samedi 23 novembre 2019

"Sound Around N° 4 Iran" : Terre d'ocre, de Sienne et de musique, spirale de saveurs.


Cette année, Sound Around est Iranien.

Après avoir exploré le Japon au travers du Sho, le Mexique au travers des jeunes compositeurs que nous y avons rencontrés ou encore les univers nébuleux et oniriques du cymbalum, nous vous proposons cette année un voyage musical au cœur de la scène contemporaine Iranienne. Axé autour de la création d’un volet de « l’Espace du dedans » d’Alireza Farhang et de « The Bird Has been dead for more than 60 years » d’Arshia Samsaminia, ce programme nous emmènera également dans les mondes musicaux de la compositrice Elnaz Seyedi.

"L’occasion pour nous d’explorer des formes instrumentales nouvelles en étendant notre ensemble à la pianiste Nina Maghsoodloo et la violoniste Clara Levy. Un voyage à la découverte d’autres mondes, un cycle pour charger notre curiosité d’interprète et nourrir celle de vos oreilles."

Les musiciens évoluent dans les univers scénographiques et lumineux de Kapitolina Tcvetkova-Plotnikova et Raphael Siefert, imaginés tout spécialement pour ce concert.

Flûtes : Ayako Okubo Clarinettes : Thomas Monod // Percussions : Marin Lambert & Olivier Maurel // Piano : Nina Maghsoodloo // Violon : Clara Levy // Violoncelle : Elsa Dorbath //
Scénographie : Kapitolina Tcvetkova-Plotnikova// lumières : Raphaël Siefert

Le jardin suspendu de la musique, chant de la terre

Elnaz Seyedi : "Fragmente einer Erinnerung"
Dans une ambiance de bruits très "urbains", les sons démultipliés abondent: l'ensemble de musique de chambre au grand complet s'épanouit dans le calme, le piano résonne en percussions , le violon gémit et souffles et bruissements s'installent. Une femme tout de blanc virginal vêtue avance sur la scène, manipulant des sculptures de poterie de plâtre suspendues aux cintres.Marionnette à fil elle s'intègre dans ce dispositif et ne le quittera plus, fantôme errant, sur les cordes dissonantes des timbres, sur le fil de rasoir de cet opus riche de déséquilibre de masses sonores emboutées, imbriquées dans le flux des sons; des plaintes métalliques et grinçantes, concourent à cette atmosphère étrange, venue de pays lointain, comme cris et chants oubliés.Le piano comme une caisse de résonance, manipulé dans son corps, fait office d'écho de caverne, de grotte où les stalactites de porcelaine au dessus de nos têtes menacent de fondre, de chuter de s'écrouler.


Alireza Farhang, avec "Anagran, "lumière infinie" en langue persane ancienne fait place à un solo de violoncelle, bordé des vents qui apparaissent de derrière le rideau... Des tonalités inédites renforcent la matière sonore, la texture fragile proche de l'univers plastique de la scénographie. Blancheur et finesse des matériaux des objets suspendus répondent en miroir à la musique ornementale et monodique. Corps-raccords pour les flûtes et les cordes qui se relient tissant timbre, mélodie et gestes des musiciens et de la danseuse.Les cocons de plâtre toujours suspendus dans l'éther, un plexiglas en ruban pour litanie musicale qui se déroule au gré des manipulations de cet étrange personnage aux longs cheveux défaits masquant son visage
Comme une ligne oblique, portée musicale, tendue dans l'espace, la musique se fait ligne fluide, filet de flûte virtuose, souffle infime.
L'intrusion du piano en contrepoint, léger, naturel centre d'émission de percussions, fait miroir et réfléchit les effluves poétiques du morceau .

Encore à l'écriture de la pièce suivante, Alireza  Fafhang avec "Zamyad", multiplie les accents de  musiques persane et indienne qui  se fondent ensemble, se relient et le geste dansé devient prépondérant:: le violoncelle, soliste, évoque des contrées lointaines, évanescentes, les sons enregistrés bordent cette interprétation radieuse de tonalités venues d'ailleurs.Les cocons de sable déversent leur poudre de couleurs qui se répand au sol: la danseuse frôle ces matériaux ancestraux, terres de sienne et d'ocre, terre de carrière et laisse ses empreintes au sol, traces et signes, notations chorégraphique sur la partition musicale Composition instantanée suspendue aux aléas des tournoiements qui tels un encensoir répandent en thuriféraire, le sable d'un compte à rebours de sablier du temps.
Oeuvre musicale et plastique très aboutie, rituel et petite cérémonie de gestes épicés aux fragrances de souk parfumé de senteurs orientales, chaudes comme des immortelles, des fragrances de curcuma ou de coriandre, de curry exotique !
 Comme un balancier du temps hypnotique, les mouvements musicaux rejoignent les gestes de la danseuse qui s’immisce, immobile dans ce jeu de sonorités. Les plis blancs de son costume pour enrober comme des fleurs votives, les ex voto musicaux, offrandes  de cet opus enchanteur, hypnotique.
Immobilité du corps, réflexivité des sons qui l'entourent.Rituel giratoire où la danseuse se macule de teinture rouge, évoquant le sang, la lutte, la résistance du peuple iranien opprimé.

Un tissu sonore et visuel qui laisse place à "L'espace du dedans" de Alireza Farhang, inspiré des gestes musicaux et poétiques de Henri Michaux, laisse place à la magie de la scène:Paroles et chants enregistrés donnent vie à un opus brisé par le son des sculptures qui éclatent, volent en mille petits bouts de plâtre délivrant des fragrances suaves et nourricières des plats et mets de la cuisine iranienne.
Glaneuse de débris répandus au sol, la danseuse se fait Petit Poucet et trace des chemins de traverses, des balises sonores et visuelles, repères , traces et signes d'une notation chorégraphique rêvée: composition sonore et visuelles magnétique, envoûtante pour le regard et l’ouïe!
 Des voix enregistrées comme un chœur lointain font de ce rituel de reconstitution, de réparation, un symbole de justice, de droiture et d'espoir: recoller les morceaux, les debris des horreurs commises "irréparables".La cérémonie de dépôt des pots de terre comme une messe, un office sacré, traçcant des balises; les percussions comme autant de sons de cailloux semés pour retrouver le chemin qui mène à la réconciliation. Le percussionniste inspiré par la présence de cette magicienne, mage ou druide officiant à cette cérémonie de la terre. Terre manipulée avec respect et considération; les ocres, couleurs sableuses, terre de sienne des carrières comme à Rousillon où l'on marche dans la matière qui se dérobe sous les pieds. Les reliques sacrées des cocons de plâtres démantibulés, mini chortens cabalistiques, petits monticules , cairns votifs plein de charme et de beauté plastique. Les roses des sables d'Hispahan, les beautés de l'Iran menacé par la folie humaine en contrepoint du concert en hommage à ce pays ravagé.
Des vrombissements menaçants en attestent.
Arshia Samsaminia clot ce magnifique et troublant, émouvant concert avec "The bird has been dead for more than 60 years".
Alors que la danseuse se macule de teinture rouge sang, souillant la virginité de son costume blanc, la grande flûte embrassée par l'interprète gracile, se fait acteur du drame. Majestueuse et discrète à la fois, présente et grave. Le souffle des percussions insistent comme dans une marche funèbre, lourde et oppressante., pesante, solennelle L'officiante se coiffe, répétitif mouvement de remise en ordre qui s'accélère, obsessionnelle, rapide, fébrile comme la musique. Morceau vif, relevé: l'ensemble au complet, dirigé par un maitre de cérémonie, Olivier Maurel, efficace et perspicace, à l'écoute de cette musique écrite aujourd'hui par ceux qu'inspire ce pays fabuleux aux fragrances d'antan.
Les saveurs douces et fortes d'un événement aux transports des sens, dessus, dessous !

A l'Espace K le 22 Novembre



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