samedi 18 février 2012

"Flip book": ré-citation, ré-création:Merce by Merce by Charmatz!



Alors que la compagnie de Merce Cunningham lui rend un dernier hommage en présentant "Suite for five", Boris Charmatz interroge en gardien iconoclaste de la mémoire de la danse, l'œuvre protéiforme du grand Merce, ce bird aux pieds de Pégase qui sautait plus haut que son ombre, et faisait des gymnopédies d'Erik Satie, des musiques à danser autour du buffet! Et voici les enfants terribles de Cunningham heureux d'en découdre avec le traditionnel "hommage à" en s'inspirant du bel ouvrage de référence de David Vaughan, son biographe de toujours. Faisant office de partition chorégraphique pour la régie durant le spectacle, le book est l'objet de la tourne, comme pour un musicien attelé à son instrument. Placé juste derrière la régie, on se régale de voir évoluer les six danseurs à l'image des photographies qui illustrent ce temple de la mémoire et du patrimoine de Cunningham.
Mais pas de mimétisme pour autant.L'humour, le détachement et la distanciation font jaillir de la danse des bribes, des détails, des citations chorégraphiques qui sourdent des corps en éternel mouvement. La musique? Elle va et vient, se fraye un chemin dans le vaste espace où les danseurs lancés dans leurs "events" font les électrons libres. Foofwa d'Imobilité, Raphaëlle Delaunay et les autres, Boris Charmatz semblent se régaler, entre contrainte, discipline et imagination débordante. Ils plaisantent, se rient de leur expérience comme Merce le faisait avec son compagnon de vie et de scène, John Cage, pouffant de rire et de vie à longueur de journée (voir le très beau film (Cage/ Cunningham de Elliot Kaplan)


Les justaucorps dont les six danseurs sont vêtus évoquent les ballets de Cunningham et l'on se complait à y voir en raccourci l'une ou l'autre des œuvres citées, telles "Beach bird".Un "scénario" inoubliable où après ce condensé d'images-mémoire, chacun se lâche et laisse libre cours à son interprétation de l'univers du maestro de la post-modern dance, toujours à l'affut du neuf, du drôle et du chorégraphiquement "incorrect".Quelle intelligence de la part de Charmatz de montrer ainsi que son "musée de la danse" est vivant, déflagrateur, respectueux et empreint de la "culture" de la danse qui échappe ainsi à tout formatage classique.
Oui, "je suis une école de danse" ouvrage qu'il signe comme manifeste ou traité est bien vrai et d'actualité. Si un centre chorégraphique est bien ce "bocal" où l'on "conserve" l'authenticité du mouvement de la pensée, alors Boris est bien la Méduse de Valéry, ou cet homme qui ne danse pas de Mallarmé. A vos livres, à vos "book" pour en faire non des gadgets mais des trésors à partager, à feuilleter comme des rebondissements, des idées à saisir au vol. Au voleur d'images, à celui qui capte le monde à vif, merci pour  ce roaratorio, ce polarity, ces combinaisons, comme autant de combines à la Rauschenberg...
Quand les contemporains signent une danse imbibée de Merce tout en tuant le "père" pour naviguer en free-lance dans l'espace, c'est à une totale réussite jubilatoire que l'on assiste, suspendus au rythme, au timing du spectacle, en proie à une empathie rare et audacieuse.Homme-animal, homme- oiseau notre Piped est loin d'être mort et enterré.
Comme avec Jérôme Bel et son "Cédric Andrieu", encore une belle vision des connivences, complicités et conversations avec le grand "papy" de la danse!!!!
Surtout pas de mausolée pour embaumer la danse, ni de panthéon! Cela met du "baume" au corps que d'assister à un tel événement, un juste chassé-croisé, entre chat et loup à l'aube du deuil de Merce Cunningham!

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