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C’est l’hiver, la neige emporte tout, et nous sommes dans l’appartement de Harwan, étudiant libanais installé à Montréal, qui n’en finit pas de conclure sa thèse sur Robert Lepage, monstre sacré du théâtre canadien. Lorsque son père tombe dans le coma, tout bascule. À son chevet, Harwan parle comme jamais, se souvient de Beyrouth, des couleurs, des étoiles filantes, des bombes aussi.
Décor sobre, une chambre d'étudiant, un homme au centre en slip noir dans toute son intimité va se dévoiler, se laisser prendre par nos regards, nos oreilles, tous nos sens en éveil
C'est par l'image et le verbe qu'il va conquérir l'espace visuel, sonore et sémantique du plateau. Tantôt tel un intélectuel chevroné, tantôt comme un gamin qui retourne aux sources de son enfance et des bruits de son pays Partout et nulle part, cette histoire autobiographique s'adresse à tous et touche, droit au but
Pas de détour, si ce n'est quelques images virtuelles pour brouiller les pistes: des fantômes, ectoplasmes de la mémoire, son double aussi qui le cerne en ombre chinoise.
Quand advient la scène du comas du père où il dialogue avec l'absent, bien "présent" malgré tout, on bascule dans un comique distancé, fragile et très pudique. Ce père à qui il confie moultes secrets et anecdotes, avec qui il joue et se joue des embûches du présent. Le "retour du fils prodigue" de Rembrandt, le hante et anime l'inspiration de ce "spectacle de théâtre" protéiforme, "polyphonique" au dire de Charlotte Farcet, dramaturge.
L'acteur est tout simplement envoûtant, magnétique et conduit sa barque deux heures durant dans un flux de mots, de phrases, de lumières, dans un décor changeant qui va jusqu'au bout de son propos: un immense chantier multicolore, maculé de peinture et autres matières à se fondre et se répandre. Son corps peinturluré, se métamorphose et l'acteur de se reproduire sur les murs comme les empreintes d'Yves Klein, mais en rouge! Anthropométries des nouveaux réalistes, figures graphiques et plastiques comme figées par le temps: empreintes du vivant, du vécu. On en ressort essoré mais grandi, chamboulé mais construit toujours.
Wajdi Mouawad, en fils "prodige" de retour pour un solo, pas tout seul !
Au Maillon jusqu'au 29 AVRIL
"Le froid augmente avec la clarté est un spectacle librement inspiré des deux premiers romans autobiographiques de Thomas Bernhard (1931-1989) : L’Origine et La Cave, qui racontent son adolescence à Salzbourg, sa vision de la guerre, celle du collège − dont la direction passe brutalement du national-socialisme au catholicisme −, sa fuite du lycée pour aller « dans le sens opposé », son épanouissement comme apprenti dans une cave d’une banlieue surnommée « l’enfer ». Ce qui passionne Claude Duparfait, c’est la prose incandescente de Bernhard, ses débordements et sa pulsion de vie ; cette lumineuse rébellion de l’esprit, nécessaire à faire entendre aujourd’hui."
Il est seul assis au pupitre d'une table d'écolier: ce sera le "récitant", Claude Duparfait le témoin des vies multiples de Thomas Bernhard, ici incarnées, on le devine peu à peu par quatre comédiens: aux ages de la vie qui avance! Dans le décor structuré d'un dais de métal qui va peu à peu s'ouvrir et découvrir des issues salvatrices à ce sombre univers clos, un toit , des parois qui s'entrouvrent, les cinq personnages se distribuent la parole, le temps de courts monologues.
La solitude du jeune homme, encastré dans son armoire à chaussures, huit-clos qui l'oppresse et le mènera au suicide est quasi fatale; l'humanité débordante du vieil homme, le grand-père à la fin de la course de la vie, est convaincante et belle.(?) Thierry Bosc est sobre, sans sur-jeu pour ce rôle clef de voûte de cette humanité en effervescence. Les deux femmes, deux facettes de Thomas Bernhard y incarnent tendresse et fermeté, vindicte et mauvais sort: l'une plus jeune et lumineuse, Pauline Lorillard, l'autre massive, frontale et guerrière, Annie Mercier, plantureuse structure charpentée pour affronter les côtés sombres, les aspects inéluctablement noirs de cette adaptation.
La musique vient ponctuer, ces saynètes anonymes, ces fragments de vie autrichiennes que parfois la langue allemande écorche: on aurait souhaité plus de fluidité , d'aisance dans la langue de Goethe qui fait des clins d’œil à la traduction des textes d'origine. Mais nul n'est Duparfait et personne n'est dupe: ce "Le froid augmente avec la clarté" demeure limpide et accessible, vecteur de rêve autant que de cauchemars et l'on en ressort "ému", troublé, secoué comme la période politique qu'il évoque", pleine de paradoxes, d'erreurs, de dérapages
La clarté finale s'échappe de cet univers à claire voie qui laisse filtrer l'espoir mais ne néglige pas non plus la fatale réalité: le temps passe mais n’efface pas ses plaies et blessures dont la jeune héroïne fera les frais: maculée du sang de ses pairs, elle parvient à peine à remonter une pente que Thomas Bernhard lui-même ne saura franchir: le destin est en route!
Claude Duparfait est comédien et metteur en scène. Il a fait partie de la troupe du TNS de 2001 à 2005, sous la direction de Stéphane Braunschweig, et le public strasbourgeois a pu le voir dernièrement dans Le Canard sauvage de Henrik Ibsen et Les Géants de la montagne de Luigi Pirandello. En 2013, Célie Pauthe et lui avaient présenté au TNS Des arbres à abattre de Thomas Bernhard. En 2016, il a écrit et mis en scène avec Célie Pauthe La Fonction Ravel.
Au TNS jusqu'au 12 MAI