mardi 9 décembre 2025

TRAVAUX PUBLICS EFTHIMIOS MOSCHOPOULOS – FÁE | An ephemeral dinning: nature vivante et table rase, garnie de reliefs épatants.

 


Efthimios Moschopoulos est un danseur et chorégraphe grec actuellement basé à Athènes. Ce projet FÁE | An ephemeral dinning place la table, au centre de sa recherche. Une table qui serait un lieu de rencontre, un confessionnal bucolique distillant à la fois la tendresse et la violence de la campagne, sa solitude et l’angoisse de son identité, son besoin d’expression et la formation de sa sexualité. Une table comme un support pour partager ses souvenirs et ses références à la nourriture, le dîner en tant que pratique sociale.
 
Seul, soliste habité par une gestuelle féline, animale, vêtu de noir et chaussé de bottes, il parcours l'espace, se repère, s'anime fébrilement de sursauts tétaniques au souvenir d'une mise à bas d'une brebis de ces troupeaux d'enfance. Les images et son corps se confondent, se jouxtent et prennent une dimension sacrée et symbolique du sacrifice de l'agneau. Une table penchée l'attire, le transforme en reptile, tortue portant son habitacle. Alors que des images filmées défilent, celles d'une table de festin où vont se presser des moutons d'un troupeau affamé, il danse cette fébrilité et les fruits de son imagination surgissent. La table devient l'endroit, le lieu d'un supplice de fruits et de légumes qu'il va violenter. En les fracassant sur la bordure, déchiquetant les fibres. Pour mieux faire émaner les fragrances du céleri, des agrumes pressées sous ses doigts. Une véritable performance de plasticien, laissant les reliefs comme un tableau piège de Spoerri. Nature "morte" bien vivante, lui-même offert aux regards, le corps livré sur la table, élu du sacrifice. Efthimios Moschopoulos livre ici une très belle esquisse de sa proche création, encore en "chantier ouvert", la parole libre et généreuse sur son travail, ses sources d'inspiration: l'enfance baignée de religion, de nature et de contact avec l'animalité. La difficulté aussi d'assumer son identité parmi les siens. Une "cène" quasi religieuse que ce banquet, festin de Eftthimios.Belle trajectoire source de réflexions et de questionnement de la part du public, réuni ce soir la pour assister à cette présentation de très grand intérêt. Sur l'autel de la chorégraphie, le corps du danseur se donne et se raconte dans une narration sensible, jamais mimétique. Le tableau final respire encore de cette étonnante figuration: le végétal écartelé sommeille à présent dans la quiétude de la réparation. Un solo nourri de denrées comestibles dont le souvenir sera sensuel et philosophique, poétique et émouvant.. La danse des orifices, bouche bée, ces petits bruits de mastication dans la bande son, tout réfléchit ici le rapport immédiat, puis plus esthétique de la danse à la nourriture. Lire "la danse des orifices" de Roland Husca.

Résidence : LU 08 > DI 14 DÉC
Efthimios Moschopoulos est soutenu par Onassis AiR pour 2024/2025 dans le cadre de la bourse de dramaturgie et pour 2025/2026 dans le cadre du réseau Grand Luxe.

A Pole Sud le 9 Décembre 

Jérôme Brabant Cie l’Octogonale "Planètes" et cosmogonie des-astres-euse.

planètes jerome brabant photo vIncent VDH

 France7 danseurs + 2 chanteuses 2024 

Dans Planètes, de Jérôme Brabant, sept danseurs et deux chanteuses incarnent un système solaire en mouvement. Inspiré par Disharmony of spheres de Foo/Skou, le chorégraphe crée une danse cosmique où chaque corps devient matière : pierre, glace, gaz, etc. Les notes légères et soupirées du duo Philipp | Schneider s’étirent et se fondent dans des nappes créées par Nicolas Martz, qui laissent imaginer le chant des étoiles et créent une atmosphère en apesanteur. La gestuelle est précise, nette, inspirée par l’observation des formes courbes et organiques des mouvements des planètes. Mais chacun des interprètes tient sa propre partition, comme chaque corps céleste a sa propre orbite. De décalage en décalage, un cycle hypnotique se fait sentir, soutenu par les lumières hallucinées de Françoise Michel – évocation subtile du voyage final de 2001, L’Odyssée de l’Espace. L’espace-temps s’étire. La pièce explore l’ordre et le chaos, évoquant une quête d’harmonie face aux dérèglements du monde. 


Planètes Jerôme Brabant photo Vincent VDH

Danse cosmique, étoilée comme au temps du Roi Soleil..C'est ce dont on aurait pu rêver...Mais la cosmogonie en a décidé autrement. Et les astres évoluant chacun pour soi ne font ni constellation, ni voie lactée ou W de Cassiopée. Alors de quoi s'agit-il, sinon de singer l'écriture ou la technique brillante de Cunningham, les justaucorps de Rauschenberg, les gravitations de ces points dans l'espace, corps lancés en orbite, météorites jetés dans la fulgurance du mouvements des astres.La danse de Jerome Brabant est lisse et sans incident, probable et sans surprise, redondante et lassante. Soporifique pour ses évolutions sempiternelles  qui n’obéissent pas au processus de la répétition mais de l'ennui. Alors sauvons les lumières de Françoise Michel qui sortent du lot sur ce plateau nu, de blancheur auréolée. Les 7 danseurs exécutent le phrasé monotone et monocorde de l'écriture sans jamais dévier, disjoncter comme on l'aurait souhaité.Pas de dérèglement en vue ni de chute de météorite dans ce planétarium inventé où la magie de l'univers et du cosmos reste absente. Désastre des justaucorps designés moulant et délivrant l'intégralité des lignes corporelles qui auraient pu être calligraphiées."Planètes"Mars , Vénus, Mercure au rendez-vous manqué de la lune et du soleil. "La mécanique de l'aurore" de Louis Ziegler nous fait encore signe et sens, géopolitique du cosmos du Roi Soleil, centre, astre, autour duquel gravitent les planètes de la cour. Dans "Planètes", les axes de rotation comme seul ancrage pour une danse qui fige les courants d'énergie et glace l'imagination.L’horlogerie sans déraillement s'épuise et nous avec...Sur la piste aux étoiles, les lumières sont éteintes.

Planètes de Jerôme Brabant photo Vincent VDH

Conception et chorégraphie : Jérôme Brabant
Aide à la dramaturgie : Kitsou Dubois
Danse : Alexandra Damasse, Valentin Mériot, Yves Mwamba, Emma Noël, Manuelle Robert, Nina Vallon, Lucie Vaugeois
Composition et chant : Josephine Philip, Hannah Schneider
Univers sonore : Nicolas Martz
Création lumière : Françoise Michel  

A Pole Sud le 9 Décembre 

"Planètes" de Jerôme Brabant photo Vincent VDH

"Andromaque": jamais d'eux sans Troie: n'aguère d'aujourd'hui sans relâche


Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector… qui est mort, tué pendant la Guerre de Troie. Liés par cette chaîne d’amours impossibles, c’est sur le sang que marchent les personnages dans cette création de Stéphane Braunschweig qui met en scène Racine pour la troisième fois, avec le constant souci d’articuler aux affects le contexte historico-mythologique. Comment se relever de la déflagration que constitue la Guerre de Troie ? La victoire peut-elle vraiment être assurée par l’élimination totale de celui que les vainqueurs désignent comme ennemi ? Comment se protéger d’un futur de vengeance et du ressentiment transmis d’une génération à l’autre ? Sur une inquiétante ligne de crête, Andromaque n’interroge pas moins que la possibilité même de la paix.

La guerre laisse son tapis ensanglanté, déjà sur scène, immense rond rouge carmin, terrifiant mais plastiquement très beau, efficace dans ce qui va se jouer sous nos yeux: des conflits amoureux sans issue exceptée la guerre, la violence faite à chacun des membres d'une tribu mythologique complexe.Le sang versé et répandu dans lequel baigne chacun, qu'il le veuille ou non. Bain de liquide aqueux,flaque où gravitent les protagonistes, autour d'une table de blanc virginal, de trois chaises renversées: un dispositif sobre et léger pour la lourdeur et le fardeau du destin. C'est la folie pour tous, cette schizophrénie ambiante, incarnée par ce panneau faussement transparent qui dédouble les personnages aux multiples fractures et plaies d'humains cabossés par le sort inéluctable. Tous vêtus de noir, costumes contemporains, excepté Andromaque virginale victime, vierge à l'enfant en icône finale. Dans ce chaos ambiant, un peu de douceur ou de tendresse.Tous sont l'objet de souffrance dans l'expression de l'amour fou, de la résilience, de la plainte ou de la colère. La langue de Racine portant une musicalité contrastée, des timbres de voix et des tessitures multiples pour la servir. Les comédiens sous la direction de Stéphane Braunschweig, tous engagés dans cette tragédie légendaire qui parle à nos inconscients collectifs comme une réalité géopolitique trop d'actualité. Enracinés, ancrés dans la langue et les vers scandés, murmurés ou éclaboussés de rage et de colère par chacun en alternance du déroulement du récit. Cette oeuvre portée sur la scène baigne dans le sang, la liquidité des sentiments et expressions de chacun des personnages qui se heurtent sans cesse à la fatalité. La guerre de Troie aura bien lieu pour eux qu'ils soient vainqueurs ou vaincus, hommes ou femmes traqués par ce vent de fureur incontrôlée. Bel exercice un peu distancé cependant pour concerner directement un spectateur médusé par la complexité des héros transmettant  cette opacité. Un recul est nécessaire pour plonger dans les eaux ensanglantées avant d'y perdre pied et de s'en détacher.Le traumatisme au coeur du sujet vecteur de sollicitations émotionnelles fortes et incontournables. Les comédiens tous remarquables par leur identification souveraine à un opus"classique" loin des clichés offrant ici des perspectives de réflexion sombre mais nécessaire. Naguère, détroit sans issue.

[Texte] Jean Racine
[Mise en scène et scénographie] Stéphane Braunschweig

[Avec] 
Jean-Baptiste Anoumon, Bénédicte Cerutti, Thomas Condemine, Alexandre Pallu, Chloé Rejon, Anne-Laure Tondu, Jean -Philippe Vidal, Clémentine Vignais

[Collaboration artistique] Anne -Françoise Benhamou 
[Collaboration à la scénographie] Alexandre de Dardel 
[Costumes] Thibault Vancraenenbroeck 
[Lumière] Marion Hewlett 
[Son] Xavier Jacquot 

Au TNS jusqu'au 18 Decembre