samedi 2 mars 2019

"Requiem pour L" de Fabrizio Cassol et Alain Platel : mais qui est "L" ?


" Hymne à la joie" 
Avec  les métissages musicaux du compositeur Fabrizio Cassol et les inventions théâtrales du chorégraphe Alain Platel, le Requiem de Mozart déploie sa puissance dans une nouvelle dimension. Interprété par quatorze musiciens issus de tous les continents, cette saisissante célébration de la mort, se jouant des frontières entre les genres et les cultures, résonne en écho à l’actualité. De l’intime au collectif, ce spectacle nous relie, à la façon d’un rituel revisité au monde d’aujourd’hui.

Comme dans un polar, la question est posée: qui a tué cette femme qui agonise devant nous sur grand écran plus d'une heure durant, en noir et blanc, plan serré, les yeux mi clos: caméra fixe et mystère, suspens....

Un rideau de scène rouge pour masquer l'intrigue qui va s'ouvrir sur la lente mise en place des artistes. Dans un dispositif scénique encombrant: cinq lignes de dix cubes noirs de taille quasi identique, alignés comme des tombes en rang serré. Sur quelques unes, des cailloux comme au cimetière juif pour commémorer la vie et manifester la présence de celui qui vient visiter les disparus.
C'est l'accordéon qui s'empare de l'espace sonore à la manière d'une plainte très dissonante, alors que l'image vidéo surdimensionnée s'impose au regard; à peine un mouvement perceptible anime ce corps endormi, paupières éveillées de palpitations. Des êtres humains autour d'elle semblent la veiller...Lentement entrent en scène des personnages masculins et féminins qui dessinent des gestes incantatoires, de prière et se glissent dans les interstices des masses noires de cubes disposés au sol. Tous vêtus de noir comme pour une cérémonie macabre: ils chantent et embrassent la scène, comme pour un appel, des rogations incantatoires. Un choeur votif se forme avec les quatorze protagonistes, la peau noire et le chant comme un gospel. Mozart façon africaine, appuyée par des gestes de danse de la terre, gestes répétitifs assumés par trois d'entre eux essentiellement. Des autres corps, sourdent musique, chant et lamentations, incarnés par des interprètes brillants, concentrés, en pleine méditation religieuse. Certes l'ambiance est follement joyeuse comme au "cimetière joyeux" en Roumanie où les tombes appellent à la rencontre avec les esprits défunts dans une ambiance sereine et colorée..
Danse de volatile, les bras souples et ondulants, les jambes mobiles et fugaces, futiles instruments de musique corporelle, très visuelle!
Les épaules animées d'un tremblement, un chanteur, soliste, émeut de sa voix grave et compactée.Tours sur place, profils bas, sur une surface réduite , ils dansent pour attirer la paix et la sérénité, le calme et le recueillement. Alors qu'à l'écran,  la femme gisante parait jouir de toutes ces mélodies et percussions joyeuses...Un mouchoir blanc en main, l'un d'entre eux, rasta , agite l'atmosphère et se meut à travers ce labyrinthe de cubes noirs, ce dédale architectural, sans évoquer le monument de la Shoah à Berlin, signé de l’architecte Peter Eisenman, "Mémorial  aux juifs assassinés d'Europe".Ou Mémorial à L'Holocauste.



Mais ici l'ambiance est aussi festive et réjouissante.Les mouvements des trois danseurs sèment la contagion, exceptés batteur, accordéoniste et joueur de cor-euphonium qui lui aussi, plantureux personnage à la crinière blonde ne poussera pas son dernier souffle ou son premier cri dans une agonie possible mais toujours repoussée aux confins de l'histoire. Histoire d'une communauté soudée par le chagrin ou la douleur, ici exprimés comme de la verve et de l'espoir joyeux. Quand l'un bat sa coulpe en frémissant sur son cube isolé et meurtri, les autres entonnent le choeur ou jouent du likembé.

Un trio de danseurs aux trois coins de la scène, comme un triangle d'or, se forme et les sons rebondissent dans l'espace comme un jeu de balles. Danse serpentine, ondoyante des trois . Quand l'un s'isole, chapelet vert en main sur la tombe rouge, on est empli de dévotion et d'empathie, alors que les autres bordent de leur présence ce mémorial, panthéon de la mort prochaine, réquiem peu orthodoxe façon Platel et  Cassol



Comme pour un rituel, une fête votive, le groupe est soudé, semble parfois s'entretenir, discuter librement; le champ d'action est libre malgré les obstacles parsemés, ces cubes noirs perturbants les circulations dans l'espace scénographique. Palabres et bienfaits des échanges qui soulagent et dédramatisent les circonstances de cet enterrement fastueux et modeste à la fois.
 Montée en puissance de l'expression de la culture africaine pour cette oeuvre revisitée, made in Platel et son acolyte de toujours. Tout le monde finit par danser, même l'accordéoniste qui frappe sur ses bretelles et les autres chanteurs qui battent des mains ou s'emballent avec leurs percussions corporelles! Des silhouettes noires découpées contrastent un instant dans ce gai savoir africain. Comme des gisants, ils s'allongent sur les tombes stylisées dans des lumières tamisées: son tragique du cor à l'appui. Un solo de batterie gronde et menace, un sanctus, tous assis en proximité pour mieux souder la communauté, cette compagnie qui partage le pain, "cum- panis" païenne à souhait !*
Et iconoclaste version que se réapproprient tous et chacun de façon très contemporaine et respectueuse! Alors que sur l'écran géant du fond de scène, la femme agonise dans un dernier souffle, portée par l'assemblée en prière volage, volatile comme les esprits qui quittent les corps pour rejoindre paradis, enfer ou autre réincarnation salutaire et salvatrice.



Ode à la vie, au mouvement, à la danse qui n'a jamais su être "macabre" exceptée en icônes ou fresques terrorisantes, ce spectacle est un "office" une cérémonie, une messe pour ces temps d'aujourd'hui, hymne à la joie, symphonie achevée pour corps mortel. Les cris de la foule, les pieds frappant le sol pour accompagner le dernier souffle de vie!
Les Ballets C de la B toujours à l’affût de l'incongru et du politiquement incorrect, iconoclaste vertueux, trublions des conventions.
Reste que la réponse est ouverte :Mais qui est " L" ?


Au Maillon Wacken jusqu'au 1 MarS
En collaboration avec Pole Sud CDCN

la réponse à "L" !!

Il se passe aussi quelque chose en toile de fond. Sur grand écran, une image d’un noir et blanc peu contrasté s’anime. Y apparaît une vieille dame cadrée à mi-buste, la tête reposant sur un oreiller à fleurs. Aux marges de l’image, des mains amies lui caressent la joue, le bras, l’épaule. La situation est d’une fixité impressionnante : elle se meut lentement et le film défile dans un extrême ralenti. Elle ouvre les yeux, les referme, esquisse un sourire. On comprend : la dame au visage serein glisse vers la mort. C’est pour elle — L alias ­Lucie — que le Requiem, prière pour les morts de la liturgie chrétienne ici traversée de rituels africains, va résonner. Platel nous donne à voir une image de la vraie vie qui parle de la mort…



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