vendredi 15 mars 2019

"A happy women" : un mois avec Mérédith Monk


" Meredith Monk est assise face à une rangée de jeunes filles qui se livrent à des exercices vocaux. Elle se lève et vient à ma rencontre. Vous voici enfin, Fanny ! Elle parle un français à l'accent précieux, pose les mains sur mes épaules et embrasse mes joues, à la française. "
Quand Fanny Chiarello atterrit à New York le 5 octobre 2017, elle ignore dans quelle mesure Meredith Monk va se rendre disponible pour elle et lui permettre de mener à bien son projet : un portrait de cette artiste de la voix, compositrice, performer et cinéaste.
Elle assiste pendant un mois aux répétitions dans le studio comme aux spectacles au Lincoln Center, accompagne Meredith au quotidien, jusque dans la cuisine du loft où se retrouvent les membres de son ensemble. Rien ne lui échappe. Elle saisit le réel au vol et rend compte de ses attentes, de son admiration, de ses déceptions.
A happy woman est le récit de leur rencontre, celle d'une romancière française avec une star de l'avant-garde américaine, et se lit comme un reportage littéraire passionnant où la complicité n'exclut pas le regard critique.

Les Percussions de Strasbourg avec "/ Live @home #13 /" font toujours "bonne impression" !


Pour cette 13ème édition, le groupe des Percussions propose au public de s’initier aux formes les plus contemporaines de la musique et d’entrevoir le fil artistique qui s’écrit entre répertoire et création. Consacré à la relecture des œuvres phares du répertoire, ce rendez-vous de mars est aussi l’occasion de présenter des premières créations de jeunes compositeurs. Treize comme les treize desserts d'un banquet bien entamé à présent où l'on sert du fait "maison" !

Dans une très belle scénographie, rien qu'avec la savante disposition des instruments si esthétiques, en demi-cercle comme dans un amphithéâtre idéal, près à accueillir les artistes en son sein., le concert démarre avec:


"La Nueva", Gabriel Sivak , 2019, 15’ / Création mondiale
Des tuyaux sifflants en tournoiements multiples et rémanents, ouvrent le bal de cette fabrique du son, aquatiques ou cristallins et lumineux.Dans la lenteur et la douceur de la perception; puis tout s’emmêle, sons de machine à écrire, vibrations de rotatives; on s'affaire dans cette atmosphère laborieuse d'imprimerie, de manufacture et de machineries percussives. C'est la faute à Gutenberg qui révolutionna la communication, comme aujourd'hui le "net". Ca tintinnabule de toute part, en résonances spatiales, joyeuses. Atmosphère parfois sous-marine, amphibie, salves et turbulences, timbres et mécanique, matériaux multiples engagés dans l'organisation de la pièce.
L'auteur présent Gabriel Sivak, de se réjouir d'avoir partagé ses souvenirs d'enfance, ses résonances , avec un public nombreux et enthousiaste.
Et pour "entremets" à ce festin musical, les jeunes des collèges investis dans ce programme, de se jeter à l'eau et présenter les oeuvres de façon très personnelle, loin du docte discours musicologique !Bel engagement inventif et assumé à souligner!

"Necronomicon", Tomás Marco, 1971, 18’
Des tréfonds des sons, voici un "inventaire" singulier: les métaux tout d'abord, sons stridents métalliques qui circulent en alternance dans l'arène acoustique; métaux précieux et rares, sons de scies à découper... Tôles et toitures, résonnent en écho
Puis c'est au "bois" de s'exprimer, timbres chaleureux, en vagues de bois flottés. Rondeurs des sons, comme dans un étang où coassent des grenouilles au crépuscule du soir.Dans d'imperceptibles variations pleines de détails et de finesse.
Les "peaux" prennent le relais, vrombissantes, frappées en un riche univers, menaçant, inquiétant, dérangeant.
Puis c'est un joyeux mélange des trois matériaux qui se fait par intrusion successive, dans les failles des espaces sonores, dans les interstices.
Tissage et entrelacs de matières sonores, écheveaux d'une toile avec éclaboussures et jaillissement de sons colorés! C'est pétillant, polyphonique et virulent. D'une puissance inouïe un raz de marée sonore envahit la salle, sirènes et tsunami au rendez-vous: un moment unique par son ampleur et son énergie sonore indescriptible!Frissons et chair de poule en prime.

"Air Mass", Wenchi Tsai, 2018, 8’ / Création mondiale
En petit cercle, huis-clos restreint, les six musiciens se concentrent sur des sons insolites et incongrus d'un orchestre de percussions singulières: bols, peignes et autres verres à boire... Les sons répétitifs se décalent, la petite configuration de chambre, intime et réunie communie de concert: c'est quasi exotique, perlé, décalé et intimiste: une belle unisson, une écoute respectueuse soude la formation et enchante.En compte goutte qui chante l'infime.

"Transir", Michael Levinas, 2005, 16’ / Re-création

C'est Michel Lévinas en personne qui présente sa pièce et donne quelques clefs de lecture.
Un chant, des intonations, une ponctuation singulière , la conduite des échelles qui génèrent une mélodie thématique pour mieux venir "briser" la musique, la métamorphoser, en inclinations multiples.Un rythme endiablé aux vibraphones et tout démarre en trombe pour mieux ralentir en jouer des contrastes. Effets de marche, en sections tectoniques qui progressent inlassablement. En autant de modulations, de surprises. Le son tourne, enivrant comme dans un manège lancé, comme dans un chœur d'amphithéâtre semé des timbres de résonances.Rotatif, répétitif, lancinant, envoûtant, le son entraîne dans son sillage et claudique à cloche pied. On vocalise dans cette syntaxe têtue, affirmée, pugnace: la mécanique freine, s'éteint petit à petit, s'épuise et se meurt pour mieux reprendre du terrain et revivre!
Comme un jouet remonté qui cesse d'avancer faute de batterie chargée! Débâcle, déplacements en ondes de la musique percussive si proche et si dansante!

Un jeu d'enfants !
Un concert réjouissant, haut de gamme qui se termine par un "bis" : les six musiciens comme pour un déjeuner sur l'herbe avec leurs mallettes-jeu de percussions portables-glockenspiel- s'en donnent à cœur joie et avec beaucoup d'humour.
C'est la "touche" maison d'une belle formation sérieuse dirigée par un "chef" ce soir là en habit de toge, peplum noir très seyant, dans les plis et replis de la musique d'aujourd'hui.

Le 14 Mars au théâtre de Hautepierre

samedi 9 mars 2019

L'Imaginaire : Transes sonores à Aedaen ! Cablé, synthétisé !

Si les liens entre musique dite « contemporaine » et musique électronique remontent aux travaux de pionniers comme Karlheinz Stockhausen et Pierre Henry, pour ne nommer que les plus réputés, la génération actuelle des musiciens et compositeurs contemporains a parfaitement assimilé les langages de la techno, de l’electronica ou du rock « bruitiste ».
Pour son premier rendez-vous de 2019, l’ensemble contemporain strasbourgeois L’Imaginaire pose câbles, synthés et tables de mixage en l’insolite Galerie Aedaen, avec un concert qui mêle les instruments « classiques » et les aventureuses potentialités de l’électronique. A côté de la flûte et du saxophone, des claviers électriques, des vents amplifiés et des sons électroniques jouent sur nos sens, bousculant la perception du temps, du son, de l’espace, bref, de l’expérience même du concert !


 Davíð Brynjar Franzson et Eric Maestri, présents au concert , échangent avec Raphaël Charpentié (de la Galerie Aedaen) en ouverture..
Programme :

Eric Maestri - Trans, pour saxophone ténor et électronique (2019) 15' Création mondiale

L’Imaginaire retrouve Eric Maestri, directeur artistique de l’ensemble pendant huit ans, avec « Trans », en première mondiale, dont le nom renvoie à la transformation, à la transition des sons, autant que vers une possible « transe », car c’est bien à un dépassement des limites que nous invite le compositeur.
Trans-former, mélanger les sons en un bel amalgame voici la quintessence de la pièce que nous propose l'auteur-compositeur en ouverture de concert.
La rémanence du son lancinant, les vibrations du saxophone, les dissonances entre scie et souffle, étonnent, dénotent.Le son s'engouffre dans la salle très béton, architecture délabrée, défaite, dans son jus de réhabilitation sommaire. Sons d'éboulement, d'avalanche en cascade en fond, électroacoustique. L'amplification gagne du terrain pour céder le passage à un tumulte envahissant, sourd comme un décollage d'avion, du tarmac, de la piste d'aéroport: vrombissement des hélices qui tournent à plein gaz! Dans les airs perturbés par le passage d'un bolide, la lassitude s'installe, calme après l'embarquement fulgurant. Une voix off chuchote rassurante dans la plénitude du son qui s'étire, plan, équilibré, uniforme.
Le son de la bande enregistrée, moteur dynamique contre l'énergie organique de la flûte et du saxophone!Comme un hélicoptère chez Stockhausen!Les deux couches de sonorités se rejoignent plus harmonieuses dans un lent arrêt de moteur, en vol libre....Détachez vos ceintures, vous êtes arrivés à destination, à l’atterrissage!

Davíð Bryjnar Franzson - utterance #2.1, pour saxophone alto, flûte, synthétiseur et électronique (2019) 20'
 Première mondiale aussi pour cette pièce du compositeur islandais basé à New York, une pièce qui évolue entre répétition et mutation d’un événement sonore dans un processus hypnotique.Explorateur d'un seul son amplifié, à deux sur une même note, sur la ligne de départ, très ténue, sur le fil tendu du déséquilibre constant. Comme des somnambules, on se laisse conduire, soutenu, maintenu en continu par les souffles des instruments et des corps conducteurs, interprètes de cet opus infime, toujours à la lisière du risque. Comme de l'eau qui bouge à la surface, on flotte dans cette vaporeuse ambiance, aérienne, en suspension, en apesanteur constante. D'infimes variations, très délicates à l'oreille magnifient ces effets électroacoustiques. Entre deux eaux, à moitié immergée, amphibie, la musique s'égrène, chant d'animaux étranges de fond sous-marins.. Tranquille, qui surnage ou flotte de temps à autre. Conduite par un joueur de console Les sons se meurent et disparaissent au loin, doucement, fuyant dans l'espace en perspective. On est hypnotisé, ravis, capturé, et au final extrêmement bien mené par cette ode à la sérénité.

Antoine Chessex - Miasma, pour saxophone soprano, flûte et électronique (2016) 15'

Compositeur et saxophoniste basé à Berlin et proche de la scène expérimentale, Antoine Chessex affectionne également les installations sonores. Son œuvre « Miasma », écrite en 2016, évoque les ambiances magnétiques des musiques « drones », dévoilant une matière sonore qui emplit « physiquement » l’auditeur.
Quasi dans le noir, l'atmosphère très cosmique de la pièce s'impose, science fiction en décor; des détonations atomiques ébranlent l'espace et leur réverbération tétanise. Fréquences et vibrations émeuvent créant un univers, une ambiance enveloppante. Salves et éclats, jaillissement d'éruption, sirènes langoureuses se dessinent et s'étirent, engourdies. Puis s'élèvent et hurlent leurs cris stridents. C'est la guerre , le cataclysme, étoilé de sons aigus. Vésuve, Etna en ébullition, coulée de lave. Sirènes portuaires, éparpillement des sonorités, éruption pour toile de fond

Un concert détonant, plein de finesse et de sons électroacoustiques bordant les interprètes, brillants, concentrés et intimement habités par les variations multiples de ce répertoire à découvrir absolument pour l'investigation de nouveaux territoires d'écriture de la musique d'aujourd'hui!

A Aedaen Galerie le 9 MARS

Keiko Murakami, flûte
Philippe Koerper, saxophone soprano, ténor et alto
Gilles Grimaître, synthétiseurs
Eliyah Reichen, ingénieur du son