Madeleine Fournier :Labourer
France / Solo / 60'
"Labourer
? La bourrée ? Le titre donné par Madeleine Fournier à ce solo inédit
résonne curieusement. Qu’est-ce qui relie la danse à la terre, au corps
qui la creuse, à ses rythmes et ses floraisons ? C’est avec humour que
la chorégraphe évolue sur ce chemin fantaisiste, entre mémoire et
présent, formes populaires et gestes abstraits. Sous le terme de «
labourer », plusieurs définitions : ouvrir la terre, la retourner,
creuser des sillons avant l’ensemencement. Mais aussi « labeur »,
travail et pénibilité, ce qui implique d’engager tout son corps dans la
tâche. Dans son solo, la chorégraphe revisite drôlement corps et gestes.
Elle creuse à son tour, par le chant, l’association de postures, de
figures, de dispositifs sonores et visuels et de multiples danses, une
voie inédite dans les mystères, la mémoire et l’actualité de son propos."
C'est sur fond de rideau bleu, qu'elle est assise, chemise mise à l'envers et collants noirs , mains gantées de rouge. De sa voix en longue tenue dissonante, inconfortable à l'écoute,elle donne le ton: décalage et intrigue sur fond de chant baroque; ça ne tourne pas rond et c'est mieux ainsi: visage maquillé de rouge, lèvres peintes et regard absent, lointain, naïf ou ravi. Un personnage clownesque sans sexe apparent si ce n'est celui d'un ange.Des plaintes comme pour une parturiente, la bouche largement ouverte, elle émet du son incongru, organique à souhait. Volume sonore profond et dense: on y croit à cette histoire de corps qui va esquisser sous la dictée de tambours et batterie, des pas aux genres et styles multiples: de la danse classique à la danse baroque, des claquettes et des mouvements robotiques, la voici animée de tectonique et énergie battante. Rythmée comme une armée en déplacement, une batterie de soldats bien dressés. Jusqu' à chavirer et rentrer dans les ordres du désordre! Des percussions automatiques scandent et rythment ses déplacements, dictateurs en diable de ses évolutions. Son bassin se plie alors à des mouvements gymniques, s'affranchissant des lois du bienséant et en Pétrouchka russe légendaire ( on songe à Nijinski) elle fait du sur place, dégingandée, déstructurée, en état de répétitions obsédantes, mécaniques. De beaux déplacements classiques épousant ce vocabulaire fait de premières et secondes positions, obéissent aux canons et codes des pliés, relevés: le visage toujours impassible, neutre, le regard fixe...
Personnage de jeu de carte, joker ou fou de jeu d'échec, ses postures évoquent tout un monde iconographique ou pictural, citations ou références plastiques à l'esthétique d'un Picasso ou Léger. Mais c'est toujours le corps charnel qui revient dans une démarche de crabe, une évocation du cheval, animal de labour, queue de cheval renversée ou dans des manèges circulaires où trot et galop s'enchainent, cadence et rythme en poupe pour cette cavalière interprète. Pose sur ses doigts tentaculaires, qui malaxent et pétrissent l'air, masquent son pubis. Une mécanique bien rodée que ce corps conduit, dirigé par son moteur: cadence bien talonnée en claquettes, mouvements bien dissociés, en écho ou à contre temps des tambours en sonorité dictatoriale surexposée. On répète, on refait profil bas, routine ou ritournelle folklorique comme canevas. Les styles alternent en citation puis elle s'en libère, tambour battant dans l'arène, sur la piste du risque constant.Tout se dérègle, elle s'arrête et cesse le mouvement puis dans le silence, à son propre rythme, revit, mue par ses sensations, son énergie interne, par les percussions de ses talons, un point de mire imaginaire comme boussole.Elle chante alors merveilleusement un chant populaire traditionnel tout en dansant sa respiration.
Entr'acte
Place alors aux images: un vrai projecteur 16 mm délivre des images extraordinaires de plantes en mouvement accéléré, défiant temps et espace. Films d'archives d'Albert Kahn, creuset de surprises sur la vie des plantes, leurs évolutions, leurs arabesques, du pissenlit porteur de graines aériennes, au volubilis qui semble se lover comme sur des tiges de pole dance, un cyclamen qui fait sa Loie Fuller en s'épanouissant...Trèfle qui s'anime en corolle, se ferme et se referme à l'envi. Hallucinante épopée végétale sur tressaillement de sons percusifs.Tout danse ici, se tord, se tortille de plaisir, frétille au son des percussions qui vibrent toujours, mais ici, de bonheur et de fébrilité jouissive. L'érotisme de ces mouvements de végétaux en pleine évolution est sidérant et troublant...La vitesse des éclosions n'est pas le fruit du souffle du vent, mais celui du leurre de l'accélération de l'enregistrement des images captées.
Quelle "leçon" de danse que cette projection intrigante...
Après cet "Entr'acte, relâche dans la dramaturgie de ce solo, retour à la présence de cette femme étrange, à présent vêtue de blanc, robe sans couture; elle chante à nouveau et dans un savant jeu de mains, cadre son visage, se dessine les contours dans des postures au ralenti, sensuelle et fluide évocation de ces plantes semées et récoltées par la danse.Elle se recroqueville, vrille, glisse et s'enroule, les poings sur le sol, enracinée, forte, solide.Figures et poses quasi surréalistes à la manière de Man Ray,....Elle s'enfonce dans le sol, s'y répand, fond, le rouge de ses gants comme des traces de menstrues, taches de sang... Belle plante épanouie, figure de ce qui nous unit à la terre: la pesanteur, les sillons de nos divagations, les plates bandes de ces bouts de terra incognita que l'on ne visite jamais, excepté dans ces conditions là: le labour et la permaculture d'un sol fertile dont l'engrais et l'ivraie naturel de la danse, irriguent un imaginaire très bien cultivé!
A Pole Sud le 21 Janvier
Interprète, Madeleine Fournier a collaboré avec de nombreux chorégraphes et artistes visuels avant de créer cette première pièce en solo. Avec une discrète radicalité, un goût certain pour la variété des styles et l’humour décalé, elle y dévoile son intérêt pour les sources du mouvement. Par le jeu des associations. Labourer conjugue formes, matières et interprétations. Selon la jeune artiste, ce sont : « autant de mouvements à la fois rythmiques et organiques, humains et non-humains qui cherchent à troubler la distinction supposée fondamentale entre nature et culture. »
Pour mémoire à Avignon dans "le vif du sujet"
"Ce jardin"
Massages pas sages
Ina Mihalache et Madeleine Fournier se livrent ici sur un plateau nu, à un exercice très esthétisant de numéro, séance d’ostéopathie en direct pour deux bêtes à deux dos. Belle sculpture kinésiologique, faite d'appuis, de bascules, de contact et manipulations.C'est beau et l'on se prend à se glisser dans cet aggloméra de corps maculés de peinture bleue comme pour mieux marquer les empreintes des appuis, impacts et bienfaits de l'une sur l'autre. Comme une compression vivante à la César, les deux femmes s’emmêlent, se fondent en un tout , corps soudés,mordenseur du dentiste qui scrute les impacts de l'énergie sur les mâchoires avec ce bleu Klein, trace et signe du passage à l'actes. Ca pétrit la matière vivante, laissant place au temps et au désir, faisant trembler l'estrade, en un tango thérapeutique salvateur!
Personnage de jeu de carte, joker ou fou de jeu d'échec, ses postures évoquent tout un monde iconographique ou pictural, citations ou références plastiques à l'esthétique d'un Picasso ou Léger. Mais c'est toujours le corps charnel qui revient dans une démarche de crabe, une évocation du cheval, animal de labour, queue de cheval renversée ou dans des manèges circulaires où trot et galop s'enchainent, cadence et rythme en poupe pour cette cavalière interprète. Pose sur ses doigts tentaculaires, qui malaxent et pétrissent l'air, masquent son pubis. Une mécanique bien rodée que ce corps conduit, dirigé par son moteur: cadence bien talonnée en claquettes, mouvements bien dissociés, en écho ou à contre temps des tambours en sonorité dictatoriale surexposée. On répète, on refait profil bas, routine ou ritournelle folklorique comme canevas. Les styles alternent en citation puis elle s'en libère, tambour battant dans l'arène, sur la piste du risque constant.Tout se dérègle, elle s'arrête et cesse le mouvement puis dans le silence, à son propre rythme, revit, mue par ses sensations, son énergie interne, par les percussions de ses talons, un point de mire imaginaire comme boussole.Elle chante alors merveilleusement un chant populaire traditionnel tout en dansant sa respiration.
Entr'acte
Place alors aux images: un vrai projecteur 16 mm délivre des images extraordinaires de plantes en mouvement accéléré, défiant temps et espace. Films d'archives d'Albert Kahn, creuset de surprises sur la vie des plantes, leurs évolutions, leurs arabesques, du pissenlit porteur de graines aériennes, au volubilis qui semble se lover comme sur des tiges de pole dance, un cyclamen qui fait sa Loie Fuller en s'épanouissant...Trèfle qui s'anime en corolle, se ferme et se referme à l'envi. Hallucinante épopée végétale sur tressaillement de sons percusifs.Tout danse ici, se tord, se tortille de plaisir, frétille au son des percussions qui vibrent toujours, mais ici, de bonheur et de fébrilité jouissive. L'érotisme de ces mouvements de végétaux en pleine évolution est sidérant et troublant...La vitesse des éclosions n'est pas le fruit du souffle du vent, mais celui du leurre de l'accélération de l'enregistrement des images captées.
Quelle "leçon" de danse que cette projection intrigante...
Après cet "Entr'acte, relâche dans la dramaturgie de ce solo, retour à la présence de cette femme étrange, à présent vêtue de blanc, robe sans couture; elle chante à nouveau et dans un savant jeu de mains, cadre son visage, se dessine les contours dans des postures au ralenti, sensuelle et fluide évocation de ces plantes semées et récoltées par la danse.Elle se recroqueville, vrille, glisse et s'enroule, les poings sur le sol, enracinée, forte, solide.Figures et poses quasi surréalistes à la manière de Man Ray,....Elle s'enfonce dans le sol, s'y répand, fond, le rouge de ses gants comme des traces de menstrues, taches de sang... Belle plante épanouie, figure de ce qui nous unit à la terre: la pesanteur, les sillons de nos divagations, les plates bandes de ces bouts de terra incognita que l'on ne visite jamais, excepté dans ces conditions là: le labour et la permaculture d'un sol fertile dont l'engrais et l'ivraie naturel de la danse, irriguent un imaginaire très bien cultivé!
A Pole Sud le 21 Janvier
Interprète, Madeleine Fournier a collaboré avec de nombreux chorégraphes et artistes visuels avant de créer cette première pièce en solo. Avec une discrète radicalité, un goût certain pour la variété des styles et l’humour décalé, elle y dévoile son intérêt pour les sources du mouvement. Par le jeu des associations. Labourer conjugue formes, matières et interprétations. Selon la jeune artiste, ce sont : « autant de mouvements à la fois rythmiques et organiques, humains et non-humains qui cherchent à troubler la distinction supposée fondamentale entre nature et culture. »
Pour mémoire à Avignon dans "le vif du sujet"
"Ce jardin"
Massages pas sages
Ina Mihalache et Madeleine Fournier se livrent ici sur un plateau nu, à un exercice très esthétisant de numéro, séance d’ostéopathie en direct pour deux bêtes à deux dos. Belle sculpture kinésiologique, faite d'appuis, de bascules, de contact et manipulations.C'est beau et l'on se prend à se glisser dans cet aggloméra de corps maculés de peinture bleue comme pour mieux marquer les empreintes des appuis, impacts et bienfaits de l'une sur l'autre. Comme une compression vivante à la César, les deux femmes s’emmêlent, se fondent en un tout , corps soudés,mordenseur du dentiste qui scrute les impacts de l'énergie sur les mâchoires avec ce bleu Klein, trace et signe du passage à l'actes. Ca pétrit la matière vivante, laissant place au temps et au désir, faisant trembler l'estrade, en un tango thérapeutique salvateur!
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