jeudi 12 avril 2018

"Déplacement": glissement, dérive, exil ? En torse au protocole.....


"Questionner son propre héritage mène parfois aux chemins de l’exil. C’est ainsi que Mithkal Alzghair, artiste syrien et chorégraphe contemporain a créé Déplacement. Etrange alchimie de gestes traditionnels, de transes et de marches d’errance, cette pièce libère une énergie particulière. 
Natif de Soueïda, au sud de la Syrie, Mithkal Alzghair questionne simultanément les danses traditionnelles et la réalité sociale de son pays d'origine. « Sans chercher à retrouver un passé qui n'est plus ou à inventer un futur sans souvenirs, je tente de comprendre comment l'identité syrienne se construit à partir de mon propre réel » explique-t-il. Centré sur la transformation des corps et du mouvement, le langage du chorégraphe contribue à cet « acte de protestation pacifique et libre » que se veut cette pièce en deux temps (solo et trio masculins). Entre ancrage et déracinement, l’artiste s’est attaché à la notion qui donne son titre au spectacle, le déplacement : forcé ou volontaire, sous l’urgence ou la contrainte, en réponse au besoin de partir ou traversé par l’inquiétude de ne plus pouvoir revenir. Mais sans omettre pour autant ce que danser veut dire, voire même peut faire." I.F.



Deux bottes sur le plateau entièrement nu, noir, un chant de  muezzin dans le lointain...Le décor est planté quand arrive un homme en chemise blanche et pantalon, le regard fixe, fascinant, hagard. Il enfile et s'empare des bottes, entame une danse qui oscille, fébrile puis se déploie en cadence: son des frappements des pieds sur le sol: bruits de bottes militaires? Il s'agenouille, opère comme un chemin de croix et s'écroule, vaincu, comme prisonnier, les mains liées derrière le dos, les pieds entravés. Un dos sans tête comme figure étrange, décapitée, jambes croisées. Se redresse dans une démarche de prisonnier contraint, se camoufle, avance et recule, tétanisé.Il lève un doigt, désigne, puis deux, victoire, puis trois, mystère. Les yeux toujours fixes, exorbités. De déboulés en manège, il ouvre et creuse son espace, part dans une course, et stoppe la danse, épuisé, essoufflé. Torse nu, il piétine son tee shirt, seconde peau jetée à terre. Ôte ses bottes de sept lieux , lève les mains, se rend? Dans le silence et les respirations, il survit. Puis vient la musique, serpentine, votive.Quelles transes esquissées, danse de possession, en proie à une fébrilité peureuse, ses longs bras étendus d'une belle envergure, de dos. Figure de Christ en croix, de derviche, sans stigmate, de Saint Sébastien martyrisé: toute religion confondue, les icônes se succèdent évoquant quantité de postures ou attitudes savamment répertoriées. Encore quelques chutes et entraves pour un corps meurtri et le solo de Mithkal Alzghair se termine en silence.
Pour faire place à un trio d'hommes en tee shirt, pantalon et baskets.Percussions des mains à l'unisson, puis décalées, frontale, la danse anime les jambes en rythme : ils se tiennent, solidaires, s'échappent de cette confrérie et l'un deux déplie le tissu de soie blanche déposée comme pour faire un théâtre d'ombres, de fantômes déjà disparus, traces sur la paroi de la caverne.Les mains levées, le trio se reprend, indivisible, soutien indéfectible les uns des autres: mains en l'air pour capituler, se rendre, retrouver la paix, cesser d'avancer et de lutter ensemble?Signes de soumission, de détresse, ou adieux à la vie, au pays, au territoire ? Des images sidérantes se dessinent, évocation de pilier des anges, de fusillés de Goya, des danses comme des signes et aveux de résurrection possible...Des tableaux, références picturales de piétas, des icônes religieuses mouvantes qui se font et se défont sans cesse, sur le fil du rasoir, ambivalentes, belles et très plastiques.Ils dansent, enchaînés, mouvants, liés, reliés, comme un bloc soudé parcourus de rythmes, de cadences, indissociables.Ils se soutiennent, tournoient Puis chutent un à uns, en alternances de tout leur poids, lourds, chutes fatales, s'écroulent, se rendent. Et disparaissent esseulés, défaits, détruits chacun de leur côté dans l'ombre et l'obscurité, toujours dans le silence: la soudure s'effondre, restent le dais et les trois vêtements,pliés, au sol: ils y ont laissé leur peau, comme des dépouilles, témoins de leur passage, d'un massacre.
Un spectacle envoûtant, sidérant, toujours sur la brèche, entorse aux danses de tradition, mais s'en nourrissant sans cesse. Transcendant l'ordre, la raison et l'oppression. Déplacements, exil ou circulations des corps par delà les frontières... Du possible? de l'entendement.


A Pôle Sud, avec le Maillon jusqu'au 14 Avril 21H dans le cadre du festival Extra Danse initié par Pôle Sud CDCN.




inbpt 

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