samedi 7 décembre 2019

"Autour du domaine":du fil à retordre !

MARION COLLÉ
COLLECTIF PORTE27
 FRANCE

Librement inspiré du recueil Du domaine d’un recueil de poésie de Guillevic, le domaine dans lequel évoluent Marion Collé et Chloé Moura est habité, vivant, peuplé de présences et d’obstacles invisibles. Le duo de circassiennes parcourt cet espace sur deux fils de fer tendus, dans un jeu de clair-obscur et d’impressions sonores. Ce spectacle-poème se vit comme un paysage mouvant, une expérimentation de l’instant présent où le pas d’après peut-être celui où tout peut basculer. À rebours de l’habituelle quête de virtuosité et de grandes sensations, les fildeféristes œuvrent ici dans la lenteur, jouant du déséquilibre pour mieux laisser place à la poésie qui s’égrène. Ici, point de bras en croix, ni de regard pointant l’horizon en quête de perfection, d’allers-retours au-dessus du vide. Épaules contre épaules, leurs pas entrelacés dessinent un rapport singulier au monde, des arabesques formant tour à tour un désir d’éternité qui fuit et l’état de grâce qui les anime. Enroulées autour de cet axe suspendu, un horizon entre un dessous et un dessus, leur corps à corps trace un ressenti tout entier tendu vers l’instant présent : celui où naissent l’image et les sentiments.
Sans fil à retordre, les voici s'évaporant dans l'air, l'éther mais avec les deux pieds sur le fil tendu de leurs rêves d'apesanteur. Mesdames rêvent et voluptueuses se lovent entre les lignes horizontales de leur ciel dans la pénombre, le noir bordé de lumière rasante. "Le vent se cherche des porte-paroles" sur cette partition à deux lignes où leurs deux corps sonnent comme des notes de musiques tracées, des blanches et des noires pointées, des rondes ou des croches qui s'accrochent à la ligne et font une syntaxe chorégraphique diluvienne.La composition musicale et corporelle est comme une correspondance fébrile aux pas froissés sur la corde; danseuses de corde, sur le fil à linge, les voici chauve-souris ou nageuses qui plongent à rebours dans le grand bain du déséquilibre. Et pourtant leur hardiesse n'a de cesse, virtuose sans l'avouer, maîtrisant parfaitement l'art de se mouvoir autour d'une frontière, une lisière dans l'espace: ces deux fils tendus qui sont leur tarmac d'adoption, leur escalator circassien, leur tapis volant infime fait d'un seul fil sur la trame et la chaine du métier à tisser l'espace vibrant. .Deux sirènes dans l'eau delà, deux nageuses de l'éphémère en proie à la matière éolienne.
Deux corps sculpturaux, magnifiés par la lumière qui les révèle, les observe dans le noir, les trahit sur fond d'images mouvantes de paysages fluctuants.
Belle et large envergure des dos qui se montrent dans une danse sous marine, au ralenti toujours comme empêchée, entravée par la force résistante de l'éther. Le liquide , la fluidité de leurs gestes, suspendus, leurs quatre pieds qui s'avancent de concert , leurs élans joyeux d'enfants qui se risquent au danger, c'est cela la réussite de ce spectacle hybride, avec ces deux personnages dégenrés qui s'entrecroisent avec les cordes de la contrebasse , avec les chants d'oiseaux, les bruits de la nuit. Chauve-souris en éveil, suspendues, puis en contact étroit , peau sur peau dans l'air ou en trompe l'oeil, défiant les lois de la pesanteur. Les axes sont horizontaux dans ce monde où la ligne bleue de la mer est niveau d'architecte qui sonde le déséquilibre et tente de le rétablir. Ici, c'est indisciplinaire et  les arts, disciplines, se chevauchent; au sol, la danse est sensuelle, reptation terrestre alors que dans les airs sifflote une mélodie de légèreté .Funambule avec son archet, balancier oscillant comme un bras allongé, prolongation du corps chancelant, la danseuse, danse.
Au clair de lune dans une atmosphère onirique, sculptant le noir, elle vagabonde toujours fébrile sur la corde raide. Moment magique où tout se dérobe et ravit.De la dentelle noire en images découpées sur fond de corps qui se meut lentement, toujours dans une dynamique dosée, réfléchie, recueillie Les icones sont sacrées et invitent à l'écoute, au respect du temps qui s'écoule lentement sur ces deux corps fascinants.
"La nuit creuse la nuit", "L'eau dans le noir;dormant pour tous"...
"Il y a surcharge, indique le peson porteur du domaine" : en echo aux lignes indéterminées de Guillevic, la danse est suspendue, altière, fière et modeste à la fois. Il n'y a pas "surcharge" dans cette belle évocation de la poésie calligraphiée de Guillevic, mais evanescence et éphéméride, aspiration et chancelance comme le tableau de Max Ernst "La femme chancelante"...Extension du domaine de la lutte avec l'air de rien n'y voir !

Au TJP jusqu'au 7 Décembre
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Créé en 2008, le Collectif Porte27 réunit dans le Grand Est un noyau dur d’une quinzaine d’artistes autour de Marion Collé (fildefériste et autrice) et de Vasil Tasevski (artiste de cirque et photographe). Le cœur du projet est de permettre à chacun de développer un langage qui lui soit propre et d’en faire écho, mêlant cirque, théâtre, arts vidéo, arts plastiques ou encore musique. Élève d’Isabelle Brisset et de Manolo Dos Santos, Marion Collé a complété sa formation circassienne au Centre national des Arts du Cirque à Châlons-en-Champagne. Elle a notamment travaillé avec Guy Alloucherie et Élise Vigneron. Elle publie aussi de la poésie quand elle n’écrit pas pour le cirque. Créé en 2015, Autour du domaine fut lauréat de CircusNext en 2014, programme européen qui vise à repérer et accompagner les auteurs émergents de cirque contemporain. Porte27 est associé au Centre Pablo Picasso à Homécourt et à Cirk’Eole à Montigny-lès-Metz sur les trois prochaines saisons.

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