mardi 27 mars 2018

"Siena": une nuit au musée !


Présenté avec POLE-SUD et dans le cadre du Parcours Danse // En anglais et en italien, surtitré en français et en allemand // Chorégraphie Marcos Morau - La Veronal  



Une nuit au musée. Une femme contemple un immense Titien, un homme observe la femme. Siena nous emmène en Italie, de la Renaissance jusqu’à nos jours. Un ensemble de danseurs virtuoses habillés en escrimeurs envahit l’espace, un groupe qui se compose et se décompose dans un collage de tableaux oniriques. À travers un langage du mouvement aussi précis que théâtral, La Veronal interroge les bouleversements que connaît, au cours des siècles, la perception qu’a l’homme de lui-même et de son corps.

Parmi ses différents spectacles, Marcos Morau, dramaturge et chorégraphe, s’inspire des analogies entre danse et géographie, ainsi que de l’imaginaire des villes ou des pays pour développer ses recherches sur le corps et ses représentations. Ses créations au sein du collectif La Veronal comprennent le spectacle Siena, inspiré par la ville italienne. C'est ainsi l'occasion d'analyser les troubles et passionnantes méditations sur le temps du corps, ses représentations et ses combats à travers les siècles.

Elle est présente sur scène et contemple avec délectation le tableau surdimensionné devant elle: le corps immense d'une femme nue, lascive, au regard intrusif.Une Vénus callipyge immense, envahissante. Apparaît dans l'embrasure de la porte de la salle du musée, un visage à mille mains: absurde créature qui se révélera gardien du musée! Pantin tout en noir, désarticulé à la gestuelle segmentée, longiligne silhouette énigmatique. Tout comme le reste des personnages qui feront irruption tout au long de la pièce, sur ce plateau rempli de créatures surréalistes. Mouvements entrelacés, entravés dans leur course à travers les corps, énergie diluvienne de touches brèves, courtes qui n'en finissent pas de tricoter un tissu de matière visuelle mouvante, hallucinant! Par quel bout aborder cette pièce si ce n'est par le fil d'une narration, accumulant les images, les icônes en pagaille sur des musiques évocatrices d'ambiance style polard ou religieux.Duo confondant de danseuses contorsionnistes, en costume de chevaliers, d'escrimeurs, de gris souris vêtus, comme de singuliers animaux versatiles, hyper mobiles.


D'une extrême précision, la danse les habite, les manipule, les fait se mouvoir , très tétaniques, fuyants. Duo de siamoises, gémellité sidérante avec des costumes qui se complètent d'un corps à l'autre et recréent un personnage de puzzle fabriqué de séquences gestuelles en construction sculpturale. Toujours dans le mode vitesse, urgence et rapidité. La dynamique laisse parfois le temps s'installer pour une "cène" croustillante où les prophètes se passent de corps à corps, un sachet plastique virevoltant, saint esprit tombé des nues ou des cimaises de tous les tableaux. Peuplés de fantômes errant, la nuit au musée, alors que celui-ci serait fermé au public. On songe à des œuvres de références, la Danse de Matisse, aux univers absurdes de Magrite ou De Chirico....



Touffu, dense, le spectacle déroule son tapis de surprises qui troublent, effrayent, surprennent à l'envi. Que cherchent-ils au sol, à genoux, que nous raconte-t-elle cette visiteuse, sinon le récit de situation abracadabrantesques. Des sensations de "déjà vu", des rêves, des rencontres duelles où les corps s'entrelacent, se métamorphose.
Et lorsque le tableau de référence se transforme en réceptacle de cercueil, laissant la morte gésir à vue, quand un brancardier saisit au vol un corps qui vient de choir, au pays de cocagne, on reste bouche bée et plongé chez Ionesco en ligne directe.
Un diable en cagoule noire se meut désespérément et nous adresse en clin d’œil final, une salutation espiègle en diable. Le talent de Marcos Moreau est celui d'un prestidigitateur, agitateur de repères, transformateur des corps, manipulateur d'imaginaire, à foison, sans limite .Le plaisir et la stupéfaction opèrent: on baigne lentement dans l'absurde, acceptant l'incongru, le bizarre, l'incroyable mouvante de ce petit monde muséal aux multiples secrets révélés. Une visite guidée inédite, une nuit au musée en compagnie de Belfégor, sans retenue, aux multiples entrées de lecture! Quand il fait sienne, les pérégrinations d'un petit peuple agité!   Terre de sienne, géologie pas té titienne -sienne!



Au Maillon Wacken, présenté avec Pôle Sud jusqu'au 29 Mars.





bt


lundi 26 mars 2018

"1993": Eurodance, cinétique tunnel, magnétique jeunesse éclairée.



Texte de Aurélien Bellanger - Mise en scène de Julien Gosselin - Avec Quentin Barbosa, Genséric Coléno-Demeulenaere, Camille Dagen, Marianne Deshayes, Paul Gaillard, Yannick Gonzalez, Roberto Jean, Pauline Lefebvre-Haudepin, Dea Liane, Zacharie Lorent, Mathilde Mennetrier, Hélène Morelli.

1993 est l’année des derniers travaux avant l’ouverture du tunnel sous la Manche. Calais est au cœur de cette ultime réalisation, qui semble parfaire et achever la construction d’une Europe unie dans son désir de paix, de partage, de modernité. Qu’en est-il aujourd’hui de ce désir ? Et de la ville de Calais ? Dans ce spectacle construit avec le Groupe 43, sorti de l’École du TNS en juillet 2017, le metteur en scène Julien Gosselin et le romancier Aurélien Bellanger interrogent la vision d’une génération : que signifie être né après la chute du mur de Berlin ? De quelles déceptions, de quels rêves hérite-t-on ?
Ils sont douze devant nous, alignés dans la pénombre, encadrés de néons rectilignes.Hurleurs, crieurs et vociférant textes et propos sur le monde, ils haranguent la foule devant eux, à l'écoute, ce public rassemblé ce soir au théâtre, venu pour les écouter raconter le monde.Ce tunnel où s'engouffrent tous les maux, les mots de la puissance, de l'actualité, de la brutalité des choses.Chorus qui bat au rythme des néons qui fusent de leur lumière stroboscopique, hypnotique, simulant la conduite d'un bolide tous feux éteints, propulsé à toute allure sous les ventilateurs du nombril de la terre, pour véhicules emballés dans la vitesse du monde. Métaphore autoroutière des flux et passage, de la circulation, des déplacements de population intempestifs.Danse de lumières et de néons, absence des corps de la scène, ballet de lumières à la "Feu d'artifice" de Giacomo  Balla. Ou art cinétique de Julio Le Parc.Un écran coupe la scène en deux, délivrant le jeu des comédiens en live, surdimensionnant corps délivrés et actions directes. La musique déferle comme dans une rave party, forte, envahissante, omniprésente.Le texte défile en sous titre sur l'écran; tous s'adressent en langue anglaise, universelle monnaie d'échange et de communication. Comme dans une boite de nuit où la tribu s'éclate, boit et danse, se frotte à l'autre et jouit du plaisir de l'être ensemble. Au dessus d'eux planent des images de barbelés, de frontières, de cubes architecturaux, de camps de réfugiés désertés. No man's land en noir et blanc, alors qu'au rez de chaussée s'agite frénétique, la population de jeunes , sans limites,filmée en direct au plus près des corps amoureux ou se questionnant .Ou l'Afrique est bien le berceau du monde! D'où chacun est originaire qu'il le veuille ou non !
Dernier plein feu qui découvre chaque visage, encore filmés dans de beaux plans séquences audacieux, fidèles à l'esprit rebelle du texte, à la mise en scène très proche des comédiens, lâchés dans leur belle spontanéité d'expression physique.Au final des images de paysages côtiers, vides, vacants, frontières ou limites infranchissables. La migration flotte sur ces territoires d'évasion impossible où clandestins, migrants frôlent chaque jour la mort.
Un spectacle "multimédia", direct, franc et courageux pour une génération touchée, bouleversée et consciente que le monde va, sans leur consentement ni adhésion à la dérive des continents de l'humanité. Et nous serions nous ce "Lieu d'Europe" utopique où cette vision autre à la Kechiche, d'une jeunesse dorée qui tangue sur les plages du midi? (Mektoub, my love: canto uno)
Ici c'est en chœur que l'on chante et danse!La communauté réfléchit le texte d'Aurélien Bellanger et danse façon Julien Gosselin sur les rivages du souvenir, comme un devoir de mémoire corporelle, salvateur, rédempteur des erreurs  des prédécesseurs responsables.

Au TNS jusqu'au 10 Avril


dimanche 25 mars 2018

"Musiques éclatées": Voix de Stras' et Axismodula s'énervent !


Voix de Stras': "Ma voix, Ma contemporaine": panique au palais !

La conférence, visite guidée du "palais", va démarrer à l'Auditorium de la BNU. Une formule pleine de charme, une "lec dem" (lecture-démonstration) comme un récital où le spectateur est aussi à l'école buissonnière, en bon apprentissage de son rôle d'écouteur participatif, en alerte et plein de bonnes attentions vis à vis des artistes. Une pratique chère à Catherine Bolzinger,, chef de chœur et de cœur et directrice artistique de cette formation sans "stras ni paillette", mais au summum de la pédagogie active et du désir de mise en scène et en espace de la musique contemporaine! C'est justement le propos du récital: faire entendre, laisser écouter en donnant quelques clefs (de sol) de lecture pour pouvoir ouvrir les portes de la réception attentive d'une musique "surprenante" a plus d'un titre d'ailleurs: De témoignages collectés sur facebook à propos de la musique d'aujourd'hui s'annonce une oeuvre plurielle aux multiples entrées. Les "cantatrices" arrivent des gradins, s'installent sur des fauteuils de cuir noir, elles même en smoking foncé: boudoir ou salon de lecture, salle d'attente, peu importe: c'est dans l'intimité de cette proximité que l'on va découvrir ces propos, ponctués d'interventions sonore, vocales, remarquables.
Avec "Living Room Music" John Cage n'est pas loin dans ces univers proches des sons du quotidien , de l'observation de la vie, de l'aléatoire.
Dans cette pièce "Il était une fois", le leitmotiv se décline à l'envi alors que gestes de bras et de mains forment une chorégraphie alerte et significative: ouverture vers l'autre dans l'espace vocal et scénique. Un peu "grotesque", appuyé, comique ou désenchanté, le jeu est présent et efficace: il opère par la justesse et le bon dosage d'expressivité. Car les chanteuses possèdent leur identité et personnalité, leur "nationalité" aussi !'On prend ce petit train en marche, en rythme, avec les "quatre ingrédients" qui font la musique: la hauteur, la durée, les intensités et les timbres!
Comme dans un poulailler en folie, vitesse et cadence, guidée par la chef, se font entendre, les commentaires, en chant déstructuré, les raclures de gorge, la récitation en inventaire (comme chez Aperghis), les accumulations structurent la pièce.



Dans "Féminité", de Nicolet Burzynska c'est de frontière dont il s'agit: des murmures en chorale, comme une psalmodie en écho, dissonante, un rituel qui s’amplifie, se répète, un tempo qui revient: de très beaux aigus sourdent des voix, en cascade Soupirs ou apnée, la respiration se fait corps et chair dans le timbre vocal La tension habite la scène en plaintes, cris comme pour des danses de rogations, d'imploration. Contraste de douceur et de force, strates tuilées des voix apaisées au final.
John Cage n'est pas loin dans ces univers proches des sons du quotidien , de l'observation de la vie, de l'aléatoire.
Dans la dernière pièce , les quatre chanteuses en résonance se répondent, s'imbriquent, se succèdent.Cadence allègre sur les sons d'une bande pré-enregistrée, chuchotements dans une salle d'attente où tout peut arriver.Elles feignent de lire des magazines, puis tout dérape, déraille, patine. Course aux sons et aux diversités des voix qui s'emballent dans un bon délire libéré, délivré. Galop ininterrompu de chevaux lâchés, brides abattues, sauvages.
On est en plein "Paralangage", fait de piqués, de sautillés, d'intensités multiples, de paroles et de textes qui viennent enrichir ou donner sens aux sons.La mélodie "à trou" laisse les sons pénétrer dans les failles et les interstices de la musique. La "démonstration" est faite, très pédagogique que la musique s'expose, s'explique et se ressent, quelques secrets et recette de fabrication dévoilés.
Jolie cacophonie organisée, sons divers quasi liturgiques, belles et longues tenues des aigus, caquetages survoltés en quatre langues aux rythmes bien distincts et le tour est joué!
Virtuoses de l'interprétation, les quatre chanteuses se donnent, malines dans un jeu à la mesure du propos: justesse, finesse et humour!
Pépiements bien féminins pour cette formation plurielle qui réunit de jeunes talents au "palais" de la voix contemporaine, magnifiée par des auteurs au service d'un instrument de chair et de souffle: le corps pulsant, respirant de joie et de créativité


POUR Mémoire
http://genevieve-charras.blogspot.fr/2018/03/live-at-home-n-11-faire-bon-menage.html





Axismodula: "Only Tonight!" : le boudoir s'affole !


Elle est en déshabillé, se fait les ongles nonchalamment dans son petit salon cosy avec son paravent japonais. Elle, Sarah Brado-Durant nous attend à la galerie AEDAEN, un lieu qui sera à la démesure du récital, spectacle mis en scène in situ pour un soir et quelle soirée!
Elle chante alanguie sur sa chaise,"Récitation" de Aperghis, fixe, rêveuse, empilant en pyramide sons et mots qui vont crescendo, en accumulations vertigineuses, en strates qui jamais ne faillissent, comme une petite géologie de la voix parlée, chantée. Psalmodie contemporaine pour cantatrice audacieuse dans un exercice périlleux d'interprétation! Fait suite l'irruption de la pianiste, Nina Maghsoodloo en noir, de cuir noir,moulée SM pour une tonitruante "Toccata Vill" de Nina Deuze. Les deux vont se partager la scène pour "Apparition n° 1" de George Crumb, un duo plein de charme, ce complicité, d'intensité de jeu.Encore quelques touches de piano retentissantes, sèches et toniques avec "Etude op. 117 N°2 de Alireza Mashayehi et c'est John Cage qui prend le relais avec "The wonderful widow of eighteen springs": voix et piano, se jouent des surprises, virtuoses du rythme, du jeu et de l'empathie avec le public. Sarah est maline, dans ses atours variés de cantatrice chevronnée, de "coquette" replète et joyeuse, sensuelle et très érotique dans ses poses, attitudes et postures. Rebelles et belles, les deux artistes règnent sur le plateau, environnées de dessins érotiques: la ligne éditoriale de Aedaen, bien appuyée!
Sans doute le "Bouffe pour une personne seule sur scène" va comme un gant à Sarah Brado Durand, comédienne de cabaret contemporain, aux yeux grand écarquillés, scintillants de malice, de dépits ou d'interrogations multiples. La voix est chaude et tonique, présence, résonante et convaincante.
On reprendra bien un "Life story" de Thomas Ades in fine pour clore la soirée apéritive qui met en apétit de vie et de musique!
Un dernier rappel, émouvant au piano à bouche et tenue de strass et nos deux artistes déjantées disparaissent.


Belle formule de récital incongru, mis en scène par Natalia Lezcano, adaptée aux volumes et résonance du lieu en friche, en éternelle reconfiguration.


Approchez, approchez ! Ce soir seulement ! Entrez et venez faire la rencontre d’un tourbillon de personnages tout à tour extravagants, drôles ou poétiques qui essayent avec tendresse et naïveté de donner vie à un cabaret parfois touchant, souvent bancal, mais toujours passionné ! AxisModula est un ensemble de musique de chambre contemporaine à géométrie variable, créé à Strasbourg autour du duo franco-iranien représenté par Nina Maghsoodloo et Sarah Brabo-Durand, que viennent enrichir les artistes qu'elles invitent sur leurs différents projets. L'ensemble défend une démarche active et engagée envers les répertoires des XXe et XXIe siècles et un accompagnement du public à l'écoute, notamment par une volonté scénographique forte.