dimanche 27 septembre 2015

Musica : carnet de bal bien rempli !


On ne chôme pas à Musica: dès potron-minet ce samedi à l'Auditorium de France 3 , c'est le concert "Jeunes talents, piano et percussion" qui ouvre le bal : les classes d'Emmanuel Séjourné, enseignant de percussions au Conservatoire vont expérimenter leurs "talents"et montrer "leur savoir faire" devant un public friand, exigeant, chaleureux!
C'est à Alice Gineste d'ouvrir la session: comme une marchande de couleurs dans sa boutique, elle se glisse parmi les instruments de percussion, s'y love, se loge et habite le temps de "Assonance VII" de Michael Jarrell, sa joyeuse boutique exiguë .Comme une cage au travers de laquelle naissent sons et notes qui s'envolent à travers un grillage invisible !
Avec grace et dextérité, la voici en dialogue avec ses percussions, va de l'une à l'autre dans une féline gestuelle, à l'écoute des réverbérations, en alerte, sur le qui vive
Une interprète vigilante, respectueuse d'une partition complexe qui se joue des obstacles, franchit les limites de la virtuosité, retombe sur ses pas et gestes comme un félin.
Une fois de plus, la musique se regarde, se touche et dévoile ses sources et secrets de fabrication dans l'instant même de son exécution, avec celle qui donne vie et sons, bruissements et frissons à tout cet attirail de couleurs sonores, dans de beaux gestes et attitudes graciles.
Le concert continue en compagnie des œuvres de Berio, "Linea",1973, une musique de  ballet pour Félix Blaska qui reprend une mélodie, la refond à l'envie sous les doigts des deux pianistes et de deux percussionnistes
Belle pièce qui met en avant aussi le dispositif, en parallèle où les musiciens se regardent et s'écoutent dans une grande attention, un profond recueillement très professionnel!
Au tour de Xénakis  avec "Rebonds B" de 1987 d'enchanter et de donner l'occasion à Antoine Josselin, de montrer ses talents de batteur, d'as du rythme et du tempo, performeur physique pour interpréter une oeuvre percutante, forte, puissance et sans concession Une chevauchée, cavalcade rythmique percussive défiant comme une gageure les lois de la facture de sons.
Philippe Hurel pour clore ce beau répertoire contemporain qui bâtit le patrimoine vivant de la musique d'aujourd'hui: "Interstices" de 2009, une pièce sous forme de "mini concerto" alléchant, plein de vie, toute en tensions où les jeunes interprètes jouent à saute mouton , défient les handicaps et offrent avec sérénité, toute la gamme stylistique d'un savoir faire déjà bien maîtrisé!
Félicitations à ces classes d'Emmanuel Séjourné, l'ange Pygmalion qui révèle à eux mêmes les jeunes pousses , interprètes hors pairs, éclairés dans une intelligence de l'art de jouer la musique d'aujourd'hui!

La journée du mélomane s’enchaîne avec le virtuose récital de violoncelle de Jean Guihen Queyras: Bach au menu et trois courtes pièces en amont de Ivan Fedele "Arc-en-ciel" de 2004, "Ein...Es Praeludium" de Gilbert Amuy, et "Pré-écho" de Misato Mochizuki" de 2006: autant de courtes pièces en amuse-bouche avant les plats de résistance: les "Suites" N° 1", "Suite N°4" et "Suite N°5" de Bach, toutes de danses, de rythmes et de diversités, un régal, un panorama virtuose des figures sonores chères à Bach qui savent enchanter le danseur qui sommeille en l'être humain !


"Penthésilea" de Pascal Dusapin
La soirée continue,on s'y confronte avec le mythe de Penthésilée, comme une chevauchée farouche et fatale, incursion dans le genre "opéra" par un compositeur dont la maturité s'affirme et se conjugue désormais au présent, comme une valeur patrimoniale de la musique d'aujourd'hui.
C'est peu dire que pour l'ouverture de la saison de L'Opéra du Rhin, cette oeuvre couronne l'audace, à la fois de la composition, mais aussi de la mise en espace de Berlinde de Bruyckère,plasticienne belge aux dons de scénographe étonnants
Ode magistrale à l'Amazone, aux femmes, oeuvre musicale riche de sons isolés, brodés, doublés par d'infimes nuances, voix profondes aux accents germaniques sauvages, orchestre et chœur à l'unisson pour échafauder un tableau, une fresque épique en diable
Le destin et le jeu de cette femme, incarnée par Natascha Petrinsky, sublime et rageuse héroïne dont les performances physiques rehaussent le personnage au rang de furie athlétique remarquable, est sensible et émouvant
La scénographie, de sculpture en panneaux, boucliers d'acier, protégeant les protagonistes, ou ces paillasses de peaux de bêtes amoncelées, évoque un univers implacable, dur, dépecé de sentiments, abrupte, sans concession à la bassesse
Un corps de personnages se fond avec les chanteurs, comme des vagues, assistant l'intrigue, accompagnant l'espace engendré par la musique de Dusapin
L'Orchestre Philarmonique de Strasbourg et les chœurs de l' ONR investis et mis en scène par Pierre Audi vibrent et bougent l'action, comme un étau épousant les protagonistes de leur accompagnement empathique.


Encore un peu d'énergie, ce samedi et soyons fous pour "aller au bal, danser": il est 22H 30
Le Palais Universitaire transformé en piste de bal, c'est une occasion unique d'y gouter aux glissés, frôlés et enlacements engendrés par la musique contemporaine en proie aux rythmes de la musique "populaire à danser": c'est le Bal Contemporain" confié pour l'occasion à l'Orchestre Comité des Fêtes" sous la direction musicale de Armand Angster: la fiesta peut commencer, éperonnée par les talentueux Pierre Boileau et Sabine Cornu du collectif "L'un des paons danse" !

Alors à vos carnets de bal pour goûter aux morceaux "déstructurés" de musique savante pour bal baloche: comme de la grande cuisine faite à partir de plats traditionnels!
On malaxe, fusionne, détourne rythme et tempo, désoriente, déroute les danseurs, tous prêts bien sur à l'improvisation plutôt qu'à la démonstration de danses de couples, performances qui tétanisent tout néophyte !
Alors on se lance sur la piste, on écoute, on regarde, on se régale de cette joyeuse ambiance: on ne soupçonnait pas un tel de savoir si justement évoluer sur des rythmes diffractés, déjantés, hors norme des codes chorégraphiques très strictes des mambos, valses et autres styles métissés
Et pour se frotter à ce genre: Patrice Caratini , François Rossé, Bernard Cavanna avec boléros, salsa,bossa nova alsaco andalouse, pasodoble,Yann Robin et Sebastian Rivas pour kusturidance et mambo endiablés !
Le plus beau: le podium des musiciens avec Françoise Kubler en Madame Loyale, tenancière d'un cabaret coquin, meneuse de troupe, animatrice charmante se surprenant elle même dans ces dons de maîtresse de maison musicale où l'on s'encanaille à tire larigot Vêtue sagement d'un beau tutu, puis d'un guêpière alléchante, d'un porte jarretelles original, la voilà Dame respectable, meneuse de revue, simple et vive, toute transformée! Et sa voix de se révéler dans ce registre nouveau, enjôleuse, suave, charmeuse, entraîneuse
Bravo à cette joyeuse formation pleine de verve et de bonne humeur de charme aussi avec le brillant joueur d'orgue de barbarie, Pierre Charial, enchanteur de notes, de petits pas, de valses, ruades, petits bougés pour danseur minimaliste !
Ce "Bal Contemporain" résonnera encore longtemps des pas de tous ces danseurs en herbe, galvanisés par les troupes de Pierre Boileau, maître de cérémonie, discret, toujours prêts à tenter les aventures les plus incongrues, les plus folles, les plus décoiffantes

Et notre directeur, Jean Dominique Marco, de veiller à la bonne "marche" de cette formule originale: peut-être fredonne -t-il ce soir là, décontracté après cette dure semaine de direction de festival: "quand Dominique est fatigué de voir les autres travailler, il se donne un peu de repos, juste le temps d'un p'tit tango...Le tango corse..... selon Fernandel dont l'humour et l'audace pourraient parrainer cette soirée !!!



samedi 26 septembre 2015

Les Minions dansent!





Musica, "mode d'emploi": méga, méta- lomane !


La musique, mode d'emploi ?
Débrouillez vous il y a plein de pistes, de directions, de chemins...
Alors pour cette soirée, direction "Manoury" pour son "Temps , mode d'emploi", 2014, une oeuvre interprétée par deux pointures du piano, Andreas Grau et Gotz Schumacher.
C'est "piano duo"!
Quand le "temps" se pétrit dans la pensée musicale de Philippe Manoury, il devient "musique en temps réel", source de surprises, de divagations spaciales, de niches spatiales inconnues.
Deux pianos en quinconce, tête à queue et tout un univers de résonnances, de sons qui se croisent, vont et viennent, se réverbèrent, glissent dans un savant chaos de l'immédiat
A la régie informatique musicale, José Miguel Fernandez opère comme un magicien du temps, le prolonge, le réduit, le triture à l'envie
Matières sonores, comme des taches, des touches qui se fracassent, s'entrechoquent dans une tectonique atonale Il plait à Manoury d'évoquer l'univers pictural de Pollock ou Richter, ces paysages fluctuants, où les repères savent faire défaut, se dissimuler aussi dans de longues plages de repos, de calme où l'on savoure chaque note égrenée par les deux interprètes complices
Cette pièce pour pianos, comme une oeuvre majeure et aboutie de la recherche d'un compositeur qui semble avoir trouvé "le mode d'emploi" d'une technique et qui en livre un monde imaginaire au delà de tout système, de tut cliché lié à l'électronique.
Une heure de jouissance où le temps n'a plus de frontière, de limites et nous amène dans une éternité sauvage, paradisiaque et infernale en même "temps"


"La Métamorphose", opéra de Michael Lévinas : dantesque !
Kafkaienne, cette version sous forme d'opéra de la nouvelle de Kakfa par Le Balcon, ensemble qui révolutionne ainsi une vision très livresque de l'oeuvre du maître de l'absurde.
Salle comble et bruissante ce soir là à Strasbourg à la Cité de la Musique: on semble y pressentir un "événement" et l'on ne serra pas déçu, mais surpris par l'audace, l'esthétique, le rendu de cette version visionnaire d'un texte hors norme, énorme.
En prologue, "Je, Tu, Il" sur un texte de Valère Novarina, en "amuse-bouche": délires et digressions sur la bouche, cet orifice si photogénique en diable d'où émanent, mots , sons, cris, hurlements et éruptions fracasses ; déjà de petites bestioles vivantes, chenilles et autres chrysalides en mutation, emplissent un bocal filmé en direct et  leurs reflets inondent une toile de projection en direct.
Trois bouches fluorescentes, des images vidéos surdimensionnées, un cercle, comme un couvercle qui va délivrer les images ou sons d'une boite de Pandore.....


Le décor est planté pour ouvrir la cérémonie et c'est parti pour un joyeux délire
L'histoire est absurde, la transformation de Grégor en petite bête monstrueuse se révèle prétexte à plein de fantaisie Une mère obèse, au costume transparent, éclairé de l'intérieur, un père en casque, une sœur en tutu et Grégor qui sort à peine de sa métamorphose, dans ce coquillage entrouvert qui livre ses secrets horribles....


Visions de gentil cauchemar, atmosphère débridée, bon-enfant, joyeuse, rythmée.
Que du bonheur et de la verve colorée pour évoquer un univers , celui de l'étrangeté, de la différence.La musique fuse, les voix, chaleureuses, vivantes, surgissent des gosiers, les gestes s'accélèrent, la folie s'empare des personnages et tout va bon train dans ce petit monde agité qui s'organise autour de cette transformation.


Grégor, gracile, félin n'est pas pour autant terrifiant et son image escalade murs et plafonds, se dérobe, va et vient pour échapper à son sort fatal: il sera écrabouillé, écrasé, banni, rejeté, foulé aux pieds par ces joyeux guignols de l'horreur!
Kafkaïen en diable! La scénographie de John Carroll, magique, puissance, irréelle , d'images grossies dans un globe suspendu aux cintres, est saisissante, originale très "plastique".Tony Oursler veille au grain et le groupe Le Balcon tient tête haute dans ces déflagrations pleines d'humour et de distanciation!
tony oursler plasticien

Les costumes semblent eux aussi sortit tout droit d'une légende archaïque comme ce cancrelat aux élytres et corps monstrueux, étrange, énigmatique
Une soirée où le public en phase enthousiaste, une fois de plus semble aux anges: qui a dit que la musique contemporaine était ennuyeuse et inaccessible?
Un ignorant à coup sûr !