vendredi 17 janvier 2020

"Step Across the Border, A Ninety Celluloid improvisation" : un film de Fada, sur un "Fada" !

Celluloïd Improvisation


Werner Penzel & Nicolas Humbert

"Dans le cadre du concert “Cut of the Border”, Vendredi 17 janvier à 20H30, Fossé des Treize, Strasbourg
Documentaire sur le musicien nomade Fred Frith toujours à la recherche de nouvelles rencontres, de nouveaux sons et de nouvelles musiques qui transgressent les frontières et les classifications. Le film est à l’image du personnage de Frith : pas de structure pré-établie ni de narration claire et précise, mais un montage fondé sur des liens sonores insolites. Cette “improvisation sur celluloïde” nous montre qu’il existe un cinéma libre et improvisé comme le free jazz peut l’être : sauvage, étincelant et surprenant. Le film a gagné le Prix Arte du documentaire européen de l’année, en 1990.
Rencontre avec Nicolas Humbert aura lieu à l’issue de la projection."

Allemagne + Suisse – Film de Nicolas Humbert & Werner Penzel, 1990, 35mm, VostFr, 90’



En avant pour un choc, une tectonique cinéma-musique, autour du personnage de Fred Frith, objet cinématographique non identifié  entre documentaire de création et portrait, terminologie insatisfaisante pour qualifier un film rare, issu de rencontres, d'amitiés et de relations de confiance entre réalisateur et artiste.En présence d'un journaliste de chez ARTE, un débat très riche vient éclairer le processus de création de ce document rare de trente ans, réalisé en 1990
Tout démarre sur l'écran par un générique très dadaiste, fait de lettres qui se métamorphosent joyeusement, en graphisme noir et blanc comme tout le film le sera. Surprises multiples pour cette oeuvre truffées d'images enregistrées sur le vif, lors de concerts, de soirées, de rencontres. La ville, l'architecture et l'histoire s'y cotoient pour brosser le paysage d'une époque encore très "contemporaine" A Tokyo, on s'endort dans les trains, corps abandonnés par le travail et les distances, les trajets.
La musique va bon train, improvisée, fabriquée devant nos yeux, dans l'instant, alors qu'un savant montage très construit transporte rythmes et sons dans un quotidien transformé Tel un John Cage, Frith se révèle à l'écoute de la vie, de l'instant, des bruits du quotidien et les restitue, transformés par la créativité débordante, bouillonnante. Des amis, des artistes l'entourent qu'il convoque généreusement à ses côtés. Sa relation au public l'entraine loin des concerts de consommation. Riche de partage, d'écoute, cet artiste mythique apparait, communiquant et sympathique, alerte, inventif Le film suit cette vocation d'aléatoire, de surprises en surprises, de prises de vue, en prises très physiques. Une scène finale, un couple divaguant sur un quai de gare, chorégraphie improvisée en diable, honore la simplicité des propos ici impliqués: la danse aléatoire de ces deux personnages capturés, captés sur le vif comme des images de Cartier-Bresson fait mouche. 
Ce document, film expérimental à l'image du "Ballet mécanique" de Fernand Léger ou de "Entr'acte " de René Clair est un petit chef d'oeuvre niché dans le cabinet de curiosité du cinématographe
Musique d'aujourd'hui, toujours vivante dans le rythme d'un opus hybride, non conventionnel, âgé de trente ans, toujours jeune et d'actualité.
A déguster sans modération... 

Matière sonore!
Le celluloïd est aussi le nom donné à une matière composée essentiellement de nitrate de cellulose et de camphre. Elle est considérée comme la toute première matière plastique et son origine remonte à 1856. Sa composition a été petit à petit améliorée pour la rendre finalement facile à modeler et à produire. De là à créer du son-image plastique, le lien est fait !  

 

"Hope Hunt et The Ascencion into Lazarus" de Oona Doherty: Gavroche sur les barricades: insurrection !

"Oona Doherty
Réenchanter les rues de Belfast, sa vie entre joies et douleurs. Tel débute Hope Hunt, puissant et court solo créé en prologue à The ascension into Lazarus, une pièce marquante d’Oona Doherty. Danse rebelle, collage poétique et musical cisèlent le fascinant personnage masculin interprété par la chorégraphe.
Originaire d’Irlande du Nord, Oona Doherty fait jaillir des corps, de son vocabulaire singulier, des images, des affects fortement imprégnés par les violences sociales et politiques de son pays.
Croisant danse, performance et poésie sonore Hope Hunt & The Ascension into Lazarus met en scène un personnage puissamment forgé entre vulnérabilité et fierté. Son parcours aventureux, sa quête d’un paradis en font un solo halluciné dont certains climats flirtent avec la science fiction et les clips vidéo.
Cette pièce accompagnée de son prologue Hope Hunt, fait partie d’un projet au long court intitulé Hard to be soft – A Belfast prayer in four parts, « Difficile d'être doux - Une prière de Belfast en quatre parties ». Selon la chorégraphe : « Pour danser, il faut muscler son imagination » mais aussi transfigurer le quotidien, susciter l’empathie et raviver la relation sensuelle entre musique et danse. Ce à quoi s’attache ce spectacle manifeste qui a fait sa réputation.
A la suite de ce projet, accueillie en résidence la saison dernière à POLE-SUD, Oona Doherty s’immergeait dans la création d’une nouvelle pièce autour des rituels féminins, Lady Magma."

Rendez-vous sur le parvis de Pole Sud: une voiture bien rafistolée nous attend, moteur allumé: un escogriffe, bière en main ouvre le coffre et délivre une furie, femme en révolte, vêtue d'une doudoune rembourrée: elle s'y colle, au sol, rageuse, habitée par un diabolique esprit de choc, de renversements, de roulades: le soulèvement gronde et vociférant, elle nous invite à regagner l'intérieur: on la suit, intrigué, malmené, prêt à jouer un jeu risqué: celui de partager une proximité corporelle et mentale
Ce Gavroche, né du pavé va prendre toute sa dimension sur le plateau nu du studio. Seul décor, une poubelle et un amas de détritus au sol.
Les barricades ne semblent pas éloignées de cet univers intranquille, en révolution.

Dans un rayon de lumière horizontal, elle parcours l'espace, en noir, costume de rebelle assiégée, cheveux lissés anonymes. Elle anone "dada" comme une dadaïste en furie, désignant l'absurde de sa situation: seule, insurgée, face à nous. Elle inspire avec grand bruit, brule et consume son énergie féroce: un bout de femme en colère, en rupture comme sa danse, tantôt fluide quasi classique, tantôt malmenée, cabossée. Elle parle toutes les langues, les mixte, bonhomme débonnaire et généreux avec lequel l'empathie fonctionne au quart de tour.Mécanique bien rodée, elle reproduit, refait, répète les mêmes gestes, en répétition déchainée: comme un disque rayé, les mots se choquent, flux et reflux verbal, va et vient qui achoppe, ralentit...Patine et fait du sur place. Le rythme va crescendo, les ratures salies succèdent à de beaux déboulés, classiques, enrobés, fendant l'espace dévoré de sauts et parcours fluides.Elle communique avec nous en interrogeant du regard, en désignant l'un ou l'autre, sans agressivité mais conviction et passion fougueuse. En spirale, en derviche tourneur, la voilà qui s'enivre, s'oublie, s'évapore.Ratages, plantages aussi, chutes et hésitations à son registre: nul n'est parfait et cela la rend accessible, proche, familière malgré une certaine distance due à son sujet d'insurrection.Devant une poubelle, dressée comme un autel dérisoire de détritus, offrandes au monde souillé d'injures, elle se repend lors d'une danse sauvage, hystérique, possédée.Elle mouline ses paroles, mots jetés comme des fleurs épineuses à la face du monde.Garçonne effrontée, virulente, frondeuse, au sol, sa violence éclate, éclabousse et touche droit au but, le spectateur placide. Mais les injonctions sont claires: nous sommes ensemble; de sa voix rauque, sa syntaxe gestuelle épouse sa prosodie mélodique et se fond en discours inaudible, flou. Une métamorphose s'opère soudain quand après un fondu au noir, elle apparait, de blanc vêtue: miracle de cette apparition incongrue sur fond du " Miserere " de Grégorio Allégri, mixé avec bruits et paroles métissées, contemporaines.La métamorphose opère, ce chant religieux la transporte dans des sphères gestuelles extatiques, ouvertes, christiques où le Gavroche ou la Cossette passe de l'autre côté vers la rédemption, le pardon. C'est sidérant et intriguant. Virginité au poing dans la blancheur, mais regard de truand, d'arnaqueur.
On n'est pas dupe de ce miracle: sur des bruits de bagarre, de rixes, de hurlements, sa danse se révèle, furieuse, insurgée. Dépitée parfois, très expressive, elle se repend, très digne dans ses différents registres, elle surprend, étonne, emmène sur des chemins de traverses multiples. Un grand fatras sonore mêle dévotion, et "contre- ut" vertigineux de Allegri qui se répètent, pugnaces et transcendants. Danse et propos païens , fulgurance et lenteur se joignent, souffrance ou dérision s'entretiennent. Limpide, son jeu se brouille et dans une auréole, comme une sainte sacrifiée, elle rayonne, offerte et généreuse.Entre pulsion et sagesse, elle se confesse et disparait pour mieux revenir et nous conduire vers une folle after party au bar ou l'on réconcilie danse, politique et poésie autour un verre de la rébellion et le l'amitié métissée!

 

lundi 13 janvier 2020

"Nos chansons dans les rues": les Voix de Stras' à Schilick.

"Nos chansons dans les rues, portrait sonore et illustré d’un quartier coloré : treize chansons collectées auprès des habitants du Quartier des écrivains (Schiltigheim), romance, ballade, comptine, ronde et ritournelle dans leur langue d’origine : en français, anglais, italien mais aussi en turque, arabe et tchétchène, en tamoul ou en alsacien…
Au départ : une collecte de chansons imaginée par Catherine Bolzinger – parce qu’une chanson parle de nous, de notre histoire, et s’adresse aux autres, parce qu’elle peut être le début d’une rencontre. Et Catherine Bolzinger de rencontrer une trentaine de personnes, des enfants aux seniors, qui lui confient leur chanson et leur histoire, dans une trentaine de langues. Elle transcrit alors treize de ces chansons, les arrangent pour les Voix de Stras’ et le regroupe dans ce livre-disque mêlant les histoires, les dessins et la musique.
À travers de courts portraits, Catherine Bolzinger relate ses rencontres avec les habitants : leur fierté et leur nostalgie ; leur générosité et leur hospitalité ; leurs rêves.
Dans des atmosphères contrastées, les six chanteuses des Voix de Stras‘ interprètent a cappella mélodies traditionnelles et polyphonies raffinées. Au détour de chaque page, les aquarelles lumineuses de Marilou Laure ouvrent la porte à l’imagination."

On se délocalise pour aller à la rencontre des cultures et des traditions pas encore entérées malgré l'exil, la migration, l'imigration et toutes sortes de déracinement humain et géographique
Dans le sous sol de Schiltigheim il y a des trésors à découvrir, exhumer et faire partager: ceux de la langue chantée, de la mémoire enfouie et retrouvée.
Treize chansons pour illustrer cette recollection vivante de mélodies, comptines et autres airs connus de tous ou d'une ethnie, d'une population déplacée et intégrée, ailleurs dans le quartier de Ecrivains de Schiltigheim: écrivains de la mélodie, du chant, de la voix qui exulte des cultures métissées, chaleureuses et partagées
On y côtoie des airs roumains, catalans, alsaciens...En toute simplicité, chantés par les artistes du groupe Voix de Stras', ici Voix de Schilick, pour le meilleur d' une réécriture musicale, adaptation intelligente des genres savants et populaires, reliant ainsi les cultures et disciplines en toute liberté.Dissonances, frottements des timbres de tous pays, voix d'enfants se mêlent;
Démarche généreuse, regard professionnel, sociologique , oreille de musicologue pour magnifier les pratiques musicales, les us et coutumes et surtout transporter chanteurs et publics dans des mondes variés, colorés, plein de vie et de sensibilité
Du bel ouvrage, illustré par la plume et le crayon de Marilou Laure, alerte et dansant, vif et esquisse réussie des sons en envolée, en échappée belle.
Schiltigheim au confluent des identités bercées par l'art et la culture, l'échange et la proximité.


Catherine Bolzinger : collecte, écriture, arrangements et direction artistique
Les Voix de Stras’ : Belinda Kunz, Rebecca Lohnes, Magdalena Lukovic, Gayané Movsisyan, Barbara Orellana, Claire Trouilloud (chant)
Marilou Laure : illustration
Jean-François Felter : prise de son, direction artistique de l’enregistrement et édition numérique
Editeur : Editions du Signe