haussée au rang d'une humanité légère et joyeuse, grave et responsable. Être jumeau à leur façon sans culpabilité avec humour et distanciation salvateurs!

( Saint Christophe (celui qui porte le Christ) : protecteur de tous ceux qui utilisent des moyens de transport. Une belle légende le fait passeur d'un enfant au bord d'un torrent furieux, d'un enfant devenu si lourd que Christophe découvrit qu'il s'agissait de Jésus, celui qui a créé le monde.)

Pole Sud le 25/ 26 Mars


samedi 22 mars 2025

"Amérique" : diversités esthétiques made in USA: welcome in America!

 


 Le XXe siècle américain dans toute sa diversité.Un programme inédit et haut en couleurs symphoniques

Samuel Barber Adagio pour cordes   

Comment ne pas être envoûté dès les premiers coups d’archets, par le poignant Adagio de l’Américain Barber ? Que des cordes sublimes pour interpréter une oeuvre douce, bordée de silences et de rémanences des notes caressées par les multiples et seuls archets. Langoureuses mélodies fluides et savoureuses, tendres et très spatiales. 

Aaron Copland Concerto pour clarinette  

Changement d’univers, le concerto de Copland destiné au clarinettiste Benny Goodman oscille entre swing et classique. Attaque fulgurante par le chef d'un opus étrange aux dissonances dissimulées qui révèlent une composition audacieuse et inédite. Le clarinettiste Sébastien Koebel se prête au jeu étonnant de la clarinette soliste en diable entourée d'une formation épousant les témérités de la composition. Un virtuose "maison" mis au devant de la scène de façon toute légitime. Et c'est en toute simplicité qu'il accorde au public enthousiaste un bis de Gershwin, extrait de "Rapsodie in blue"

George Gershwin Un Américain à Paris pour orchestre  

Vient ensuite la promenade nonchalante d’un Américain dans le Paris des années 20 dépeint par Gershwin, Un régal de sonorités bigarrées, résonnantes, tonitruantes: klaxons et autres bruits du quotidien des grands boulevards et des bruissements de la foule qui se presse sur les trottoirs.Musique de ballet, celle du film de Vincente Minnelli où dansent magistralement Gene Kelly et Leslie Caron, voici une balade fameuse dans les rues de Paris au son de la grande ville lumière.

Georges Gershwin Ouverture cubaine

Chatoyante composition pleine d’allant, de verve et d'attaques colorées et cinglantes . Le dynamisme auréolé de rythmes chaloupés et ondoyants, souples comme des danses brésiliennes chamarrées et séduisantes. Musique qui porte en elle les accents d'un exotisme franc et non dissimulé qui touche et envoute. Le temps d'être déphasé, déconnecté et bercé par un voyage salvateur aux saveurs et sonorités si proches et si lointaines. 

Leonard Bernstein Danses symphoniques de West Side Story

Succèdent les rythmes syncopés du West Side new-yorkais et les accents caribéens colorés de percussions de Bernstein. C'est une version concertante où les voix sont subtilement remplacées et adaptées à une transposition pour orchestre symphonique.Les danses s'y retrouvent après un prologue où l'on ne peut faire abstraction de la version filmée de Robert Wise et du génial chorégraphe Jerome Robbins! Le prologue est époustouflant sous la direction de Aziz Shokhakimov, génie des contrastes, des moments ténus suspendus comme un temps d'apnée ou de suspens étiré.Mambo, cha cha, rumble et autres swing au diapason de cette musique battante, guerrière où des clans s’affrontent, des émigrés chantent l'exil, des amants s'avouent leur ardeur dans un "somewhere" désincarné, uniquement acoustique.

Un concert décapant aux accents métissés d'un continent bigarré que la musique sait fédérer au delà de tout geste politique...L'OPS très à l'aise dans ces vagues puissantes, déferlantes de rythmes, dans ces contrastes d'écriture musicale
 

Distribution
Aziz SHOKHAKIMOV direction, Sébastien KOEBEL clarinette

Palais de la Musique et des Congrès le 22 Mars

"Magic Maids" Eisa Jocson / Venuri Perera : nos bien aimées sorcières à ballet

 


Eisa Jocson et Venuri Perera, chorégraphes et danseuses, philippine pour l’une, sri-lankaise pour l’autre, viennent de pays connus pour leur exportation massive de main-d’œuvre féminine. Pour leur duo, elles ont recueilli les expériences de travailleuses domestiques. Croisant ces récits avec leurs propres lectures et observations, elles explorent l’image des sorcières à travers l’histoire de l’Europe et la façon dont celle-ci perdure dans l’exploitation des femmes.


Au plateau, elles s’adjoignent les services d’un objet particulier : le balai. À la fois attribut magique et outil de travail, il devient symbole d’oppression tout autant que de révolte, avec lequel interagissent les corps. Empruntant aussi bien au cérémoniel qu’à la chorégraphie, Magic Maids est une incantation originale contre l’invisibilité du soin et révèle les représentations d’un corps féminin colonisé. Le sens de l’humour autant que celui du rituel ont leur part dans cette performance qui fait vaciller les rapports de pouvoir, en y opposant la solidarité féminine et l’intimité.

Coups de balais
Dans un silence absolu quasi religieux, un curieux cérémonial s'installe sur le plateau. Au mur, une collection de balais comme dans un musée ethnographique .Deux jeunes femmes, pieds nus, tuniques colorées et collants résilles de mailles et filets noirs très seyants, arpentent, plein feux avec le public cette surface de réparation que devient la scène partagée. Longues marches lentes et pieds posés largement sur le sol comme un rituel calme et reposé. Les manches des balais coincés et maintenus entre les cuisses, l'extrémité comme un symbole phallique dressé en érection. Leurs allées et venues hypnotisent longuement, fascinent par leur lenteur et concentration. Elles dessinent des figures géométriques, façonnent d'étranges formes de bestioles, insectes à longues pattes, araignées d'eau. L'atmosphère est cependant sereine, les balais tanguent entre leurs jambes, métronomes ou compas pour modèle ou instrument de mesure de l'espace. Comme des vecteurs de mesure, de critères, de mensurations. Elles prennent la parole, se racontent en femmes de chambre, travailleuses et techniciennes de surface en proie à leur instrument de travail: le balais: ballet mécanique à la Fernand Léger comme autant d'images qui se succèdent. Le labeur esthétique est très réussi et opère dans les imaginaires aussi comme cheval à chevaucher de sorcières à balais. Femmes démoniaques et pleines d'humour, de sensualité, de beauté, simples, enjôleuses, charmeuses. Les deux interprètes se livrent à un échange de paroles, de clins d'oeil et autres facéties savoureuses.Instants où ces bonnes à la Jean Genet imitent les dialogues entre patronnes bourgeoises de la haute société. Bonnes à ne pas tout faire: il faut en adopter une! Question de bonne conscience aussi. La critique sociale à fleur de peau, la pièce joue sur la distanciation, le recul et les traces blanches laissées sur le sol deviennent aire de jeu, surface de dessins et esquisses éphémères de toute plasticité. Poussière, résidu, à évacuer , blancheur virginale de l’effacement. Perdre ou garder la trace de cet esclavagisme sociétal dont sont victimes les femmes de par le monde. Faire le ménage encore et toujours comme une tâche journalière, une fonction professionnelle de bas niveau de considération et reconnaissance . La relation qui lie les femmes de ménage et leurs employeuses relève bien souvent d'arrangements qui témoignent d'un souci commun de pacifier une relation très asymétrique: employées et employeuses en tête de gondole
 
Adopter un ballet
Agents de service, gardiennes du foyer propre et désinfecté, clinique. Les deux danseuses arborent toutes sortes de balais, plumeaux de paille en main et secouent le cocotier de nos habitudes.En palmes académiques, en palmes d'or pour ces métier du nettoyage, de l'entretien domestique. En "mon truc en plumes" sans Zizi ni YSL mais avec la crudité de la réalité sociale.De servantes serviles elles basculent en heroines et cèdent leur balais au public, brandissant ces objets fétiches comme des talismans ou amulettes fabuleuses. Au travail, les spectateurs évacuent la poussière sur fond de musique dansante. Et vous prenez quelques années de plus, quelques "balais" au compteur. 
 

On se souvient des 60 balais de Daniel Larrieu dans "Littéral" qui plastiquement évoquait ce fabuleux porte drapeau de la femme de ménage devenues ici femmes de méninges et actrices d'un pamphlet haut en couleurs. Un ballet ni blanc ni rose qui réjouit et questionne très efficacement nos pensées poussiéreuses.Des agentes de police d'entretien porte parole de choc!Corps de balais inégalé. Notre Dame du Balai, dansez pour nous! On ne sera pas manche.
 

lire:L'industrie mondialisée du travail domestique aux Philippines Recruter, former et exporter l'altérité Julien Debonneville De l'Orient à l'Occident  et 

 Corps de ballet de Marion Poussier et Mohamed El Khatib


Au Maillon le 21 MARS