Une idylle mère-fille brisée
C'est en pardessus noirs qu'elles apparaissent, sur fond de scène noir: le père est mort et la mère ne ressent pas de chagrin! Sa fille s'en offusque mais c'est ainsi. Sur l'écran la comédienne qui incarne Christine Angot, raconte Chateauroux, le passé... Et nous voici, en remontant le temps, chez elles, elle fillette rayonnante d'énergie qui récite "Le bonheur est dans le pré" d'une voix aiguë, ingénue, charmante, curieuse de tout, affamée de savoir!
La mère entonne une chanson de Dalida L'Histoire d'un 'Amour et voici les complices, mère et fille réunies, fusionnelles, heureuses.Le décor a changé à vue: nous sommes chez elles: fauteuils douillets et table à repasser: "Les bottes sont faites pour marcher" et la danse de jaillir de leurs corps, simple, à l'unisson de leur connivence de chair et de sang. Des vêtements leur inspirent des poses et jeux de toréador, des grimaces ravissent l'enfant qui sollicite sa mère pour la faire rire; c'est drôle et touchant, plein de vie et de malice, de complicité assumée! Puis l'on passe aux choses sérieuses, aux questions du pourquoi des amours de la mère, de l'absence de reconnaissance du père "inconnu": et si un rapprochement géographique professionnel pouvait solutionner quelque chose?
L'image du père
La rencontre avec le père à Strasbourg sera décisive, révélatrice d'une idolâtrie de la part de la jeune fille conquise par le savoir être et paraître du père. Enthousiasme rapidement effacé à la seconde rencontre où Christine revient pétrifiée de peur, déçue, désabusée..
Il sera déjà ici question d'étiquette sociale, d'humiliation, de dénigrement de la mère par l'intermédiaire de la fille: objet qui se révolte en imitant la voix et les intonations de cet homme colérique et méprisant; le jeu de Maria Medeiros exulte; elle incarne avec tant de justesse toutes les facettes mouvantes du personnage: de l'enfant à la femme humiliée, pourtant émerveillée par la bibliothèque de son père dans le duplex à l'Orangerie; La fascination pour le père opère . Jusqu'aux aveux terribles que raconte la mère, filmée pour plus de distanciation. Faire semblant n'est alors plus possible et les deux femmes se rejettent...Seuls des hommes en ombres hantent le plateau pour déplacer les décors et pénétrer leurs intimité.Le "méchant père" se dessine à grands traits, face aux autres hommes connus de la mère..Charlie entre autre aurait été si idéal, mais il n'en fut pas ainsi. La honte, les aveux de l'une et de l'autre tissent le récit, la narration avance et le drame s'expose, s'explique dans l'évocation des souvenirs et leur analyse trop pertinente et distante de Christine: elle a méprisé sa mère, l' enfoncée comme le père: quel aveuglement, quels non-dits dans leurs confidences!
Etre du "milieu"
Le rejet social, la sélection identitaire, une voie sans issue, l'intérieur d'un tunnel pour la mère, soumise et égarée dans cette "affaire sordide" de pouvoir: être d'un autre "milieu", d'un niveau inférieur, d'un monde étranger: voici le crime: être nulle part personne au lieu de quelque part, quelqu'un !
Clan et manigances,machiavéliques hypocrisie et tromperie mènent dans une "tactique" magistrale à une abomination: violer sa fille . Et sa mère de tomber maalde des trompes pour "dé-tromper" la situation et écarter la fille du monstre... Très lacanien tout ceci mais limpide et humain.
Bulle Ogier, en mère accueillante, bienveillante qui bascule dans la culpabilité, est sidérante et l'on est de suite en empathie avec l'une autant qu'avec l'autre.Jamais "victime" mais actrice de leur sort: ceci va les conduire vers une réconciliation, une réparation possible des blessures faites au corps et à l'âme.
Au final, un coup de fil de l'écrivaine à sa mère, encore quelques détails de cette dernière pour étoffer le récit et le noir se referme sur la pièce.
Au TNS jusqu'au 23 Mars
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