lundi 7 avril 2025

"Dernières Nouvelles du large" Patrick Robine, Jean-Michel Ribes : anti seiches et moules de mari niais....


 Jean-Michel Ribes revient au Théâtre du Rond-Point pour mettre en scène son complice de toujours, Patrick Robine. Seul imitateur au monde de l’œuf au plat, du pin parasol et du cri de la pomme de terre du Connecticut, c’est un poète intégralement taillé dans la facétie, l’incongru et longuement poli à l’extravagance. Avec sa création Dernières Nouvelles du large
, il nous emmène à bord d’un grand navire, Le Topinambour, et part à la recherche d’une moule géante, se cachant au milieu de l’océan, dans une île flottante. Commence alors une irrésistible aventure où se bousculent les bouées beuglantes de haute mer, le requin-marteau et les éponges domestiques. Patrick Robine nous plonge dans un univers où la drôlerie et la mélancolie se font sœurs jumelles et où le rire est maître à bord.
Patrick Robine nous fait un bien fou !

 Une générale publique, ça pardonne tout ou presque...Ce petit bonhomme tout blanc, sorti tout droit d'un conte de fée comme un petit nain de Blanche Neige fait son passe-muraille, son numéro de one man show comme il le peut hélas. Manque de temps, de répétition, de métier: trac ou trop d'émotion à servir l'ancien "maitre en ces lieux".. Le saura-t-on un jour? En attendant il ne manquait pas de verve ni de malice, de savoir faire des virelangues, calembours ou autres jeux de mots à propos de son personnage et de ses pérégrinations: à la recherche d'une moule géante accrochée à une île utopique, inconnue, invisible personnage d'un récit imaginaire....Patrick Robine se fourvoie hélas dans un jeu improbable, ce soir là non maitrisé et empêché par des trous de mémoire anticipés par une lecture systématique d'anti-sèches sorties de sa poche de veste. Gags ou réalité? Leurre, farce ou incapacité à ingurgiter sa propre littérature? On se questionne et l'on souffre avec lui pour cette infirmité incongrue qui met mal à l'aise et retire à cette farce le côté diabolique, enchanteur ou anecdotique. Le texte bat son plein alors à vide comme en panne des sens et de la poésie qui semble envahir un univers ubuesque, farfouilleur, drôle et absurde en diable. Mimiques, jeux de rôle, attitudes, poses ou postures fort intéressantes pour sauver la donne et donner envie d'y retourner voir si le crustacé s'est mieux incrusté dans la roche pour être comme une moule avec la frite dans un bain de jouvence bien mérité. Alors si Jean Michel Ribes pouvait repartir à la pêche à la moule géante en compagnie d'un as de la ligne ou du filet, ce serait beaucoup mieux et plein de charme."Ca n'a pas mordu ce soir mais je rapporte une rare émotion..."(Ravel / Apollinaire le martin pêcheur)
Alors longue vie à notre explorateur fou et burlesque pour aller au large dans des vêtements bien ajustés et une mise en bouche assurée de convenance. Cap vers une meilleure météo marine!
 
 
De et avec : Patrick Robine
Mise en scène : Jean-Michel Ribes
Lumière : Hervé Coudert
Son : Guillaume Duguet
Assistanat à la mise en scène : Olivier Brillet

Au théâtre du rond point jusqu'au 13 Avril

vendredi 28 mars 2025

"Phèdre" Jean Racine · Anne-Laure Liégeois : le noir scintillant d'une femme dévoilée.

 


Mariée à Thésée, roi d’Athènes, Phèdre est secrètement amoureuse de son beau-fils. Lorsque la mort de son mari est annoncée, elle envisage la possibilité de cet amour. La tragédie est en marche et avec elle l’une des plus belles pièces de Racine…


Amatrice de littérature, la metteuse en scène Anne-Laure Liégeois aime tout autant travailler le répertoire classique que les textes contemporains. Phèdre est une pièce qui l’a accompagnée à toutes les étapes de son parcours. Elle la connaît par cœur et par le cœur. Ses doutes, ses désirs, ses dits et non-dits, ses douleurs et ses joies, son rire et ses larmes. Ainsi, aujourd’hui sur scène, la Phèdre de Racine est une femme d’ici et de maintenant. Les spectateur·rices s’interrogent sur l’idée qu’ils·elles se font de cette grande figure féminine léguée par la tradition. Côtoyer Phèdre, c’est réfléchir au parcours des femmes à travers le temps. C’est regarder la condition féminine, c’est penser notre rapport au désir féminin et au désir de la femme mature. La pièce en alexandrins révèle une langue époustouflante et simple qui nous étreint et nous libère tout à la fois. Qu’a-t-on fait de la vie ? Qu’a-t-on fait de l’amour ? Où en sommes-nous dans les rapports femmes-hommes ?



Phèdre, c'est une légende du théâtre dit classique que l'on côtoie ici dans une force et une puissance inédite grâce à l'adaptation d'une metteuse en scène qui en a fait sa compagne de route, de vie, de conviction. L'incarnation du personnage de cette tragédie que l'on croit connaitre sur le bout des doigts et de la langue, par la comédienne Anna Mouglalis est un choix idéal pour rendre à cette femme, corps, chair et émotions de toute beauté. Quand elle apparait après un prologue, dialogue entre Hippolyte et Thésée, elle irradie une saveur singulière de gravité, d'ancrage, de poids digne d'une danseuse de Laban. La voix sombre, grave, quelque part résurgence de trouble, de vibrations inédites et profondes. Idéale vecteur de son, de sensations et dans une tessiture peu commune pour une femme. Basse et réverbération singulière, calme, posée, voire pesante comme un ancrage solide face à la tempête proche. Ce qu'elle fera durant tout le déroulement de l'intrigue qui se tricote sans faille durant les deux heurs de représentation. Sur l'immense plateau de la Filature, c'est le noir qui règne en majesté, outre-noir puissant et profond d'où jaillit chacun des personnages. Ils sont de noir vêtus, sobre tissu seyant, léger aux plis fuyants: vêtements contemporains qui poussent vers une interprétation d'aujourd'hui de toute la pièce. Les corps des interprètes jetés dans la bataille, la véracité des humeurs, de la révolte autant que des sentiments de pouvoirs ou de domination suintent de tous leurs pores et la versification coule de source, toujours inattendue et servie avec brio. Racine exulte et scintille, vivant auteur de son temps autant que du notre. Et l'on savoure l'évolution des personnages au fil des multiples événements comme lors d'une histoire humaine passionnante, cohérente et pas si folle ni hystérique qu'on voudrait le croire. Cette Phèdre captive, interroge et chacun des comédiens y va de son impact, de sa force pour incarner cette langue si riche et porteuse de musicalité, de rythme autant que de sens. Les divagations, les stations de ce chemin de croix sont millimétrées, orchestrées pour faire du plateau, une aire de jeu crédible, en-racinée dans le réel autant que dans la fiction. Le père et le fils, Ulysse Dutilloy-Liégeois et Olivier Dutilloy irradient en Hippolyte et Thésée, Laure Wolf en savante suivante et conseillère se taille la part belle dans le rôle de Oenone. Tous impliqués dans cette folle course contre le destin, l'actualité de l'oppression, de la domination, du pouvoir qui dévore secrètement les uns et les autres. Phèdre rivée au sol autant que partenaire d'une tempête qui la fait se déplacer d'un endroit à un autre sans être jamais "le bon endroit". La place à prendre dans ce monde pas si masculin que cela rappelle un combat sempiternel de l'humain contre les forces obscures de ce noir envahissant. Seule la robe jaune flamboyante d'Aricie, Liora Jaccottet au final peut faire augurer d'une lumière solaire possible. Le dos de l'interprète comme un solide appel au soulèvement dorsal éloquent autant que les alexandrins de Racine. Le son des voix s'éteint, magistralement doté d'une mise en onde virtuose sur le plateau.Et Anne Laure Liégeois de conclure sur un dénuement où "que ces voiles me pèsent" se transforment en arrachement symbolique du joug des femmes opprimées de notre époque. Phèdre dévoilée au coeur de l'amour, de la douleur de cette famille-tribu si révélatrice de tensions-détentes très chorégraphiques.
 
A la Filature les 26 mars. 27 mars.

texte Jean Racine mise en scène, scénographie Anne-Laure Liégeois avec Anna Mouglalis, Ulysse Dutilloy-Liégeois, Olivier Dutilloy, Liora Jaccottet, Laure Wolf, David Migeot, Anne-Laure Liégeois, Ema Haznadar création lumière Guillaume Tesson costumes Séverine Thiebault

jeudi 27 mars 2025

"Parallax" , Kornél Mundruczó / Proton Theatre : joyeuses valseuses et autre magicienne de vers.


Lucide observateur des mécanismes intimes et politiques, Kornél Mundruczó les explore à travers des personnages d’une frappante authenticité. C’est encore le cas dans Parallax où se croisent trois générations : la grand-mère à Budapest qui refuse d’accepter une médaille de rescapée de la Shoah ; sa fille à Berlin, qui au contraire fait valoir une identité juive pour obtenir une place pour son fils dans une école ; et ce même fils, en quête d’identité en tant qu’homosexuel, entre joyeuse débauche et discrimination. Dans une scénographie riche de détails et de surprises, à l’image d’une réalité toujours susceptible de renverser les vies et les visions, ils se heurtent aux mêmes questions : comment échapper aux assignations, lorsqu’elles s’inscrivent dans les corps et les mémoires ? L’identité est-elle un poids, une libération ? Une affaire de point de vue ? C’est la question que pose le titre, puisque la parallaxe, en astronomie, désigne l’impact du changement de position de l’observateur sur la perception de l’objet.
 

Il faut le prendre à la légère ou avec toute la gravité qui enveloppe ce spectacle multimédia assez déroutant. Les actrices, nous les découvrirons sur deux grands écrans de part et d'autre d'un endroit quasi secret d'où elles sont filmées en direct. Une vielle femme, de beaux cheveux blancs épars et désordonnés en plan serré dont on ne découvrira le corps en pied que beaucoup plus tard.Idem pour sa fille Anna avec qui elle échange ses quatre vérités autant sur la question juive que sur leur relation mère-fille. On suit leurs évocations avec empathie et intérêt surtitrées du polonais au français et anglais. La langue chante, rappe se fait tendre ou violente selon le sujet. Elles sont vraies, authentiques en diable. Plein feux sur le décor qui se dévoile et replace dans un contexte théâtral après ce déroulement filmique de portraits singuliers. C'est aussi Berlin qui s'écroule sous une tornade d'eau en direct: impressionnantes coulées d'eau tumultueuse qui fait ravage, inonde la scène à grand bruit, dévaste le décor qui se trempe et se mouille en cascade. Ça marque et ça touche tant le personnage pétrifié devant ce désastre, ce cataclysme est tétanisé, immobile, sans voix. Belle et troublante séquence qui annonce la suite: le portrait du fils, un homosexuel amoureux de sa mère et de sa grand-mère défunte et qui se prépare à honorer deuil et enterrement. Le tout au sein d'une cuisine équipée sobrement qui fait salon et unité de lieu, pas de temps ni d'action!Cocasses saynètes entre ses amis qui débarquent pour faire une belle orgie joyeuse simulée en direct. Les cinq personnages s'en donnent à coeur joie, godemichets et autres accessoires désopilants. C'est la fête dans l'appartement dévasté où l'on éponge les restes de l'inondation.Cinq "pédé" comme ils se nomment font partouse, nus et bandant de joie et de colère aussi. Une clique, une tribu sans pudeur s'y trouve dépeinte sans concession avec humour, drôlerie burlesque. C'est pas si souvent que l'on rit de tout sans complexe. Le théâtre engagé de Kornel Mundruczo fait mouche et bouscule préjugé et carcans sur des questions identitaires, religieuses et marque d'une pierre blanche ce show trivial et direct avec ses pieds de nez au conformisme Tant et si bien qu'au final pour les funérailles, c'est à une danse endiablée, chorégraphiée signée Csaba Molnar que l'on assiste, histoire de délivrer les corps du drame susjacent qui règne sur le plateau deux heures durant , haletant et fantasmagorique. On brise les frontières et on se cause en rigolant des affres du monde politique.

 La parallaxe est l'impact d'un changement d'incidence d'observation, c'est-à-dire du changement de position de l'observateur, sur l'observation d'un objet. En d'autres termes, la parallaxe est l'effet du changement de position de l'observateur sur ce qu'il perçoit.Un appel à la condition de spectateur :A bon entendeur, salut!

Au Maillon les 26/27/28 Mars


 Avec : Lili Monori, Emőke Kiss-Végh, Erik Major, Roland Rába, Tibor Fekete, Csaba Molnár, Soma Boronkay
Le texte a été écrit par Kata Wéber et intègre les improvisations de la compagnie.
Mise en scène : Kornél Mundruczó
Dramaturgie : Soma Boronkay, Stefanie Carp
Scénographie : Monika Pormale
Costumes : Melinda Domán
Lumière : András Éltető
Musique : Asher Goldschmidt
Chorégraphie : Csaba Molnár
Collaboration artistique : Dóra Büki