jeudi 12 décembre 2024

"Je crois que dehors c'est le printemps": une femme enquête , une quête vitale pour se reconstruire.

 


LA DOULEUR TOUTE SEULE NE TUE PAS.

Ils ont dessiné une spirale. Ils m’ont dit : « Madame, vous êtes ici au centre. Si vous ne réagissez pas vous finirez au fond. Le final est toujours tragique. Il est temps d’en sortir. » C’est là que j’ai entendu pour la première fois le mot « psychorigide ». Personnalité psychorigide. Je lui ai proposé d’aller ensemble voir un psy. Il m’a répondu : je viens, seulement s’il est allemand. On y est allé. On est resté longtemps en thérapie avec une psychologue de couple. Personne, quand Mathias a disparu avec les petites, personne n’a ressenti le besoin de lui demander son avis, à elle.


Depuis le soir où son mari disparaît avec leur deux petites filles, Irina marche au bord d’un précipice sans fond. Son existence se délite dans les impasses de l’enquête policière et l’insoutenable évidence d’un deuil impossible. Et pourtant elle avance. Elle continue à rire et à aimer avec toute la force de sa douleur et de son acharnement à vivre.Époustouflante, parfois glaçante, Gaia Saitta nous plonge sans masque et sans filtre, dans la spirale intime des pensées d’une survivante. Rassemblant les fragments d’un odieux fait divers, Giorgio Barberio Corsetti met en scène un rituel d’humanité et d’émotion où le public est juge et partie d’une histoire d’amour et d’espoir

Elle est seule en scène mais bordée de la présence constante de six personnes qui vont l'accompagner tout le long de la pièce. Personnes choisies au hasard avec leur consentement parmi le public, chazque soir donc, différentes.Elle, vêtue sobrement d'une robe seyante. Elle nous invite d'emblée à partager un moment très intime, confession de vie, de secrets intimes, de paroles couchées sur un texte feutré très impliquée et plus que concernée par ce récit personnel. Autobiographie quasi tant la comédienne est impliquée physiquement dans ce personnage que l'on adopte de suite. L'empathie est grande avec elle: son destin, son mari qu'elle aime toujours et qui reviendra souvent dans ses pensées comme une ombre, un fantôme . La vie est compliquée, faite d'entrelacs, de voyages, de surprises. Et les deux enfants nées d'une union réciproque seront les victimes d'un enlèvement, d'une disparition dont l'issue ne sera jamais éludée.Mystère et regrets, chagrin mais force et combat pour cette femme vive et déterminée. Le sort en est  jeté, les dés pipés par toute une série d'événements qui bousculent notre comédienne qui va et vient entre incarnation et dédoublement. On y croit ferme et la comédienne avouant au final être personnellement devenue mère depuis peut, sème le trouble. De qui s'agit-il, de l'héroine Irina ou de Gaia Saitta l'interprète. "Il faut que je me quitte" pourrait-on l'entendre dire tant l'investissement est fort de la part de l'actrice qui se fond dans son personnage et le ressuscite à l'envi. Barberio Corsetti également aux commandes de cette mise en scène à quatre mains.: images vidéo, public participant filmé en direct ce qui trahit leurs réactions dans l'instant. Sobriété et efficacité des déplacements, divagations de la femme qui face à nous est sans recul ni distanciation. Une oeuvre scénique très implicante qui invite à la découverte et à l'empathie. Les baleines comme compagnes de vie et de route, cétacés agiles et ondoyants à l'image bleutée au final.

d’après le livre de Concita De Gregorio

Adaptation et traduction Gaia Saitta Mise en scène Gaia Saitta, Giorgio Barberio Corsetti Théâtre National Wallonie-Bruxelles (Belgique) Avec Gaia Saitta 

Au TAPS Scala jusqu'au 12 Décembre

 

mardi 10 décembre 2024

"Différence et répétition": Linéa et L'Imaginaire: une rencontre inédite et audacieuse.

 


Peut être une image de 2 personnes et texte
🕗 20h
📍 Salle Münsterhof, 9 rue des Juifs, Strasbourg
Dans le cadre du Festival Champs Libres (Ensemble Linea & Ensemble L'imaginaire), l’Ensemble L’Imaginaire présente la première partie de la soirée : Concert Différence et répétition
💡 “Le paradoxe de la répétition n’est-il pas qu’on ne puisse parler de répétition que par la différence qu’elle introduit dans l’esprit qui la contemple...”– Deleuze
Avec des œuvres captivantes d’Eric Wubbels et Bernhard Lang, explorez le phénomène de la répétition musicale, entre changement subtil et groove envoûtant. 
 
Programme :
🎷 Eric Wubbles : "This is this is this is", pour saxophone et piano: c'est une pièce répétitive où la pianiste et la saxophoniste excellent dans le jeu obsessionnel, virulent, magnétique. Envoutement ascensionnel garanti!. Le tout nécessitant une écoute drastique de l'autre pour une parfaite harmonie des tempi,une gémellité complice dans l'interprétation, interpénétrations des sons, tonalités, timbres. L'oeuvre de  Wubbles parfois assourdissante, intense comme jeu d'expression des instruments, unique et surprenante.Après une lente accalmie, revient un leitmotiv hypnotique, réitéré pour sa densité expressive. Les sons fracassés par une tectonique musicale, appuyée, très contrastée. Entre douceur et aspect abrupte: le jeu de mains et de doigts de la pianiste comme baguette indicative, très plastique et visuel. L'ambiance, l'univers, l'atmosphère de la pièce fort bien rendue par les deux interprètes complices et sereines.
 
Suit de  Bernhard Lang : "Differenz/Wiederholung 1.2", pour flûte, saxophone et piano
Dans la même perspective de réflexion que l'exposition à Metz-Pompidou dans l'Art, voici  dans une syntaxe et un phrasé augmenté, une pièce rare où à chaque mesure unisson ou diffraction des sons s'assemblent et se rejoignent. Un tableau vivant que ces trois femmes interprètes, virtuoses: musiciennes au travail, proches de nous dans une respiration commune. Fresque vivante, animée par cette musique répétitive de bon aloi. Un trio très accordé, à l'écoute de l'alternance ou les dialogues des trois instruments entre de bonnes mains.
L'Imaginaire :
- Keiko Murakami (flûtes)
- Wychariy Cruz (saxophones)
- Carolina Santiago Martínez (piano)
 
 
:: 2ème partie ::
« Une Histoire de contrebasson »
par Antoine Pecqueur, bassoniste de l’Ensemble Linea
Une petite et grande histoire du contrebasson par un spécialiste plein d'enthousiasme contagieux.
Saviez-vous que Jean-Sébastien Bach avait utilisé le contrebasson dans sa Passion selon Saint Jean ? Saviez-vous qu’au XIXème siècle, le contrebasson était le plus souvent joué par des contrebassistes ? Saviez-vous qu’une jeune compositrice espagnole, Natalia Laguens, utilise le contrebasson comme un personnage de jeu vidéo ?
L’histoire de cet instrument est aussi méconnue que riche en rebondissements ! Pendant une heure, Antoine Pecqueur vous propose un concert commenté, qui met en scène cette fabuleuse aventure. Riche en anecdotes, ce concert commenté donne à entendre des extraits de grandes œuvres du répertoire et des pièces originales écrites pour contrebasson.
 
On démarre avec Huit oeuvres courtes signées Jean-Daniel Braun : Caprices et autres menuets épousent la danse et le gros contrebasson, instrument grandissime aux proportions étonnantes, se fait soliste comme un énorme narghilé-shicha esthétiquement parlant. Donnant du pois et de l'aplomb à la légèreté et l'élévation baroque. Relevés, demi-pointes, révérences, phrasés voluptueux Suit un rondo pour continuer la déclinaison de la musique à danser. Refrain-couplet en leitmotiv dans un son sourd et feutré. Joyeux relevé de rythmes mélodiques. Suit un menuet, élégant, distingué, enluminé en arabesques, tours et sautillés  Un largo et son double en vibrations et tonalités variées, un presto plein d'humour, rapide et labial. Allègre et véloce interprétation du musicien épris et passionné de son instrument rare et unique. Suit un lamento solennel et grave, puis une fantaisie vivace, brève, encore un menuet, plié, relevé, niveaux et regards tournoyants. Cette palette multicolore et bigarrée sied à merveille à Antoine Pecqueur qui par la suite s'empare d'un contrebasson moins "exotique" pour interpréter:
Johann Sebastian Bach : Partita (sarabande et bourrée): la facture moderne de l'instrument étonne et rassure: voici ce bijou à vent magnifié par la syntaxe de Bach, mieux connu!
Erwin Schulhoff : Le Rossignol de basse: cette pièce surréaliste en diable est aussi atypique que gracieuse. Du cabaret Voltaire à l'état pur:du fouetté et malmené pour dépoussiérer les esprits bourgeois. Malin, plaintif à l'excès, solennel et grave, un savant mélange qui ne ménage pas les méninges ni les oreilles.
György Kurtag : Schatten est une ombre musicale savante, saccadée, hachée, bordée de silences opportuns. En vives parcelles fugaces, séquences alternées de sons et de perte sonore.

Et, oh surprise c'est avec la présence exceptionnelle de Natalia Laguens pour son: "J’ai trouvé une chauve-souris dans mes rêves", pour contrebasson et électronique que se termine en beauté ce concert . Un personnage de jeu vidéo comme acteur bordé d'une bande son indiquant les règles du jeu. Du souffle, un jeu sur les clefs et un beau jeu d'acteur incarnent cette oeuvre originale. Halètements, ratures,, angoisse et frayeurs dans cette interprétation hors pair très subtile. On imagine la démarche du héros, ses errances lentes, ses divagations. Ses allées et venues sur l'écran et le réactions physiques du joueur. Les séquences osées, variées, aventurières et buissonnières à souhait. Dans une agitation frénétique, la panique s'empare du musicien-joueur pour ce dernier tour interrompu puis repris. La récréation se termine, les jeux sont faits: reste de l'instrument le son de la langue de belle-mère, sans embouchure. Humour au final et astuce comme dans toute la présentation conférencière d'Antoine Pecqueur, intarissable sur le sujet!
 
 
🎭 Un festival à l’histoire riche : Champs Libres
Le Festival Champs Libres, lancé par l’Ensemble Linea à la fin des années 2000, était un rendez-vous alternatif où la musique, la danse et les débats politiques se mêlaient pour questionner le monde. Interrompu en 2011, il renaît aujourd’hui grâce à une collaboration entre Linea et L’Imaginaire, avec une soirée en deux parties pour poser les bases d’un grand retour prévu en 2025.
Rejoignez-nous pour revivre l’esprit unique de ce festival iconique ! 🎵 Une soirée parfaite pour échapper à la foule des marchés de Noël et découvrir une musique aussi stimulante que surprenante, au cœur de Strasbourg !

lundi 9 décembre 2024

Kristine Groutsch & Marie Chauvière "Dance Flore": architectes jardinières de fond sans fil à plomb!

 


Kristine Groutsch & Marie Chauvière Cie Les Filles d’Aplomb France duo création 2024

Dance Flore


Comme les fonds marins, le sous-sol et la vie souterraine terrestre restent méconnus. Pourtant, c’est sur sa flore et sa faune que toutes les autres formes de vie reposent. La compagnie Les Filles d’Aplomb invite à zoomer progressivement, dévoilant des dimensions occultées. L’univers auditif est l’élément qui nous conduit d’un espace à un autre : un paysage sonore souterrain accompagne le public jusqu’en salle où le son est amplifié. Pas et pattes discrètes rythment une poésie des saisons tandis que des effets de basse sourdent du sol dans une invitation à se lever pour participer. Entre danse des fleurs et piste de danse, la pièce tend des loupes et des microphones au ras des pieds. Kristine Groutsch et Marie Chauvière allient textes, immersions sonores, chants, invitation à donner de la voix et danse collective. Les nouvelles perceptions du monde invisible et foisonnant, ici déployées, permettent d’envisager d’autres « manières d’être vivant », selon la formule du philosophe Baptiste Morizot.

 
Elles ont de l'aplomb ces deux interprètes, filles et femmes d'aplomb!Sans fil à plomb mais en équilibre toujours. Les voilà investissant l'espace d'accueil de Pole Sud: hululement de chouette ou de hibou, tambourin magique résonnant pour nous faire pénétrer dans leur jungle végétalisée. Car les plantes sont au coeur du sujet et de l'espace: des photos géantes en pendrillon annoncent les couleurs et nos deux danseuses habitent leur territoire terrestre à l'envi. La lune-fleur se ballade parmi le public, tambourin magique, percussion légère, tonique.Elles nous conduisent en salle, chacun reçoit deux graines de courge ou de tournesol..A planter plus tard sur un bon terreau.Et tout continue à grand renfort de chant, de textes écrits très poétiques pour la circonstance, pleins de douceur: un inventaire de plantes citadines pour paroles fertiles et fécondes. Un rap du grillon, cet insecte diurne qui crisse dans les champs. C'est touchant et ludique, malin et plein de fantaisie. Pas de mauvaises graines ici mais des herbes folles en photosynthèse qui ne sont pas de la foutaise. On reprend en rythme partagé ce leitmotiv de manifestation syndicale pour ne pas se planter de champs. Fleurs des villes et rats d'opéra des champs, elles sont vers de terre, bestioles non nuisibles et les pupitres de leur herbier de coeur sont frangés de lierre grimpant. Aux murs des tambourins imprimés de photos "maison" de grillon, bousier, champignon, insectes font office de rondo végétaux. Isabelle Thelen , une fille à découdre pour scénographe textile très inventive et complice.Et la valse des fleurs continue sur ce bel herbier, leporello de tissu comme un herbier tissé. Une loupe pour ne pas louper les détails, des lombrics à brac comme habitants de ce terreau, humus fertile et bienveillant. Les corps s'y meuvent à l'aise, les voix sont toniques et incarnent le souffle, le son des corps dansant. Deux belles plantes pour réjouir vos jardins secrets et dévoiler les us et coutumes de la nature, de la terre. Elles ont des racines et des ailes, arbre ou simple être humain les deux pieds sur terre, dans la terre nourricière. Dance flore à fouler sans modération en divaguant sur les pelouses sauvages interdites. Les enfants invités ce matin là à danser n'en n'ont pas perdu une graine. Lisez "Humus" de Gaspard Koenig pour rester sur leurs traces! Et être une fleur "habillée"...


A Pole Sud jusqu'au 10 Décembre