mardi 19 octobre 2021

"Abberation": architectonique du blanc dansé.


 Emmanuel Eggermont L’Anthracite France solo création 2020

ABERRATION

Eloge du blanc et de ses promesses, ABERRATION, la nouvelle pièce d’Emmanuel Eggermont se fait onirique. Danse délicate et puissante, costumes et effets optiques réveillent les sensations et conduisent le public comme dans un rêve, vers un nouvel univers aux accents décalés et subtilement absurdes. 


Après Pólis, pièce carbonique et architecturale inspirée des œuvres au noir de Pierre Soulage, Emmanuel Eggermont poursuit sa recherche sur la couleur dans La méthode des phosphènes, puis se consacre au blanc dans ABERRATION. Questionner ses différentes dimensions, notamment symbolique et spirituelle, conduit sa réflexion et son mouvement. Sur scène, ce nouveau terrain d’investigations devient un paysage surprenant où circulent des corps, des objets, des danses tour à tour abstraites ou plus figuratives avec leurs énigmatiques personnages qui traversent l’espace. Pour le chorégraphe, il s’agit de « provoquer une variation de sensations troublantes comme de s’être couché David Bowie et de se réveiller Ziggy Stardust ». Plus profondément, Emmanuel Eggermont cultive un certain sens de l’absurde lié aux aberrations qui régissent le monde comme la vie quotidienne de chacun. Environnement sonore et chorégraphie développent leurs lignes d’écriture en écho à la notion de résilience qui traverse la pièce. Une façon d’interroger par la danse et la création « la capacité de faire face à la perte soudaine de repères et à l’effondrement des certitudes. » Une pièce fascinante tournée vers les perspectives de la reconstruction.   

Deux belles structures de stores blancs à claire-voie, des traces de lumières très géométriques au sol: point, lignes, plans pour délivrer l’icône immobile d'une figure, créature blanche cagoulée, perchée...Un sac dans le dos, il arpente le plateau au ralenti, nonchalant: soulève un lai du tapis et fixe en tension une bande blanche, formant un anticlinal, une courbe de niveau fragile, marquant un territoire inconstant, fébrile.Animal à terre ou albatros échoué à l'envergure immense des bras déployés. Il ouvre l'espace sans cesse, le creuse, le fait apparaitre, en torsions ou directions sagittales en flèches...En vrilles, sur pivots, en pliés discrets, sur demi-pointes élégantes.Emmanuel Eggermont, danseur faunesque, subtil, baroque, épousant une écriture savante du geste dansé. Quelques objets-sculptures accessoires comme une "cornette" ou "cocotte en papier" géante, origami plié ou petit avion de pacotille.Pour mieux créer les formes et attitudes d'un bestiaire fantastique profilé, très "faune" ou sculpture grecque. La créature homme-icône se révèle, pudique, Terpsichore en baskets blancs, précieuse figure très plastique, éclairée de lumières façonnant ses contours, sa matière... La danse, les déplacements semblent millimétrés, saccadés, segmentés, angulaires, reliés dans une étrange fluidité morcelée.Il moule l'espace, le rend visible, s'asperge de farine tamisée qui fait nuée et brouillard, fumées vaporeuses.Très photographiques à la Etienne-Jules Marey. Palpable sensualité d'un corps qui se meut, se couvre de peinture blanche laquée. Les pans de store comme des jalousies entrebâillées pour entrevoir l'ob-scène dissimulé.Formant un environnement de lignes rythmées comme une architectonique musicale à la Porzamparc. Des poses faunesques digne d'un Serge Lifar à la beauté sculpturale irréprochable.

serge lifar

Le personnage devient dadaïste à la Hugo Ball ou Brancusi façonnant le costume de Lizica Codreanu...

lizica codreanu
hugo ball


La musique présente dès le début de cette exposition, installation corporelle mouvante s'amplifie dans l'urgence; tel un guerrier japonais ou en toge ou tenue d'escrime, le danseur s'expose ou se coiffe, fait son défile de fashion-week contre voguing, le corps empêché dans une guêpière, un corset ou une minerve blanc clinique,médical.Une chute face au mur ajouré le plaque au sol; il "pense" ses plaies, noble Roi Ubuesque fragilisé par tant de candeur, de virginité blanche-neige immaculée.Au final dans un piège de lumières blanches, des ondes parcourent son corps animé de tant d'énergie dissolue, déployée qui se fond dans un environnement et répand sons et frissons d'émerveillement. Cette pièce très plastique, visuelle, est fondations d'une architecture dada fort inventive et structurée au fil d'aplomb!

A Pole Sud jusqu'au 20 Octobre

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire