mercredi 6 novembre 2019

"OIKOS LOGOS": abruptes de coffrage !


Étienne Rochefort / Cie 1 des Si - Artiste associé
 "La danse peut-elle croiser les théories de l’évolution, ses questions historiques, scientifiques ou politiques ? Fantastique sujet qui a inspiré à Etienne Rochefort sa nouvelle création, OIKOS LOGOS. Une pièce construite à la façon des poupées russes qui s’emboîtent, présentant de multiples cartes d’identités dansées aux accents virtuoses. Peut-on se confronter à l’archéologie des corps ? C’est à cette recherche que s’est consacré Etienne Rochefort pour initier sa nouvelle création OIKOS LOGOS. Travail d’introspection pour chaque danseur à la découverte d’étranges qualités, parfois liquides, reptiliennes ou bien plus explosives et félines. Travail de fouille et d’épure pour le chorégraphe porté par la suite à s’interroger sur l’animalité, l’évolution, l’écologie des corps. De cette brève histoire de l’humanité, de ses conditions d’existence, il a fait matière à création. Mais c’est sous forme d’allégorie, que se présente OIKOS LOGOS. Fabuleuse mise en scène où se croisent danse, musique et théâtre, où les personnages peu à peu évoluent jusqu’à l’abstraction, où la virtuosité des langages et de l’écriture sont « au service des émotions ». Entre la maison, l’habitat, l’environnement (oikos) et le discours, la science (logos) Etienne Rochefort conduit gestes et propos. Il est accompagné de quatre danseurs, d’une chanteuse lyrique et de deux musiciens."

Ca démarre sur fond de vrombissements guerriers, dans des positions cabrées, bouche ouverte, comme dans une toile de Goya, où les héros figés, tétanisés, médusés bougent à peine: ici, c'est le ralenti qui s'impose et les corps aux segments masqués par des accessoires hétéroclites, masques de corps curieux....s'émeuvent lentement.Des bijoux, parures corporelles, couronne ou armure de clef, comme un attirail de combat.C'est une chanteuse qui exhume des corps inertes, défaits, immobiles, lourds et indolents: comme une résurgence de vie, elle les manipule dans une renaissance magique. Ils refont surface, magnétisés puis manipulés par un chef de file, torse nu comme eux, qui attire à lui comme un aimant ces corps désireux de danse, de mouvements, ressuscités... Il y a quelque chose de biblique, de sacré dans ce rituel énigmatique qui questionne et séduit dans l'énergie douce qu'il procure. Comme des pantins mécaniques, les danseurs, couchés au sol réagissent, interagissent  dans ce carousel de marionettes à fil.
Ca tire, résiste, ça manipule dans la raideur: on y enfile des thi shirt en se masquant , on tente de parler dans une agora qui ne se fera pas "on arrive à parler", alors il vaut mieux laisser faire les corps pour exprimer l'indicible intrinsèque à la danse... Un très beau travail vocal, au ralenti, instaure une ambiance singulière et votive, sacrale.
 Sur des sons caverneux, curieux, bizarres... Murmures de messe basse en réverbération sur une musique techno, toujours au ralenti... Dans une unisson de gestes basiques technos, la meute évolue, triviale, tribale, des gestes empruntés aux rituels pop ou jerk, citations de postures, attitudes et mouvements galvaudés.
Un solo s'en détache, de Marino Vanna,mu par une énergie et une virtuosité étonnante, signature d'un danseur prodigieux. Tous très engagés dans une violence virulente sans concession à la pesanteur dans des gestes tectoniques en segments déstructurés comme une construction architecturée, en émulsion, en strates ou palimpseste déconstruit.
A rebours comme au cinéma, en ouverture ou prologue, bobines argentiques de kiné matographie en scénario voisin de série ou suites indécises de sénario-image à décrypter!
Une bande d'adulescents en goguette, meute ou tribu soudée, solidaire, en alerte, à l’affût.
Dans les hauteurs du décor, sorte d'échafaudage qui mène à la connaissance-des livres pour symboles-, le maitre à danser, big brother d'occasion ou de pacotille, soumet les trublions de l'orchestre, dans ce monde du bas, dans des danses grotesques et caricaturales. Encore un magnétique solo, de Maxime Cozic, mu par une énergie inouïe, au sol, sculpturales formes qui se catapultent, sauts à l'horizontale, indescriptible écriture virtuose pour corps aguerri  à la discipline drastique du hip hop, très lointain mais à la base de ce "langage" inédit! Bordés par le chant d'une femme attentive, la danse acrobatique est distinguée, sans effet de manches ou de démonstration, découpée, segmentée, hachée en tectonique des plaques, géologie d'une mécanique minérale et organique...Habité par la grâce, ce corps qui oscille, se retourne sur le flanc, est animal, sensuel et inquiétant, mutant vers une logique inconnue.Un autre hésite, tente une ascension impossible tel Sisyphe , "comique" de répétition qui fait se tordre de rire la seule femme de cette meute en rut. Douleur, souffrance ou jouissance des corps électrisés, convulsions et transes, possession pour cette écriture chorégraphique, très prometteuse de Etienne Rochefort dont il faudra suivre avec enthousiasme et curiosité l'évolution dans le temps: mais déjà la valeur semble ne pas attendre le nombre des années, et ce jeune auteur plein d'inventivité et de talent, séduit, intrigue, questionne l'avenir des formes chorégraphiques: vers des gestes et séquences où la dramaturgie serait nouvelle et adaptée à la danse sans copier ses voisins de palier, théâtre, cirque ou autre médium... Une danse de vermisseaux comme final, de zombis enivrés se saoulant de rythme et d'énergie pour une empathie singulière avec les spectateurs, ce soir là conquis par cet ovni à hauts risques et haute tension, sans filet ni socle , brut de coffrage, abrupte de matières corporelles vivantes et grinçantes. Aride climat à réchauffement pour mijoter des élixirs dansés à foison dans l'alambic distillant un goutte à goutte châtié de grammaire chorégraphique déstabilisante.

A Pole Sud du 5 au 7 Novembre

France / 5 danseurs + 3 musiciens / 60' Création / Premières / Coproduction POLE-SUD, CDCN 

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