vendredi 17 novembre 2023

Stras' is voguing: my mother is beautiful... Une gouvernante de choc: Lasseindra Ninja, passeuse de choc!


Résidence artistique « Stras is voguing »

Du 13 au 17 novembre le dialogue et l’expérimentation collective autour de la culture voguing s’invitent à l’Université de Strasbourg à travers une résidence artistique initiée par trois étudiantes en Master « Approche des politiques des arts de la scène et de leur médiation ». Ksu LaBeija, vogueuse strasbourgeoise, présentera aux étudiantes et étudiants le voguing et ses valeurs par la pratique chorégraphique et la découverte de la communauté ballroom.

Professeure de danse au Centre chorégraphique de Strasbourg et vogueuse depuis de nombreuses années, Ksu LaBeija considère cette semaine de résidence comme une initiation au voguing, une expérimentation collective de ce que peut être une résidence de voguing dans une université, ponctuée par des temps de réflexion autour de cette danse festive qui porte également un héritage politique pour les communautés queer, noires et latinos.


Ksu LaBeija transmettra son approche théâtrale et sensible du voguing lors d’un workshop qui permettra aux étudiants et étudiants de s’emparer des codes de cette danse et de la culture ballroom du lundi 13 au 15 novembre 2023 (accès aux étudiantes et étudiants de l'unistra, sur inscription, dans la limite des places disponibles).

Deux événements ouverts à toutes et à tous pour découvrir le voguing : la communauté universitaire et le grand public sont invités à découvrir le voguing lors de deux événements :Projection-discussion : documentaire Paris is voguing de Gabrielle Culand  (2016)

Et échange avec Lasseindra Ninja et Ksu Labeija
Jeudi 16 novembre à 20h | La Pokop, salle de spectacle Paul Collomp

Réalisé par Gabrielle Culand, ce documentaire contextualise l’arrivée du voguing sur la scène parisienne. Cette danse, née dans les années 1970 dans les clubs new-yorkais fréquentés par les gay latino et afro-américains, s’inspire des codes des défilés de mode et des poses des mannequins. Les danseuses et danseurs se regroupent en houses et s’affrontent lors de compétitions : les balls. Ce documentaire retrace les débuts de la scène ballroom française en suivant Lasseindra Ninja et Stéphane Mizrahi, pionniers du voguing en France. Il et elle transmettent les codes de cette danse à leurs “kids” qui apprennent à se sentir fiers de leur genre et de leur couleur de peau.

Danse de toute la peau, danse, élucubrations savantes et très techniques, issue d'une discipline féroce et d'un savoir être et vivre ensemble draconien. Telle serait la devise de la fer de lance du mouvement voguing hors des USA, Lasseindra Ninja . Un témoignage hors norme pour cette icône, cette star du voguing, battante, combattante depuis ses 13 ans où elle goute aux joies de cette posture et attitude de vie collective, le voguing. Une stature bien ancrée, franche et bâtie pour se mouvoir, se soulever toujours pour gravir les "sentiers de l'âne", là où tout est possible dans le respect et la considération de l'autre. Danser, se travestir, organiser des ballrooms en catégories très agencées, hiérarchisées comme à l'armée ou en batterie d'art culinaire: chef de rang, de party, elle-il faussement relax et débonnaire, se livre devant la caméra, discret témoin des événements festifs de la communauté voguing. Radicale position révolutionnaire revendiquée ici et vécue sans concession. On se donne en être adulte, on est "mother" par compétence et détermination pour cette communauté si attachante, virulente ou tendre aux évolutions artistiques sidérantes. 

La maisonnée comme foyer, berceau, nid d'accueil fraternel: nidifier pour sortir de sa chrysalide, accepter d'être éduqué, averti, drivé et coaché dans le bonheur de la confrontation.

Un ballroom c'est aussi un spectacle, une compétition entre "genre", une filiation avec l'insoumission, la désobéissance dans les règles d'un art strict et porteur de dignité, d'intégrité, d'altérité. La "mère des mères" est devant lors du débat qui suit la projection de ce documentaire, bijou du genre "la vérité ou rien". Ici on ne se cache pas, on ne dissimule rien, on tente, on essaie en public, on sex-pose, on se livre. Et ce don de soi est un échange constant entre gens du même bord. Une soirée riche et prometteuse d'une ouverture vers la pratique du voguing et ses effets bénéfiques sur la société en sommeil: debout, réveillez vous, la danse comme art du combat pour mieux se connaitre soi-même et celui qui est face à vous. Une "gouvernante" aux mains de fer derrière ses gants de velours, son minois confiant, son humour et son ironie constante. On ne badine pas avec le voguing et Marivaux aurait adoré ce que revendique aussi Didi Huberman: le soulèvements des corps dans des transports en commun hors norme. Au sein de "house" bien équipées!Home sweet home pas de tout repos! Cocooning s'abstenir.

Un sacerdoce intransigeant pour une "légende" vivante, "petite mère", Claude Bessy du voguing...

À la suite de la projection du documentaire, le public a  interagi avec Lasseindra Ninja (House of Ninja). Elle a répondu avec franchise et distanciation à des questions posées en amont sur Instagram, et a transmis des éléments clés de la culture ballroom. Danseuse de formation "classique" et internationale chez Alwin Aley, Martha Graham, interprète chez Boris Charmatz, La Horde, voici une porteuse, relais d'un flambeau, d'une esthétique singulière: défilé de corps costumés, affublés de vêtements extravagants, extra-ordinaires, magnifiant les corps rompus à une pratique galvanisante de la danse, hirsute, forte, puissante. Des ballrooms sous le signe entre autre de Néfertiti sont hallucinants d'inventivité, de créativité pour des métamorphoses singulières des personnes... Comment dès lors situer les travaux d'une Robyn Orlin, d'un Steven Cohen ou Trajal Harrell, champions du voguing "scénique", artefact d'une expression "populaire" en voie de réappropriation...?

𝑺𝒕𝒓𝒂𝒔 𝒊𝒔 𝒗𝒐𝒈𝒖𝒊𝒏𝒈 met à l’honneur Ksu LaBeija, French Mother of the Royal House of LaBeija, en résidence d'artiste à l’Université de Strasbourg !
Invitée par trois étudiantes en Master d’Arts de la scène, la vogueuse strasbourgeoise souhaite diffuser le voguing et ses valeurs par la pratique chorégraphique et la découverte de la communauté ballroom.

mercredi 15 novembre 2023

"Salti" : un remède à la mélancolie, toujours après minuit! Saltigondis et trois fois rien pour un triple salto!

 


Brigitte Seth & Roser Montlló Guberna Cie Toujours Après Minuit  France trio création 2021 

Brigitte Seth et Roser Montlló Guberna nous offrent une histoire qui fait apparaître un autre monde. Une pièce ludique et extravagante prenant appui sur la tarentelle, danse populaire du sud de l’Italie, une danse qui soigne. Ce contexte propice à l’imagination, nous invite à vivre des situations étranges, absurdes qui nourrissent la création d’un conte drôle, cruel, et fantastique. Sur le plateau, un trio complice (Jim Couturier, Louise Hakim et Lisa Martinez) se présente avec enthousiasme ; puis l’un d’entre eux lance : « Je m’ennuie, je ne sais pas quoi faire ». Alors, en guise de remède, ils décident de jouer au « tarantolato » (en italien « la personne mordue par la tarentule »). Les deux autres incarneront les personnages de danseurs-soigneurs. Chacun aura alors à inventer les pas, les mots, les comptines, les chants et autres formules magiques pour soigner leur ami. Une écriture ciselée associée au talent des trois interprètes nous offrent une pièce joyeuse et réconfortante qui nous fait voyager vers des contrées et des fables méconnues.


Salvateur, réparateur, salutaire...Ce trio fait du bien et soigne tous les maux liés à la "maladie" de la danse obsédante, par les gestes et les mots.La parole est reine et belle, inventive et sereine et berce de sa rythmique endiablée les faits et gestes de trois acrobates virtuoses du genre: mixer et remixer la pensée en mouvement: celle dont le pré-texte est la tarentelle, l'épidémie tectonique qui embrase le corps piqué par le venin de l'araignée...italienne! A régner à l'intérieur des muscles profonds et des têtes folles de ces trois danseurs, imprégnés de l'imaginaire de nos deux compagnes de la compagnie "Toujours après minuit". Brigitte Seth et Roser Montlo Guberca. Utopie des relations humaines, transe en danse d'une contagion qui fédère et pousse à aller toujours plus loin dans les abimes, failles et rebonds du geste créateur: les mots chuchotent, les gestes ondulent, les visages s'animent, les corps discutent, se répondent, se rebellent.Ça respire le bon air de la "tarantolata" à plein poumons.Sur la toile de l'araignée, les insectes dansent sans se faire piéger et tissent les voies du métissage et des entrelacs savants de la théâtralité des corps mouvants. Une belle réussite bien dosée!Et si Damoiseau et Damoiselles (d'Avignon) dansaient les passerelles inachevées d'une toile à tisser, geôlière magnétique d'un conte d'effets... 

Triple Salto

Un trois fois rien où l'on ne s'ennuie jamais, où les enfants, jeune public idéal devant ces ébats et soulèvements des corps, se régalent et rebondissent. En ricochet comme les mots qui vont et viennent comme des ritournelles d'antan En contagion rythmique grâce à l'énergie des trois protagonistes de choix: l'un bondissant, c'est Jim Couturier, les autres, maline Lisa Martinez, pétillante, gracile Louise Hakim. A eux trois, il font la paire comme pour un triolet dans le solfège des pas et rebonds. La tarentule grosse araignée dont la morsure passait pour produire une grande excitation nerveuse, comme animal obsédant, comme danse affolante, fébrile. Oui, ça fait mal et Jim se contorsionne de douleur alors que ses compères se questionnent sur son sort. Et c'est "tout mou" que son corps bascule, porté par ses complices: la marche aérienne, hors sol est de toute beauté. Si l'on pouvait aussi échapper à la pesanteur pour atteindre les sommets de l'apesanteur. Et ces tremblements orgasmiques de la tarentelle de se répandre joyeusement en sarabande italienne, pleine de punch et d'enthousiasme sur le plateau.

A Pole Sud le 15 Novembre

samedi 11 novembre 2023

Benedicte Bach: la coupe est pleine! "Jetlag" à la Pierre Large : le décalage horaire opère en règle.

 


Le travail de Bénédicte Bach se joue régulièrement d’arythmie et d’atemporalité. Une rhétorique poétique habituellement construite avec du détail, de l'abstraction, des escapades symboliques pour s’éloigner du réel. Après avoir exploré des matières et des métaphores, cherchant à suspendre le temps et en révéler la substance poétique, elle nous offre ici un regard plus intime, plus personnel peut-être, plus engagé. La poésie distillée ici est plus radicale et prend des accents d’un discours féministe. Les choses se transforment, sous nos yeux, le trop plein, le goutte à goutte, les matières s’imbibent, s’évaporent, s’émancipent. Le chaos n’est pas loin. L'artiste utilise des objets du quotidien, des objets symboliques de la vie d’une femme, et les tourne en dérision, comme pour s’affranchir de leur soumission. L’équilibre naît du déséquilibre, les livres s’amoncellent dans une baignoire, des peaux en cuir également, du papier de soie, du vin déborde du verre, les choses ne se présentent pas comme elles devraient l’être, des feuilles en papier s’envolent dans un souffle. Il y a dans ce travail quelque chose de crépusculaire, d’une profondeur sensible à la vie. Un propos un brin désabusé d’un monde qui aurait perdu ses repères ? Les autoportraits à travers des vitres explosent le prisme, en décomposent le visage. D’autres ne révèlent que des morceaux d’une identité qui ne se donne à voir que de façon fragmentaire, les draps plissés sont vides. Ce qui compte est laissé hors de notre vue, comme pour questionner le sens de nos disparitions. Rien n’est figé, tout se transforme. Pour compléter ce tableau, une installation épurée vient apporter son écot à l’ensemble de l’œuvre. La fête est finie montre des traces, des morceaux d’une réalité, et dans une épure de geste, vient témoigner de ce qui a été, comme une ponctuation mémorielle de nos imaginaires envolés. Jubilatoire, poétique assurément, imparable.

Dans l'exposition les images du corps de Bénédicte nous interpellent: visage morcellé, nudité plongée dans un bain sec de jouvence au creux d'une baignoire asséchée, plis et replis des matériaux qui recouvrent, dissimulent son corps. A peine entrevu comme une censure de l'artiste par elle-même et son iconique représentation. Autoportrait ou auto récit, narration visuelle d'une femme qui se conte et ne compte pas sa dévoration livresque de littérature. Les vidéos montrées, courts métrages d'art sont remarquables: une sorte de sablier aux contours de vasque féminine, courbes et amplitude d'une hanche, d'un buste de verre dans des teintes bleutées. Des bulles d'air comme du champagne grimpent au ciel en orgasme ascendant. C'est beau et sensible, romanesque et romantique dans un médium hyper contemporain: l'électron libre de la vidéo qui se dissémine comme des spermatozoïdes légers, heureux élus en fin de course vers cette matrice offerte. Puis, le clou de l'expo réside en cette vidéo au coeur d'une installation très intime, au sol, objets et amulettes, petits rien déposés comme des offrandes au pied de l'autel. Païen à coup sûr. Un verre au pied long, une vasque comme réceptacle, calice des images. L'hostie c'est le tampax, bouchon du vagin en cas de pertes menstruelles, mensuelles. Le sang, c'est le vin et la coupe se remplit par magie, puis dans un goutte à goutte sensuel vertigineux. Images d'un verre de champagne pétillant où l'on aurait trempé un biscuit rose de Reims. Tabou ou objet de culte sauvage et beau. La communion est prête, le jeu de massacre démarre comme dans un bowling de quilles-tampons neufs et résonnants sur un sol musical percutant. Et le tampon de coton de s'épanouir en blaireau à plumes, les tampons baignés de vin de sécher peu à peu comme des fleurs fanées. Le temps passe, le corps se flétrit, s'étiole, fait grise mine. Le temps pacse les êtres entre eux et confine la chair. Histoire de femme, certes mais son et images se distillent comme une liqueur de chair au sein d'une clepsydre invisible. Du bel ouvrage incendiaire et doucement révolté sur l'image fantasmée de la femme-fleur immaculée conception. Et l'Annonciation de nous révéler la part des anges qui s'évade au fil du temps pour abreuver les sillons de nos imaginations. Un travail fertile, une terre labourée "incognita" aux secrets de cabinet de curiosité très contemporain.

A La Galerie "la pierre large" jusqu'au 16 Décembre


clin d'oeil à Preljocaj ?