vendredi 3 juillet 2020

"Répertoire et création": des rencontres d'été toniques: corps, r-accords, correspond-danse ! !

photo nicolas léonard
Record d'affluence pour cette troisième soirée du triptyque des "Rencontres d'été" initiées par l'ensemble Accroche Note en cette splendide et sobre église de Sainte Aurélie. Plus de 100 spectateurs-auditeurs réunis, bien répartis, à distance respectable les uns des autres....L'espace est totalement investi par l'écoute concentrée et attentive de tous ces "fidèles" pèlerins de la musique.

C'est à Wilhem Latchoumia et Armand Angster d'introduire le concert déclinant "répertoire et innovation"....
Avec "Acequia Madre" pour clarinette et piano de Magnus Lindberg de 2012.
Les genoux bien ancrés dans de forts appuis au sol , le clarinettiste en tête de gondole, fléchit mais ne rompt pas! Le combat, la lutte entre piano et clarinette revêt une fière allure princière, bien ancrée dans le son. Complices de plateau dans des sonorités communes, déferlantes, dans de beaux aigus de l'instrument à vent, fins et précis, acérés, vif argent, entrecroisés de gazouillis débridés. L'intensité virulente de la partition, comme une ascension tonale portée par un oiseleur, dompteur de sonorités, s'élevant dans une composition aérienne. Emporté, transporté par les portée acrobatiques de la partition. Moustache et cheveux cendrés, santiags et costume sombre confèrent à l'artiste, une silhouette forte et vivante. Pluie de notes sourdant du piano entrainant dans ses flots, les remous tumultueux de la clarinette: torrent et flux de timbres à l'horizon.
Comme un oiseau, au dessus sur une branche posé, Armand Angster fascine et humble et grave, rabat le son vers la terre.

Après cette puissante entrée en matière, à Debussy de prendre le relais, avec "Sonate" de 1915.
Christophe Beau avec une allure de rêveur inspiré forme un duo charmeur avec le pianiste, Wilhem Latchoumia. Dans une montée alerte d'une dramaturgie sonore évidente, rapide , haletante, se déploie un vaste espace qui s'allume ou s'éteint à l'envi. Meurt ou resurgit de plus belle, phœnix valeureux, en un vol planant, léger, flottant parcourant un sentier bucolique.
Suspens et tension du violoncelle à l'appui, pincé, frotté en une utilisation audacieuse incommensurable. Dans une succulente et sensuelle interprétation, une extrême dextérité, virtuose légato et pizzicati, en alternance ou à l'unisson de son complice.
L'intensité du volume qui s'amplifie, enfle, se gonfle et part à l'assaut de l'espace envahi de sonorités fluides et délicates.Dans un infime décrescendo, très varié, déroutant, l'écume, l'éclaboussure de sonorité se calme et efface la virtuosité de la pièce magnétique de Debussy. Le violoncelle à l'apogée, au zénith de ses capacités.

"Ed Insieme Bussarona" de Franco Donati de 1978 poursuit la découverte du patrimoine contemporain.
Voix et piano, convoqués pour l'occasion, incarnée par Françoise Kubler, longue chevelure sur les épaules, corps gracile et fort, gainé de noir. La voix parlée, chantée, éruptive de la cantatrice, se transforme, se métamorphose en plaintes, chuchotements, chuintements progressifs.Dans une diction aux modulations variées, surprenantes, de l'onomatopée, au phrasé bref, prosodie étrange, le piano en écho, à l'écoute lui donnant la réplique, la soutenant. Mystère et intrusion s'en dégagent, les sons volubiles, les hachures, hoquetements et cassures à l'assaut du conte. De la narration imperceptible du vocable, émis parcimonieusement. Tout se coupe, se rompt sur fond de flux des gammes du piano. En vagues successives tuilées.
Attente, calme, tension, agacement ou férocité du récit, des attitudes et postures de la chanteuse, habitée intégralement par le  texte: opiniâtre puis charmeuse, dans des murmures et bercements radieux.
Ici la complexité d'"être ensemble" est remarquable et le duo, chant- piano, relève de la virtuosité sans effet de manches!

Place à Manuel de Falla avec ses célèbres "El Amor Brujo" de 1915 - "Escena/ Cancion del fuego fatuo/ Romance del pescador"/ Danza rituel del fuego"-
Quatre variations très hispanisantes, le feu entre les doigts du pianiste pour mener à bien la fougue et le charme de ces morceaux, certes connus, mais transformés par l'interprétation de Wilhem Latchoumia. Félin pour l'autre, faits l'un pour l'autre, piano et corps engagé font bloc dans cette mélodie plaisante, enjôleuse, joyeuses facettes chantantes d'un folklore revisité ! La finesse du jeu, délié, survolant la partition vers un univers unique, ensoleillé, délicate interprétation mouvante, émouvante, sensible à fleur de touches, les pelotes feutrées des pattes de félin du pianiste, faisant foi !
Tourbillon, spirale de habanera dans l'arène de la tauromachie à la Picasso pour le "Tricorne": le pianiste penché, ployé sur son clavier avec une énergie et une vélocité remarquable, invraisemblable instrument au service du génie de De Falla.
 Dans l'avancée irrévocable de la composition, la montée en puissance majestueuses des timbres, des corps sonores se diluant dans un déferlement une submersion imergeante de la musique.
Le pianiste littéralement traversé par une énergie hors norme, le corps transporté ailleurs et nous, avec !

Correspondances, a-corps et concordance pour le Pascal Dusapin qui prend le relais de cette danse de feu: "Ohé" pour clarinette, violoncelle et danse!
C'est Léna Angster qui se profile dans la travée et accompagne les deux interprètes au cœur de l'église. Elle trace son chemin, gracile silhouette fugitive, fugace dans la pénombre, à peine visible. Elle se glisse, s'immisce dans les tonalités de la musique, discrète servante indocile: féline, ondoyante, déployée, offerte, elle se love et s'enroule dans les sonorités qui l'enveloppent. S'étire, rebondit, s'enrobe, conduite, éperdue, se livrant corps et âme à l'esprit des lieux.
Soubresauts, tours et contours relâchés, abandonnés dans de belles cambrures, campée par un corps solide, ancré, puissant.
De noir et gris, vêtue, pieds nus sur le sol de gré rose, finement éclairé par des taches de couleurs pastel.
 De beaux alignements, une allure discrète, très présente, fluide et déliée, cheveux flottants, cabrée, offerte.
Suspensions, arrêts, retenues pour surprendre et déjouer les directions, les intentions ou décisions de chaque instant. En vrille, spirales brusques, mouvement incessant dicté par l'énergie de la musique de la clarinette et du violoncelle, discrets partenaires invisibles.La musique semble la traverser, en saccades, aspirées, inspirées dans une reconstruction, un démantèlement des gestes hachurés, stoppés, interrompus dans leur course folle. Assoiffée de rythme contrastés.
Attirée, ouverte pour cette offrande sans limite de la musique du corps et des instruments: un médium rêvé pour la musique de Dusapin!

Et pour clore la soirée, une création "mondiale" : celle de Blaise Ubaldini, "Ineffable vide" commentée en personne par le compositeur présent et ému.
Inspirée par les "poèmes" de Henri Michaud, voici Françoise Kubler en proie à une diction et des textes surréalites en diable.
Tel un vide qui s'emplit de sons, un rituel chamanique se construit avec la prêtresse du jeu, voix bordée par une cloche qui rythme le tempo et s'impose, tenancière du temps, métronome de la pièce désobéissante!
Dans une langue étrangère, inconnue, inventée d'abord, tenant le flambeau auprès de la clarinette et du violoncelle, complices de cette cérémonie paienne.
Invitation à l'invocation des esprits, incantation, les appels, cloche et voix, vibrato de la clarinette et énergie commune partagée pour cet offertoire ostentatoire où les thuriféraires s'en donnent à corps joie!Balancements chaloupés, scandés par le timbre de la cloche frappée, rigoureuse, semeuse d'ordre et de rigidité!
Conductrice et maitre d’œuvre de cet épisode fameux, fusion des trois interprètes dans un langage imaginaire à la clef.
La récitante psalmodiant les mots et maux de Michaud, possédé par quelques hallucinations réparatrices, inventant un nouveau découpage, un phrasé haché des textes. Corps-texte, cortex des ponctuations, ânonnées, découpées, fragmentées, scandées en rythme irrégulier, sauvage et inspiré.
 Des propos incongrus et "déplacés" pour l'inconfort sonore bienvenu et décalé. On se "déplace" à l'envi dans cette prosodie métamorphosée en musique souple et mouvante. La voix parlée, confidente ou hurlante, métabolisée par une énergie partagée dans ce triptyque singulier, retable, icône sacrée: dans un univers proche des mélodies incongrues et absurdes de Poulenc.(la statue de bronze)

Histoires à dormir debout, à rester en éveil à l'image de cette composition dédiée à la formation "Accroche Note" qui retient bien des attentions d'artistes compositeurs talentueux et audacieux
A leur image ineffable: de la surprise à tout prix, sinon rien!

Le jeudi 2 Juillet à l'Eglise Sainte Aurélie



 




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1 commentaires:

Stianchris a dit…

Excellente soirée, ma préférée !
Christian

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