samedi 16 mars 2019

"Un amour impossible" : l'irréparable réconciliation.


"D’après le roman de Christine Angot adapté par l’auteure - Mise en scène Célie Pauthe - Avec Maria de Medeiros, Bulle Ogier. Christine est née en 1959 à Châteauroux, de l’amour foudroyant entre Rachel, employée issue d'une modeste famille juive, et Pierre, érudit issu de la grande bourgeoisie. Elle est élevée par sa mère et voit son père épisodiquement. Un jour, Rachel apprend que Pierre viole sa fille. Christine Angot a écrit cette pièce inspirée de son roman Un amour impossible paru en 2015 à la demande de la metteure en scène Célie Pauthe. Qu’est-ce que l’amour maternel et filial ? Comment la relation fille / père peut-elle évoluer après un tel séisme ? Les actrices Bulle Ogier et Maria de Medeiros incarnent ce combat pour mettre à jour ce qui, dans cette tragédie, dépasse leur histoire intime."

Une idylle mère-fille brisée
C'est en pardessus noirs qu'elles apparaissent, sur fond de scène noir: le père est mort et la mère ne ressent pas de chagrin! Sa fille s'en offusque mais c'est ainsi. Sur l'écran la comédienne qui incarne Christine Angot, raconte Chateauroux, le passé... Et nous voici, en remontant le temps, chez elles, elle fillette rayonnante d'énergie qui récite "Le bonheur est dans le pré" d'une voix aiguë, ingénue, charmante, curieuse de tout, affamée de savoir!
La mère entonne une chanson de Dalida L'Histoire d'un 'Amour et voici les complices, mère et fille réunies, fusionnelles, heureuses.Le décor a changé à vue: nous sommes chez elles: fauteuils douillets et table à repasser: "Les bottes sont faites pour marcher" et la danse de jaillir de leurs corps, simple, à l'unisson de leur connivence de chair et de sang. Des vêtements leur inspirent des poses et jeux de toréador, des grimaces ravissent l'enfant qui sollicite sa mère pour la faire rire; c'est drôle et touchant, plein de vie et de malice, de complicité assumée! Puis l'on passe aux choses sérieuses, aux questions du pourquoi des amours de la mère, de l'absence de reconnaissance du père "inconnu": et si un rapprochement géographique professionnel pouvait solutionner quelque chose?

L'image du père
La rencontre avec le père à Strasbourg sera décisive, révélatrice d'une idolâtrie de la part de la jeune fille conquise par le savoir être et paraître du père. Enthousiasme rapidement effacé à la seconde rencontre où Christine revient pétrifiée de peur, déçue, désabusée..
Il sera déjà ici question d'étiquette sociale, d'humiliation, de dénigrement de la mère par l'intermédiaire de la fille: objet qui se révolte en imitant la voix et les intonations de cet homme colérique et méprisant; le jeu de Maria Medeiros exulte; elle incarne avec tant de justesse toutes les facettes mouvantes du personnage: de l'enfant à la femme humiliée, pourtant émerveillée par la bibliothèque de son père dans le duplex à l'Orangerie; La fascination pour le père opère . Jusqu'aux aveux terribles que raconte la mère, filmée pour plus de distanciation. Faire semblant n'est alors plus possible et les deux femmes se rejettent...Seuls des hommes en ombres hantent le plateau pour déplacer les décors et pénétrer leurs intimité.Le "méchant père" se dessine à grands traits, face aux autres hommes connus de la mère..Charlie entre autre aurait été si idéal, mais il n'en fut pas ainsi. La honte, les aveux de l'une et de l'autre tissent le récit, la narration avance et le drame s'expose, s'explique dans l'évocation des souvenirs et leur analyse trop pertinente et distante de Christine: elle a méprisé sa mère, l' enfoncée comme le père: quel aveuglement, quels non-dits dans leurs confidences!

Etre du "milieu"
 Le rejet social, la sélection identitaire, une voie sans issue, l'intérieur d'un tunnel pour la mère, soumise et égarée dans cette "affaire sordide" de pouvoir: être d'un autre "milieu", d'un niveau inférieur, d'un monde étranger: voici le crime: être nulle part personne au lieu de quelque part, quelqu'un !
Clan et manigances,machiavéliques hypocrisie et tromperie mènent dans une "tactique" magistrale à une abomination: violer sa fille . Et sa mère de tomber maalde des trompes pour "dé-tromper" la situation et écarter la fille du monstre... Très lacanien tout ceci mais limpide et humain.
Bulle Ogier, en mère accueillante, bienveillante qui bascule dans la culpabilité, est sidérante et l'on est de suite en empathie avec l'une autant qu'avec l'autre.Jamais "victime" mais actrice de leur sort: ceci va les conduire vers une réconciliation, une réparation possible des blessures faites au corps et à l'âme.
Au final, un coup de fil de l'écrivaine à sa mère, encore quelques détails de cette dernière pour étoffer le récit et le noir se referme sur la pièce.

Au TNS jusqu'au 23 Mars


vendredi 15 mars 2019

"Cléopatre in love" : une dame de fer dans une robe fourreau d'or.


"Un projet de et avec Christophe Fiat et Judith Henry | Texte et musique Christophe Fiat, mise en scène Christophe Fiat, Judith Henry et Claire ingrid Cottanceau. Dans ce projet théâtral porté par Christophe Fiat et Judith Henry, Cléopâtre déconstruit elle-même sa propre légende telle une icône rebelle mais non dénuée d’humour. Le livret de Christophe Fiat par son écriture délicate et incisive, le jeu et la puissante présence de Judith Henry, font de la célèbre Reine d’Égypte un personnage sorti de nulle part, hanté par son instinct de mort et les hommes de sa vie (son père, Marc Antoine, Jules César). Cette pièce reconstitue poétiquement la vie de cette cheffe d’État au mauvais genre sur fond de tirades shakespeariennes (elle est in love), de glamour (les yeux d’Elizabeth Taylor tirés au eye-liner dans le film hollywoodien de Mankiewicz) et de philosophie féministe."



La scène se strie de faisceaux, traits de lumière au sol qui se croisent, musique de guitare électrique au poing. Le ton est donné, ça va chauffer dans les pyramides dorées qui semblent se cacher sous des couvertures de survie: c'est la reine Cléopatre qui va en sortir pour contredire, agacée, les paroles radiophoniques d'un animateur à propos de son sort!
C'est de sa tombe dont il est question, alors qu'elle apparait dans des lumières roses ou vertes, glamour à souhait
Judith Henry s'est définitivement emparée du personnage: comment fer pour avoir une poigne de faire ?
Cette "dame de fer", reine, putain de mauvaise réputation jubile quand elle évoque son clone au cinéma, la Taylor ravageuse! Dans une diction antique et ronflante, elle évoque ce que les reines font, "contrairement aux rois" et se glisse dans la peau des ombres de la grotte de Platon en ombres chinoises: c'est le début du cinéma, silhouette de profil, chorégraphie antique et figée à mourir de rire!
Cléopâtre est une femme qui danse, émancipée, qui jouit de son sort et sort de ses gonds, démoniaque, manipulatrice, calculatrice mais toujours aimable et touchante de sincérité; Une petite heure durant, elle confine Marc Antoine au second plan, ce dernier peu à peu s'effaçant Elle troque son jean contre une robe lamée or et mimétise avec son environnement doré, paillettes et confettis en pluie qui dégringolent brillamment.
Orpailleuse, Judith Henry, à l'aise comme un poisson dans l'eau, se joue des contrastes du texte et des intonations, de colère ou de douceur.Très glamour, , elle danse, sauvage et libre: "une reine choisit" et décide! Alexandrie, sa descendance la fascinent et elle conte les péripéties de la guerre dans un grand professionnalisme stratège!
Elle compte aussi les robes de la Taylor dans le film et l'envie, focalise sur "Elisabeth" qui étincelle, rayonne au cinéma avec ses robes en "technicolor". Comme un studio de tournage, la scène s'encombre de projecteurs, de ventilateurs qui donneront lieu à un charmant soliloque, tirade récitée par grand vent par notre héroïne!
C'est drôle et malin, grave et plein de sous-entendus sur le harcèlement, l'envie, la cupidité. Cléopatre, une femme adultère à abattre comme Elisabeth et son Burton de complice. Comme dans une enquête policière ou un polard, tout se termine sur la question du poison :qui met fin à ses jours dans une tragique agonie ?.
Que voici un nouvel éclairage sur cette reine très "moderne" dont les faits et gestes résonnent aujourd'hui encore: ceux d'une femme en opposition, en soulèvement, en colère!

Au TNS les 14 et 15 Mars



"A l'hopital" ateliers des Beaux Arts de Paris

Neuf patients des unités psychiatriques, trois soignants et un animateur de l’hôpital Albert Chenevier de Créteil, ainsi qu’une dizaine d’intervenants extérieurs – un écrivain, un danseur, des étudiants de l’école des Beaux-Arts de Paris et leur enseignant –, ont mené une activité artistique collective, de septembre 2014 à juin 2015. Celle-ci a donné lieu à une chorégraphie et à une exposition présentée à l’été 2015 à Créteil, et au présent ouvrage, conçu entre 2016 et 2018 par un effectif plus restreint.
Ce livre vise à rendre compte, à travers un montage de documents mêlé à un récit, du mouvement de cette activité, de l’esprit d’expérimentation qui l’a conduit, de l’imaginaire et des formes auxquels elle a donné corps.