Fin de parcours pour la tournée régionale de l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg, sous l'égide du Conseil Général du Bas-Rhin. Dans le cadre du festival Musica, c'est dans l'Aula du Palais Universitaire que cette dernière soirée consacrée à la "musique finlandaise" s'est déroulée, en majesté
Musique du nord, musique du froid? Loin de nous cette sensation à travers le parcours pluriel, entre répertoire moderne et contemporain que proposait l'orchestre sous la direction de Baldur Brönnimann.
En "entrée", "Deux mélodies élégiaques opus 34 " de 1881 d'Edvard Grieg
Le lyrisme des cordes, en vibrations crescendo confère à "Coeur bléssé" ainsi qu' à "Dernier printemps" des saveurs de voyage au pays du soleil deminuit.
Intimité, délicatesse des tonalités en fond une entrée en matière délicieuse, calme, sereine. Ambiance feutrée et spatialisation créent une atmosphère recueillie, confidentielle qui s'étire au son des violons.
LES AILES DU DESIR
Coup de foudre quant à la pièce suivante, "L'aile du songe" de Kaija Saariaho, actuelle artiste en résidence à l'orchestre.Évocation de l'éther et de la terre, cette oeuvre en deux volets est une ode aux oiseaux, à l'espace, aux rives de la création musicale.
Le jeu et le souffle du flutiste de renom Mario Caroli en font un instant rare, unique. Un jeu volubile, rebondissant, corps et âme lié à son instrument, l'interprèrte prend de la hauteur, s'envole, comme sur des ressorts, par rebonds.De petites percussions stridentes, répétitives, scintillantes l'accompagnent dans son envol élégiaque.Il parle, murmure, respire halète, inspire, expire, alors que les cordes très toniques et tendues forment un contraste en crescendo.Avec brio, ce virtuose saute littéralement, jaillit tel un danseur sous les pulsions musicales qui le portent, l'emportent, le dérobent au sol. Un rapt musical étonnant devant nos yeux: "regardez la musique, écoutez la danse" nous suggérait Georges Balanchine!Puis c'est le retour au calme après cette mouvance tectonique: un solo dans le silence...
Et les percussions très terriennes de surenchérir après cet atterrissage en douceur. On décolle et embarque de nouveaux vers des terres lointaines, inconnues.La clarté d'un ciel pur se dégage, des frissons, de la finesse, du raffinement dans les éclats de musique C'est comme un étirement du temps, un élargissement de l'espace, pour mieux respirer, se poser Des bribes de sons émiettés en mémoire, scandent comme une marche lente, solennelle, timbrée, résonnante.Pas à pas la mélodie avance inéluctablement. Mais une fin en fuite vibrante créez un horizon ouvert, comme un ciel qui se dégage.
Dernière étincelle, dernier souffle de l'interprète, aux ailes d'ange qui se pose, tel un oiseaux , un satellite en fin de course.
De Jean Sibelius, voici à présent "Rakastava opus 14" daté de 1911
Hommage aux cordes, fluidité, flux et reflux de la musique, en vagues successives pour créer une douceur spacieuse, des glissements envolés, du suspens....en suspension!
Des grondements, des roulements de percussions changent le ton en une vaste amplitude sonore
Decrescendo, coloration dansante de la musique pour conférer à cette oeuvre un caractère joyeux, inspiré de folflore etnique, bucolique et pastoral
La contrebasse ponctue le tout, l'atmosphère est "populaire", radieuse, enjouée, entrainante.Un solo de violon, des vrombissements de percussions et le tour est joué: une montée en puissance s'étire, grave, pondérée, mélancolique aussi parfois.....Belle œuvre à écouter dans le recueillement de la félicité.
Sur ces "chemins de l'amant", l'amour, les adieux sont doux et tendres à l'oreille.
"Arena" de Magnus Lindberg est une suite tout en contraste!
Voici une version remaniée de l'originale pour grand orchestre, forme réduite, plus compacte, plus dense à l'écoute.
Pour 16 Bmusiciens, des solos, duos, concertos.
C'est une bouffée de vents, de percussions, très vive, envahissante qui déferle.Comme autant de compressions musicales, d'empilement, d'accumulations de sons par couche acoustique, par strate pour former un chaos tectonique, bigarré, chatoyant, stratifié.
De puissantes échappées belles musicales de sonorités polychromes, protéiformes nous submergent
Tel un désordre, un tumulte grandissant!Telle une course aux sons, qui se doublent, se fuient, s'évitent ou se dépassent dans des trajectoires fébriles.Les ponctuations sonores des vents et percussions, la langueur et longueur des cordes permettent une fusion des sons, des balancements et bercements salvateurs.Les sons y sont projetés comme des fusées dans l'espace.Brisures, ruptures aussi pour déstabiliser l'écoute sont de mise.L'atmosphère est virulente, strdente, tel un déferlement de matières sonores à adopter dans l'instant: un choc où malgré tout la plénitude spatiale des masses et volumes sonores reprendra le dessus sur les impacts des salves tirées dans les résonnances de l'ouie!
Un concert exceptionnel à l'image de tous ses protagoniste, un parfum "du nord" du pays des fiords et des rennes, de l'espace à conquérir, infini, radieux, prometteur!
mercredi 25 septembre 2013
lundi 23 septembre 2013
"Les nuits" d'Angelin Preljocaj: le "bassin" méditerranéen du corps dansant, musical!
Et surtout pour "Les nuits", sur les compositions musicales de Natacha Atlas et Samy Bishai!
Audace judicieuse de programmation dans le cadre du festival Musica, la danse très empreinte de lyrisme et de tectonique d'Angelin Preljocaj est autant un hommage à la femme Shéhérazade, qu'à l'homme.L' "homme qui danse", ce mâle qui hante toute son œuvre d'homme de culture albanaise où l'on ne plaisante pas!! (lire à ce propos le livre de sa sœur Catherine Preljocaj "Le bonheur pour une orange"sur la femme albanaise dans le giron familial machiste.)
Bref tout démarre pour cette évocation des mille et une nuits par un magnifique tableau à la Ingres où des femmes évoluent, lascives dans une sorte de hammam, bain vaporeux dans des gestes lents, et voluptueux: l'orientalisme sera dès lors le fil d'Ariane de cette oeuvre chorégraphique qui depuis sa création fin mars à Aix, a pris de l'ampleur, du poids, de la maturité
L'art de Preljocaj pour une danse hachée, violente, passionnée et tétanique nous rapelle sa passion pour l'énergie des corps, pour la beauté revendiquée du corps qui danse et se laisse à voir. L"obscène" clarté du désir, celle qui se révèle de derrière le rideau, éclate et jaillit dans la composition chorégraphique.
Les portés sont voluptueux, sensibles, au risque de la dérobade.
La sexualité des hommes et femmes qui dansent est révélée aux regards: quand le remix de la mélodie de James Brown "it's man's man's man's world" déferle dans les corps des danseuses, alignées comme au Moulin Rouge dans les "petites robes rouges" signées du styliste Alaia.
Quand à leur tour les hommes sur le même leitmotiv exécutent des mouvements très évocateurs d'une virilité assumée, c'est "pince moi je rêve", comme des fantasmes vécus, montrés.
Adam et Eve s'en régaleraient, le serpent aussi. La consomation de la sexualité, jamais vulgaire est affichée, rebelle et consentante.
C'est beau et énivrant comme une "liqueur de chair" qui se distille dans "la peau du monde".
Angelin s'accompagne de la très belle partition de deux auteurs du "sud", chaleureux et érotiques en diable pour cette évocation du désir et de sa communauté. Natacha Atlas et sa voix suave, Samy Bishai pour son inspiration orientale, ses mélodies et impacts musicaux sidérants.
Ce "bassin" devenu méditerranéen de la "danseuse classique" évoqué par le philosophe Pascal y prend tout son sens: il est mobile comme fait pour cette danse du ventre, porteur de sensualité, rond et tounoyant, évocateur des mouvements torides d'un érotisme non dissimulé.
Et les costumes de Alaia, de tournoyer comme autant de vêtements qui baillent ou flottent
Petites robes noires, caleçons seyants, comme ces braguettes du XIX ème siécle qui magnifiaient les parties sexuelles du corps masculin, merveilleuse petite robe blanche portée à l'occasion d'un magnifique pas de deux, en final...
Quant à la scénographie et aux décors de Constance Guisset, les volutes des arcades, les arabesques, les torsades et autres clairs-obscurs lumineux, dessinent les contours d'un univers à demi révélé, ajouré, pas toujours dans la visibilité et la transparence
Cachée, comme voilée aussi au travers d'un moucharabié, la danse de Preljocaj est tendre et féroce à la fois, servie par une ligne musicale tendue autant que lassive et souple
Une entente très "cordiale" entre le chorégraphe et les musiciens!
"belle nuit, oh nuit d'amour, sourit à nos ivresses"......
Le Trio Arbos à Musica: la musique de chambre contemporaine "bien chambrée"!
Quatre œuvres pour illustrer ce compagnonnage fertile: "Trio" de Georges Aperghis , pièce courte rebondissante, claire, légère, comme froissée et frémissante entre les mains des interprètes(piano, violon, violoncelle), "Trio" de Toshio Hosokawa, création mondiale qui s'interroge sur la facture d'un trio classique vers une refonte plus "orientale".
Inspiré par le chamanisme, cette pièce brève illustre la représentation du monde sensible et invisible sous ses aspects divins et cachés.Ésotérique et énigmatique, la musique enchante et se dérobe à notre entendement."Funfzehn Bagatellen" de Ivan Fedele est une composition originale basée sur la volonté de modifier la perception de l'événement sonore pour l'auditeur: une aventure acoustique singulière pour les sens en éveil, bousculés par l'inventivité très tonique de la partition.
Le "Lied ohne Worte" de Michael Jarrell développe les motifs comme autant de germes qui se génèrent, s'accouplent et donnent naissance à des formes musicales hybrides.
Son travail sur le geste instrumental et sur l'organisation de la forme par rapport au timbre s'y glisse harmonieusement et insidieusement.Il y travaille sans relâche un même objet, une même idée et travaille le matériau musical de façon arborescente.Ce lied "sans parole en est une belle illustration sonore, sans les sonorités liées aux mots, au sens et à la sémantique: bel excercice de style empreint de poésie et de sensibilité à "autre chose" d'inédit.
Au coeur de ce concert se glissait une oeuvre vidéo de Robert Cahen, comme une respiration dans ce flot de propositions musicales inoues.
ROBERT CAHEN: chaman de l'image "animée", plasticienne.
"Dernier Adieu" de 1988 est une sorte d'hommage à Jean Marc Tingaud, photographe de la mer. Ensemble, ils façonnent un scénario-images pour évoquer l'idée même de la photographie, sans montrer aucun cliché de l'artiste en question. Ces images seront évoquées plus tard simplement en fin de course, dans la narration comme les œuvres qui vont s'en aller voguer dans des bouteilles lâchées aux quatre coins de douze mers et océans du globe.
Flux et reflux des images vidéo floutées par le ralenti des mouvements de vague, de la verticale à l'horizontale, du bas vers le haut.
Les spectres d'un phare, les volutes et circonvolutions voluptueuses de la caméra au régime de la lenteur très pondérale des masses de lumière, apparaissent, disparaissent opérant comme un révélateur d'images fantômes.
La musique d'Olivier Messiaen "Vingt regards sur l'enfant Jésus" illumine le tout, nous embarquant dans un voyage maritime au long cours.
L'embarcation est légère, l'image vidéo, mobile et "futile", fébrile comme tous ces électrons libres qui la constituent
Le montage d'Ermeline Le Mézo en souligne le vertige, le déséquilibre permanent. La fluidité aussi de cette lumière capturée, scintillante et vibratile des images sensibles de la mer: autant de vagues jamais échouées qui reviennent, planent et préfigurent déjà l'écriture de Robert Cahen, ce plasticien de l'image, ce chamane vibrant de constellations créatives et sensibles. 0n songe à "Tombe avec les mots", à "Solo", "Parcelles de ciel", écrits pour les chorégraphes Roberto Montet et Susan Buirges dans les années 1989...Et aussi le magnifique "Puits de l'épervier", manifeste de l'image dansée de Hideyuki Yano dansée par lui-même et Yves Aubert.
Danses des surfaces de lumière, immergées comme celles de la méduse de Paul Valéry, cette danseuse aux ondulations saccadées, plongée dans les mouvances maritimes.liquides...
Ce chant du mouvement et du temps, cette ode à la pesanteur autant qu'à l'apesanteur des choses de la vie: autant de "cartes postales" d'un lointain pays des merveilles où la mesure des choses n'est plus tout à fait la même.
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