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Le 16/01/2020 et le 17/01/2020
Réenchanter les rues de Belfast, sa vie entre joies et douleurs. Tel débute Hope Hunt, puissant et court solo créé en prologue à The ascension into Lazarus, une pièce marquante d’Oona Doherty. Danse rebelle, collage poétique et musical cisèlent le fascinant personnage masculin interprété par la chorégraphe.
Originaire d’Irlande du Nord, Oona Doherty fait jaillir des corps, de son vocabulaire singulier, des images, des affects fortement imprégnés par les violences sociales et politiques de son pays.
Croisant danse, performance et poésie sonore Hope Hunt & The Ascension into Lazarus met en scène un personnage puissamment forgé entre vulnérabilité et fierté. Son parcours aventureux, sa quête d’un paradis en font un solo halluciné dont certains climats flirtent avec la science fiction et les clips vidéo.
Cette pièce accompagnée de son prologue Hope Hunt, fait partie d’un projet au long court intitulé Hard to be soft – A Belfast prayer in four parts, « Difficile d'être doux - Une prière de Belfast en quatre parties ». Selon la chorégraphe : « Pour danser, il faut muscler son imagination » mais aussi transfigurer le quotidien, susciter l’empathie et raviver la relation sensuelle entre musique et danse. Ce à quoi s’attache ce spectacle manifeste qui a fait sa réputation.
A la suite de ce projet, accueillie en résidence la saison dernière à POLE-SUD, Oona Doherty s’immergeait dans la création d’une nouvelle pièce autour des rituels féminins, Lady Magma."
Rendez-vous sur le parvis de Pole Sud: une voiture bien rafistolée nous attend, moteur allumé: un escogriffe, bière en main ouvre le coffre et délivre une furie, femme en révolte, vêtue d'une doudoune rembourrée: elle s'y colle, au sol, rageuse, habitée par un diabolique esprit de choc, de renversements, de roulades: le soulèvement gronde et vociférant, elle nous invite à regagner l'intérieur: on la suit, intrigué, malmené, prêt à jouer un jeu risqué: celui de partager une proximité corporelle et mentale
Ce Gavroche, né du pavé va prendre toute sa dimension sur le plateau nu du studio. Seul décor, une poubelle et un amas de détritus au sol.
Les barricades ne semblent pas éloignées de cet univers intranquille, en révolution.
Dans un rayon de lumière horizontal, elle parcours l'espace, en noir, costume de rebelle assiégée, cheveux lissés anonymes. Elle anone "dada" comme une dadaïste en furie, désignant l'absurde de sa situation: seule, insurgée, face à nous. Elle inspire avec grand bruit, brule et consume son énergie féroce: un bout de femme en colère, en rupture comme sa danse, tantôt fluide quasi classique, tantôt malmenée, cabossée. Elle parle toutes les langues, les mixte, bonhomme débonnaire et généreux avec lequel l'empathie fonctionne au quart de tour.Mécanique bien rodée, elle reproduit, refait, répète les mêmes gestes, en répétition déchainée: comme un disque rayé, les mots se choquent, flux et reflux verbal, va et vient qui achoppe, ralentit...Patine et fait du sur place. Le rythme va crescendo, les ratures salies succèdent à de beaux déboulés, classiques, enrobés, fendant l'espace dévoré de sauts et parcours fluides.Elle communique avec nous en interrogeant du regard, en désignant l'un ou l'autre, sans agressivité mais conviction et passion fougueuse. En spirale, en derviche tourneur, la voilà qui s'enivre, s'oublie, s'évapore.Ratages, plantages aussi, chutes et hésitations à son registre: nul n'est parfait et cela la rend accessible, proche, familière malgré une certaine distance due à son sujet d'insurrection.Devant une poubelle, dressée comme un autel dérisoire de détritus, offrandes au monde souillé d'injures, elle se repend lors d'une danse sauvage, hystérique, possédée.Elle mouline ses paroles, mots jetés comme des fleurs épineuses à la face du monde.Garçonne effrontée, virulente, frondeuse, au sol, sa violence éclate, éclabousse et touche droit au but, le spectateur placide. Mais les injonctions sont claires: nous sommes ensemble; de sa voix rauque, sa syntaxe gestuelle épouse sa prosodie mélodique et se fond en discours inaudible, flou. Une métamorphose s'opère soudain quand après un fondu au noir, elle apparait, de blanc vêtue: miracle de cette apparition incongrue sur fond du " Miserere " de Grégorio Allégri, mixé avec bruits et paroles métissées, contemporaines.La métamorphose opère, ce chant religieux la transporte dans des sphères gestuelles extatiques, ouvertes, christiques où le Gavroche ou la Cossette passe de l'autre côté vers la rédemption, le pardon. C'est sidérant et intriguant. Virginité au poing dans la blancheur, mais regard de truand, d'arnaqueur.
On n'est pas dupe de ce miracle: sur des bruits de bagarre, de rixes, de hurlements, sa danse se révèle, furieuse, insurgée. Dépitée parfois, très expressive, elle se repend, très digne dans ses différents registres, elle surprend, étonne, emmène sur des chemins de traverses multiples. Un grand fatras sonore mêle dévotion, et "contre- ut" vertigineux de Allegri qui se répètent, pugnaces et transcendants. Danse et propos païens , fulgurance et lenteur se joignent, souffrance ou dérision s'entretiennent. Limpide, son jeu se brouille et dans une auréole, comme une sainte sacrifiée, elle rayonne, offerte et généreuse.Entre pulsion et sagesse, elle se confesse et disparait pour mieux revenir et nous conduire vers une folle after party au bar ou l'on réconcilie danse, politique et poésie autour un verre de la rébellion et le l'amitié métissée!
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