samedi 25 janvier 2020

"Gosth": Fantômes-attique de Doris Chataigner : familiers de nos demeures mentales.

Les fantômes en leur demeure
Non, ils ne vivent pas que pour nous effrayer, les spectres, fantômes et autres ectoplasmes...
Dans l'imaginaire photo-graphique de Doris, des formes diaphanes occupent la toile, se font cascade discrète sur une descente d'escalier, occupants des lieux d'une cuisine, entre cheminée et poêle en faïence d'une vaste et vieille demeure alsacienne...Dans des décors rêvés, la vanité d'une bougie berce la lecture reposée d'un passager de la nuit, songe éveillé de celui qui regarde. Les murs fanés et les ombres portées reflètent le leurre et la fantaisie.


Entre fenêtre très éclairée, bordée d'un rideau spectral de dentelles entrouvert et une nappe du même acabit, se glisse un spectre bienveillant, assis, serein et tranquille. Entre les mailles de son linceul, filtre la lumière qui le rend vivant, tactile, perceptible. Poète des lieux inoccupés , abandonnés, hantés par ces personnages sans ages, l'esprit se tient, impassible et veille .La machine à coudre pique le suaire d'un seul tenant, histoire de ne pas couper le tissu de son énergie naturelle !


Dans des couleurs feutrées et pastel, chaudes et rassurantes, les occupants de cet attique pour fantômes s'installent, se posent et nous regardent. Dans le silence suspendu de leur absence, dans la perte du défini, du trait circonscrit. FlouEs et évanescentes, les ombres diaphanes se devinent, se révèlent et la danse en solo de ses créatures éphémères de passage, se fait fluide et fugace A peine le temps de parcourir du regard la photographie, devant nous qui songe encore à ce mirage imaginaire.
Doris Chataigner une fois de plus se révèle comme artiste du fugace, de l'instant auquel personne ne croirait si elle ne l'avait pas immortalisé.


Le foyer brule, s'enflamme sans toucher la lueur du spectre qui s'y réchauffe, invisible révélation nocturne.Jamais chassé, ni négligé, bienvenu au pays des miracles.
Sa série "Fantômes" présentée lors du salon photo, Rendez-vous Image à Strasbourg, se déguste du bout des yeux en clignant des cils pour voir si l'on ne rêve pas à des apparitions suspectes d'êtres quasi possibles: fruits de visions et spéculations audacieuses sur les mondes incertains de la magie ou du délire réparateur de nos fantasmes rassurants.
Surtout, ne pas déranger ces figures transparentes et seules visibles de nous !

Jusqu'au 26 Janvier au PMC Strasbourg

vendredi 24 janvier 2020

"Concert Intercolor": united colors of music !

CONCERT INTERCOLOR

Auditorium du Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg

Lauréat du dernier appel à projet de Musiques Éclatées, l'ensemble Intercolor présentera son travail en concert le 23 janvier prochain au MAMCS .

Une formation originale à découvrir par le mélange de timbre de ses instruments : un cymbalum, un accordéon, une clarinette, un saxophone et un violon ! L'ensemble Intercolor a su trouver une parfaite cohérence sonore entre ses instruments en proposant un répertoire sur mesure qui embrasse une large période allant de la musique de la renaissance aux musiques de création d'aujourd'hui. 

Interprètes:
Aleksandra Dzenisenia  cymbalum
Kasumi Higurashi  violon
Yui Sakagoshi  saxophones
Helena Sousa-Estevez  accordéon
Léa Castello  clarinettes

Clément Janequin avec "Le chant des oiseaux" inaugure ce programme


éclectique : oeuvre dansante, entrainante où chaque instrument est valorisé, même dans les unissons à tue tête. Musique courtoise et distinguée,, cavalière aussi qui se joue des conventions: on y décèle un "coucou" parmi cette volière esquissée où volent oiseaux où s'agitent plumes et sautillements.Chahut charmant, drôles d'oiseaux rares ou de proie, miroir aux alouette qui curieusement entre en résonance avec la pièce voisine de György Ligeti "The cuckoo in the pear tree "
Des chants d'oiseaux, presque plus évidemment évoqués font irruption, en alternance, version contemporaine, moderne en dialogue de la pièce précédente... Rythmée, en ricochets et échos, brève et pertinente composition !
Suit, de Jean-Patrick Besingrand , "Cinq centimètres par seconde"
Tintamarre et capharnaüm, intime tension tenace et tenue pour prologue,en cascade La texture est fine, vibrante.Les variations entretiennent le suspens, glissades et ascension des sons d'un saxophone plaintif en surexposition. La délicatesse de l'interprétation commune de ce gynécée musical de chambre appuie sur les contrastes forts et surprenants A tire d'ailes, attire d'elles.
Le cymbalum guide et dirige les pas de l'écoute, on avance, chemine à ses côtés, des accidents de sons en chemin de traverse. Il ne se laisse pas distraire, mais bientôt se laisse submerger, bon joueur !

Le cymbalum conduit la progression du tout puis la reprise d'une allure bonhomme reprend le pas, après un coup de tonnerre frappé, éclaboussant. Volume, et ampleur des sonorités s'accentuent et se déploient en cacophonie savante. Le violon, seul au finale éteint ses feux.

Guillaume Dufay et "Ma belle Dame souveraine " succède, de facture "ancienne", quasi nostalgique mélodie, vents et accordéon en poupe: pavane douce et amoureuse, gracieuse danse, en touches et pas chorégraphiques et évolutions sonores, bal dansant et révérence à l'envi.De beaux revirements toniques pour chahuter le rythme, exploitant les instruments à revers lors d'une digression contemporaine étonnante. Le baroque reprend le dessus et tout rentre dans l'ordre .La fin radicale coupe le souffle et le son !
Au tour d'Antonio Tules et son "Récessive Sept " d'activer le concert dans une ambiance secrète où finesse et ambigüité des sources sonores qui mimétisent et s’emmêlent, font mouche. Chaque instrument s'affirme brièvement en taches pointillistes: sur la toile sonore  se tisse un paysage vibrant d'étincelles : souffles et respirations retenus, suspendus en apnée comme un vol d'insectes hasardeux, bourdonnant.La brillance des sonorités l'emporte sur les sons feutrés, filtrés , discrets..

Friso Van Wijck  avec un opus plus radical, "..of blue, of green... " prend le relais, subtil, dissonant, syntaxe entrecoupée d'empilements en bonne liaison pour former un tout sonore compact.Des rythmes différents, des citations d'univers musicaux se profilent et disparaissent: étrange composition polymorphe, répétitive, référence aux grands maitres du genre Une musique puissante et évocatrice: le charme du jeu suspendu du cymbalum en prime: beauté et grâce des gestes sensuels de Aleksandra Dzenisenia qui se fondent dans des résonances lointaines.

Mogens Christensen avec "Folia for Five", folk music from unknown country, étire le temps et l'espace. Tout y respire calmement, se languit au son de l'accordéon qui se plie et déplie, se cabre, se distant comme les cotes flottantes d'une cage thoracique: sous les doigts de Héléna Sousa Estevez, ce long morceau de bravoure, virtuose franchit les lois de la composition, sensible, sur le fil...

John Taverner avec "The western wind mass:Gloria" compose en duo pour des dialogues fertiles entre accordéon et clarinette, endiablé, relayé par le son chaleureux du saxophone basse. Cymbalum et violon en couple de concert font irruption, avec en réponse la verve et la joie de l'intrusion des vents. L'accordéon en relais, curieux, fouineur s’immisce et soude le tout, prend le dessus, déraille, se ressaisit, transportés par ses compères de musique. Joyau éclatant dans les aigus, timbres à l'unisson, vif argent, très dansant, ce morceau séduit, enchante .Des voix y ajoute et renforce l'aspect berceuse de cet opus hypnotique: quasi musique sacrée transportante, choeur de voix dissonantes, élévations et fréquences divines, angéliques!


Puis la pièce tant attendue de Damian Gorandi , "Dark Virtue"nouvelle pièce (création mondiale) fait le ménage sur le plateau: on change d'instruments, on se prépare à l'émotion de la nouveauté, sans filet !
Lente respiration de tous en prologue, introduction entrecoupée de sons du quotidien, manipulés, transformés, transposés en mutation. L'accordéon en éventail, étiré à souhait: l'atmosphère est froide, métallique, distante. Des sons d'usine, de réverbération de grands espaces de friches industrielles abandonnées...Intrigante composition.Suspens...Les sons  s'y répètent, en va et vient conducteurs, glissements, dérapages contrôlés, inclinaisons vertigineuses des sonorités. Le cymbalum inquiète, très présent, menaçant; les autres instruments bruissent à l'unisson, miaulent, sirènes obsédantes, horloge soudaine pour rapatrier l'attention !
Le vrombissement des vents, du tuba, enfourché avec symbiose par Yui Sagagoshi, frêle et fragile créature diaphane mais très solide pour autant, inquiète.Eclats et renforts sonores pour un tohu-bohu savant, pétarade, sifflets de machinerie infernale de science fiction !
Des assauts violents, virulents d'une marée, bourrasque déferlante, taquinent l'ambiance: une accalmie se profile, riche de timbres explorant les vibrations des instruments.
Ce concert, digne de figurer dans les hauts lieux de la diffusion musicale contemporaine fonctionne aussi comme un miroir de genres, en reflets augurant d'une inventivité de programmation, d'une sensibilité musicale, accessible et riche en idée de partage.

A suivre à l'évidence !

 

jeudi 23 janvier 2020

"Nous pour un moment" : avec eux, en famille dans "le petit bain", pas toujours de jouvence !

   Texte Arne Lygre Mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig 

Collaboration artistique Anne-Françoise Benhamou Avec Anne Cantineau, Virginie Colemyn, Cécile Coustillac, Glenn Marausse, Pierric Plathier, Chloé Réjon, Jean-Philippe Vidal

Stéphane Braunschweig met en scène pour la quatrième fois une pièce de l’auteur norvégien Arne Lygre, l’un des plus grands auteurs vivants. Dans Nous pour un moment, sept acteurs et actrices sautent « à vue » d’une identité à l’autre pour interpréter une vingtaine de personnages, dont la vie peut, à tout moment, basculer. Il est question des relations ambiguës et changeantes qui relient les êtres : quel est cet autre qui peut être objet de désir ou de peur ? Lygre expose avec acuité notre « psychisme contemporain » dans toutes ses contradictions.

Pédiluve...A la surface de l'eau
Un étonnant parterre d'eau inonde la scène, ponctué de chaises encore vides, sur fond blanc, lumineux: deux personnages s'y installent, deux , une "Amie" et une "personne", définies ainsi par une signalétique sur la paroi du fond. Le reflet des personnes fait miroiter leurs paroles; les pieds dans l'eau, mi-mollet, les voici comme tronquées, ou dépossédées de leur pied, leur fondement de pesanteur au sol...Assises, "elles" conversent, se lancent des piques de vérité à propos de leurs amours masculines! Du punch, de la verve pour ces deux femmes, complices ou ennemis, concurrentes qui s'avouent en "amies" les pires paroles. Celui qui va pénétrer cet univers, c'est justement celui dont il est question et tous les autres personnages feront ainsi immersion, de fil en aiguille, discrètes apparitions qui s'enchainent naturellement."Ai-je pensé" ? : un leitmotiv qui revient pour ponctuer leurs réflexions en mouvement: pensés qui avancent, toujours en construction, m^me si le contenu en est cuisant de vérité ! Puis se seront une "connaissance", un "inconnu", un "ennemi", une "autre personne" qui viendront fendre la surface de l'eau pour rejoindre sur le plateau, ces hommes et femme, en dialogue, en solo. La lumière change, se métamorphose, de vert émeraude, à noir d'encre: l'environnement aquatique scintille, le bruit des pas qui fendent la superficie aqueuse se fait rond dans l'eau .La lumière, signée Marion Hewlett est un régal de contrastes, de scintillance, de présence dramatique: de vert profond à émeraude, de noir d'huile à réverbération , outre-noir de pétrole...

Le petit bain
Le pédiluve, désigne tout dispositif provisoire ou permanent destiné à laver les pieds nus, ou destinés à désinfecter ou nettoyer les chaussures ou bottes susceptibles d'avoir été souillés par des microbes ou matériaux indésirables. Qu'en fait Stéphane Braunschweig ? Metteur en scène de ces "petites eaux" troubles à la vie agitée des eaux dormantes...
Le grand bain
Comme un handicap, un empêchement, cette "piscine", petit bain de jouvence ou de souffrance est une entrave et pourtant chacun y semble à l'aise. Paradoxe ou contradiction ?"Changer" ! Peut-on changer s'interrogent en ricochet quelques uns...Le lit, la table semblent flotter, accueillir les corps qui s'y nichent pour échapper au flux de l'eau qui stagne. Source de reflets attirant, de miroir, l'élément liquide se répand, prend une place importante, vit et résonne, vibre aux pas de ceux qui l'abordent, la pratiquent. Lac de signes, surface de miracles où personne ne marche sur les eaux, mais dévoile une écriture, une langue et des histoires, auto-citations de vécu intense Il y a de la rage, du désir en chacun et chaque comédien est vivant, présent avec force et détermination: le volume des voix favorise cet ancrage dans l'eau qui porte le jeu. La plaque tournante qui les supporte se joue de leur égarement, les objets, table et chaises ont aussi les pieds dans l'eau. Et les ombres des pesonnages, démultipliées, vivent en écho en fond de scène, fantômes ou habitants de caverne platoniciennes qui mugissent en silhouette virtuelles.
L'eau du corps plonge dans son élément même: nous sommes fait de 90 °/° de masse liquide et depuis le liquide amniotique, nous baignons dans cette "fragilité, précarité, et fluidité" originelle.

Au TNS jusqu'30 Janvier


Le metteur en scène Stéphane Braunschweig dirige depuis 2016 l’Odéon − Théâtre de l’Europe, après le Théâtre national de La Colline de 2010 à 2015 et le TNS - Théâtre National de Strasbourg de 2000 à 2008. Dernièrement, il a présenté en salle Koltès Le Canard sauvage d’Ibsen et Les Géants de la montagne de Pirandello. De l’auteur Arne Lygre, il a mis en scène Je disparais en 2011, Jours souterrains en 2012 et Rien de moi en 2014.