Olga, puisque te rev'là ! et que Natacha est là !
Et en maitresse de maison ou de cérémonie, elle arpente le plateau en compagnie du public qu'elle a auparavant invité à découvrir sa "cartographie" chorégraphique, traces et signes dessinés au sol quadrillé de noir et blanc comme au jeu "de dames".Car de "dames" il s'agira sur cette carte du "tendre": paysage labyrinthique de la pensée d'Olga, cap sur la terre ferme,comme la qualité gestuelle de Natacha qui empruntera son enveloppe charnelle durant cette "passation de rôle".
Mais, il ne s'agit pas là de transmission, mais d'une ré-écriture contemporaine née d'une "relation entre créatures, désir de partager quelque chose d'impossible mais nécessaire". Aux dires d'Olga qu'elle nous confie sur scène en prologue, vêtue de noir, toute rousse, il s'agit "d'attraper la mémoire par l'ici et maintenant" .
La robe de la pièce originale est brandie, non en trophée, mais en "relique" d'une autre époque, d'un autre contexte. Aujourd'hui, c'est Natacha qui l’endosse, son clone corporel qui revêt sa stratégie, son protocole, son processus de création. Des habits d'Olga, elle fait une seconde peau qui effleure les sens, du "début" au "final" gravé à terre: une démarche fière de femme forte, habitée par les sensations, une chaussure en main pour en faire un objet fétiche, frappant. Des images sur multi-écrans la dissimulent aux regards alors qu'elle se touche, se tend, se tâte et ausculte son corps, impudique et sensuelle. Elle s'évalue, se considère, s’écartèle en grand écart, geste onanique, jouisseur:toute l'histoire de la ballerine de Gunter Grass incorporée!
Corps filmé, scruté, la danse toujours charnelle simultanément virtuelle aussi !Des images de travailleuses, transpirant, laborieuses à la Edgar Degas surgissent, corps fatigué mais si érotique, se livrant généreusement. Corps de femme,origine du monde sans rideau masquant la réalité des sens et la beauté d'un corps en grand émoi.
Olga double sa proie docile, clone, alter ego, modèle à imiter en léger différé. Quelques acrobaties feintes, des attitudes en espagnole conquérante.....Solide interprète, avec sa corpulence voisine de celle d'Olga, Natacha explose, se régale, nous régale de son corps gourmand, de ses mimiques grotesques. Livrée, abandonnée, elle se dévore, vorace, se signe, pèche par omission, alors qu'Olga veille au grain et envoie de son ordinateur des messages épistolaires, livrés sur écran: elles correspondent, corps respons danse évidente...Les caméras,les pieds et supports de ces vecteurs et facteurs d'images virtuelles opèrent dans la scénographie prolixe comme autant d'acteurs engagés sur le plateau.Des points de vue multiples brouillent les pistes, surexposent les espaces, entremêlent la lecture pour mieux déstabiliser le regard sur les reptations érotiques de la danseuse: mort du cygne annoncée. Des bruits de pas, des cloches, des ombres chinoises ponctuent l'espace, bruissent en même temps que ce corps qui vibre devant nous, face à nous. Pas chaste du tout cette danse, péché capital, Natacha en pécheresse joyeuse, micro en bouche, susurrant des réflexions sur la sensualité de la musique de Bach !
La danse, sans fil à la patte, pourtant reliée à la technologie savante d'un dispositif très complexe, se savoure simplement. Jumelles dans leur carré de lumière, les deux protagonistes, nymphes ou chrysalides, incarnent l'incandescence des sens, d'un langage "énervé" à fleur de peau, troublant. Une poursuite comme une lune les rattrape. Femmes au travail comme un tableau de Degas où l'on transpire dans le labeur, vêtues de peu et laborieuses créatures de rêve...Léonard Cohen, des images empruntées de films cultes crèvent leur intimité: un clap de cinéma devant l'écran pour simuler le studio, l'espace investi par la danse et les images. Les écrans se multiplient, deviennent étendards à la Colomer. Un métronome sur la tête, Natacha prend son temps, règle le tempo: danse avec les supports-surfaces tendus reflétant une autre réalité, virtuelle, simultanément. La scénographie est virtuose, le récit , poignant et l'émotion gagne le spectateur, témoin, passeur lui aussi de tension-détente, de mémoire vive, de sensations.
Très "incarnée" cette pièce est bien de la patte d'Olga, de sa griffe rehaussée de multiples complicités artistiques, de hors-champs divers. Offertoire du corps livré à toute cette gamme de passeurs, ostensoirs sacrés dans l'antre du spirituel très païen, la danse est fébrile, certaine et appuyée de propos où le corps est "considéré", magnifié, extraverti et beau, servi par une interprète virtuose de la densité émotionnelle.
Ceci est bien son corps, à son corps défendant, tant cette proposition de lecture sur la transmission est original. Ébouriffant et déstructuré, au diable les archives, la mémoire, le patrimoine: on vit ici des instants de réincarnation joyeux, sensuels et parfaitement débordés par les technologies nouvelles, maniées de main de maitre par l'intelligence de Francisco Ruiz de Infante, la régie générale de Xulia Rey Ramos, les regards extérieurs très discrets et efficaces d'Irène Filiberti et Roberto Fratini Serafide.
Toutes ces contributions pour un solo, si foisonnant, si impactant, si touchant.
Natacha Kouznetsova brossant un personnage de l'Espagne à la Russie, terres fertiles et mouvantes d' échanges fructueux: la danse comme ambassadrice de la pluralité, de l'ouverture, de la diversité, éminemment poétique, politique !
A Pole Sud jusqu'au 18 Décembre
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