dimanche 22 septembre 2013

Les nuits" de Preljocaj à MUSICA: l'obscure clarté du désir

"Les Nuits" de Angelin Preljocaj: un conte d'effets magique

"Les Nuits" s'annonce comme l’étendard du "Pavillon Noir", centre chorégraphique du Ballet Preljocaj à Aix en Provence.
Œuvre créée dans le cadre de "Marseille, capitale européenne de la culture", ce morceau de bravoure renforce la ligne éditoriale de ce démiurge chorégraphe, en possession d'une pleine maturité
Sans Shéhérazade et ses héroïnes féminines, les Mille et une Nuit n’existeraient pas. De leurs aventures, Angelin Preljocaj extrait les notes les plus sensuelles, pour une rêverie flamboyante. Double retour aux sources avec ces Mille et une Nuits. D’abord aux sources de la littérature, grâce à ces contes orientaux et millénaires ayant inspiré une production artistique foisonnante depuis l’Inde jusqu’en Occident. Ensuite aux sources même de l’art de Preljocaj : en privilégiant la dimension érotique de ces contes, le chorégraphe promet d’écrire une pièce lumineuse et fantasmée, dans la veine de Liqueurs de chair. C’était il y a vingt ans. Depuis quelques années, dans des registres très différents, Angelin Preljocaj a pris goût à travailler à partir d’écrits pour plusieurs de ses récentes créations : Blanche-Neige, Le Funambule, l'Apocalypse selon Saint-Jean, Ce Que j’appelle Oubli... Chaque fois, il en livre une lecture totalement éclairée, magnifiée par une esthétique absolument impressionnante où l’espace se découpe géométriquement au gré des mouvements.
Accompagné d’Azzedine Alaïa pour les costumes, de Natacha Atlas, Sami Bishai et le collectif 79D pour les musiques, et de Constance Guisset pour la scénographie, ces Mille et Une Nuits s’annoncent d’ores et déjà comme une machine à fantasmes, comme une ode à la figure tutélaire et puissante de la femme émancipée, mère de désirs et de poésie, d’adversité et de passion.C'est bien d'un Ange dont il s'agit, celui qui ouvre des univers étranges, qui crée une gestuelle vif argent, ciselée et précise, une danse chorale où à l'unisson, les êtres vibrent et se confondent.Preljocaj est ce peintre capable d'orchestrer les corps, de les mettre en résonance, en état de grâce. On se souvient d' "Annonciation" de "Trait d'union" ces deux duos emblématiques de son écriture chorégraphique et filmique."Les Nuits" sera sans doute une toile tendue d'énergie, d'urgence: celle de l'alerte, de l'alarme de sa danse, mais aussi de la sensualité sauvage émanant de l'interprétation virtuose de ses danseurs.Rendre des comptes à cette immense odyssée de l'amour, à cette fresque amoureuse que sont "les mille et une nuits" est une gageure, un défi!
Calligraphe de la danse, Preljocaj trace le récit des corps de cet ouvrage mythique, oriental et romanesque, flux de mots et de textes fantastiques.
A MUSICA ce dimanche 22 Septembre 17H à la FILATURE à MULHOUSE




"The House Taken Over": scènes de ménage et de fratrie en huit-clos!

"La maison occupée": un premier opéra du jeune compositeur portugais Vasco Mendonça, mis en scène par Katie Mitchell, d'après une nouvelle de Julio Cortazar: imaginez le bouquet final: un opéra déroutant en huit-clos sidérant.
Ils sont deux chanteurs, comédiens sur le plateau une heure durant à exécuter et vivre les gestes du quotidien partageant la maniaquerie du "ménage": deux frère et souer dont l'univers va se rétrécir au fur et à mesure dans la tension des bruits surgissants de partout.
Une oeuvre à la Hitchkok ou Ionesco où l'absurde prend la pas sur la réalité, le fantastique sur le quotidien.
Le suspens est grand, ponctué par la musique qui renforce l'étrangeté de la situation.
Chant du cygne pour cet étrange couple confiné dans la monotonie de l'existence, de la routine.
Les deux voix sont celles de la détresse, de l'angoisse, merveilleusement interprétées par  Edward Grint et  Kitty Whately sous la direction de Etienne Siebens La dramaturgie nait littéralement du travail sur l'éclairage dans un décor domestique très classique.La musique sert le théâtre dramatique, au delà du drame, en autant de respirations pour s'en échapper.L'obsession grandissante de l'intrigue, la sensation d'enfermement, de clostration, d'enmurement est prégnante.
On étouffe comme les deux protagonistes, souffrant de claustrophobie. La répétition martèle les situations et l'atmosphère qui s'en dégage est convaincante!Irène et Hector rétrésissent dans le confinement de l'espace-lumière de la scénographie et leur fantôme resurgiront dans nos mémoires comme autant d'empreintes spectrales.
Un opéra entre banalité des tâches quotidiennes et rêveries fantasmées d'un ailleurs inaccessible: du rêve très maitrisé!

Musica 2013: une ouverture solenelle.

C'est en présence d'Aurélie Filippetti, ministre de la culture que s'ouvrait la 31 ème édition du festival Musica, celui de toutes les écritures de la musique d'aujourd'hui.
Au programme et interprétées par le SWR Sinfonieorchester Baden Baden und Freiburg, deux créations mondiales, signées de Marc Monet et Yann Robin.Et ce sous la direction de François Xavier Roth.
La première, "mouvement, imprévus, et....pour orchestre et autres machins" atteste de l’ingéniosité et de l'audace que l'on reconnait à Marc Monet.Il décortique et transforme le temple du concerto pour violon dédié au virtuose albanais Tedi Papavrami.Iconoclaste en diable, le voici en trublion, agitateur de notes, "maître de formes en rupture" pour nous envahir littéralement de sonorités inédites Des "imprévus", il se fait le maitre d'ouvrage guidé par un questionnement sur la tradition de la place du soliste au sein de l'orchestre: Pari gagné quand à l'écoute qui en découle, libre, imprévisible, sur le fil des surprises multiples comme autant de pièges à éviter.
"Un pied de nez drolatique" dont il nous a habitué, depuis entre autre la composition pour saxophone solo de la vidéo de Karine Saporta, "Le cirque" dont il signait en 1986, la partition déroutante, accompagnant gestes, grimaces et autres fantaisies de non moins fantasque chorégraphe.
 Un concerto à son image, "déconcertant"!
Suivait " Monumenta" de Yann Robin, création de 2012/2013: face à l'architecture grandiose d'un orchestre, le compositeur livre une œuvre puissante, envahissante, qui déferle comme un ouragan dans l'espace-temps. Des images surgissent, fascinantes telles des envolées d'oiseaux terrassés par des salves, percussions détonantes. La tempête s'installe dans un flot discontinu, qui frappe, surprend, submerge. A la gigantesque formation démesurée qu'est l'orchestre, il offre des sons "monumentaux", disproportionnés, surdimensionnés dont la "taille" et les mesures découpent l'amplitude.
Une "usine à sons", des "mâchoires sonores" pour façonner des tâches sonores de couleur, des masses compactes résonnantes, par strates. Une tectonique de la musique, fractale, chaotique pleine d'énergie ébranle l'espace sonore et contribue à dégager une ambiance forte, magistrale, solenelle.
Une musique de combat, très chorégraphique dans l'écriture de la gestuelle musicale: les sons "glissent, s’étirent, se déploient et se métamorphosent".
Enfin Georg Friedrich Hass avec "limited approximations" de 2010 offrait une configuration scénique et sonore fort originale: six pianos à queues, disposés en demi-cercle sur le plateau prenaient "la vedette", pour matérialiser la réflexion du compositeur sur "l'intervalle de douzième de ton" passé au crible de la composition musicale.
Un jeu édifiant pour les sensations et l'écoute musicale ainsi proposée au sens.
Le trouble, les frictions dissonantes,le flou s'installe au grand bonheur de la création

Un concert d'ouverture très riche, un manifeste en faveur de la création concertante et symphonique, une "aventure" sonore: tel se définirait cette soirée prestigieuse, démesurée, "antidote à l'ordinaire des temps de crise"!