samedi 29 avril 2017

"Soeurs" de Wajdi Mouawad: Thésée vous ! Langues pendues.....


Au volant de sa voiture, Geneviève Bergeron pleure en écoutant la voix sublime d’une célèbre diva québécoise. Elle voit défiler ses manques. Sa jeunesse est passée. Elle le comprend mais ne sait pas encore combien sa coupe est pleine. 
Séquence suivante. Cheveux en bataille et parka fourrée, Layla, experte en sinistres mandatée d’urgence, débarque. Même âge et même besace pleine que Geneviève. Au bout du portable : son père, Libanais exilé, qui se plaint. 



Annick Bergeron, seule actrice sur scène, incarne superbement ces deux femmes et leur trajectoire parallèle : l’expérience de la privation de la langue d’origine et de l’exil. 
Elle tient la scène Annick Bergeron comme nulle autre! Et toujours de chair et de souffle mais aussi "virtuelle" quand elle apparat, disparaît par le truchement d'une scénographie plastique très subtile: images et réalité s'y entremêlent, chant polyphonique du théâtre et de la voix!
Car elle en a de la voix, celle qu'on prendrait de premier abord pour une chanteuse de variété québécoise en tournée!Femme solide, forte, la cinquantaine, avocate de métier, venue animée un stage pour "médiateurs" internationaux dans les grands conflits mondiaux! Tout un programme humanitaire qui la conduira jusqu'au Mali, mission qui sera entravée par de multiples péripéties. Dont une nuit passée dans un palace insipide, suite numérotée interactive mais rétive à la langue française. Ce sont les mots qui ici gouvernent tout, la langue maternelle qui se meurt étouffée au pays de l'exil... La langue, perdue, pendue qui ne tournera pas sept fois ni ne sera langue de vipère ou de belle mère! La langue de Thésée et d'Ariane pour mieux retrouver son chemin comme métaphore des discours professionnels de notre médiatrice internationale interlocutrice !Le langage du cœur aussi qui se révèle quand Geneviève Bergeron disparaît pour faire place à l'inspectrice des désastres domestiques engendrés par la crise de notre avocate, acculée au désespoir. Dévastation, décombres de chambre, métaphore des ruines et guerres au Liban: le pays qui hante notre exilé, metteur en scène, Wajdi Mouawad.Au pays des bizons, ceux qui fendent le vent pour débroussailler en "aîné" la vie devant soi !
Cette femme attachante, déroutante ces deux femmes tant humaines, branchées aussi par les médias et technologies nouvelles qui les lie au monde contemporain:téléphone, tv, robots qui dicte comportement, finances et autres formes de vie quotidienne virtualisée.
Solitudes pas désespérées puisqu'elle délivreront dans le "bleu du ciel marin" l'espoir d'un jour meilleur où l'on aura balayer souvenirs et valises trop lourdes du passé pas encore effacé.
De beaux dialogues téléphoniques, des décors qui bougent, animés par le flux des mots en vidéo, suspendus sur la toile de fond ou qui défilent...Décors virtuels où l'on fait passe muraille de l'autre côté du miroir pour mieux rêver de fantômes, d'ectoplasmes bien présents!
Et une comédienne hors pair, tout gond dehors pour mieux inviter à la rencontre, le heurt, la réflexion.
Jubilatoires ces instants de détachement, d'humour de distanciation: la catastrophe est imminente, le désastre aussi mais on se relève quand on a touché le fond: le palais de la langue maternelle, refoulée, piétinée, oubliée refait surface et le "voile " de ce palais lingual se déchire et le son, le langage est dans "le pli" !

Au Maillon jusqu'au 29 AVRIL


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