vendredi 14 février 2020

"Yours, Virginia" : des vagues à l'âme, une chambre à soi...


Dans le cadre du ballet Yours, Virginia - Bruno Bouché, le directeur artistique du Ballet de l'OnR, vous convie à un échange autour de la personnalité unique de l'écrivaine féministe Virginia Woolf, en présence de Emmanuelle Favier, auteur de l'oeuvre Virginia (paru en Août 2019) et de Irène Filiberti (POLE-SUD CDCN)

Un échange fructueux sur la lecture des œuvres littéraire et chorégraphique interpellent l'auteure, écrivaine Virginia Woolf...
Ou comment s'affranchir des injonctions sociales, patriarcales, comment décrire l'essence d'une vocation dans un récit poétique, littéraire et subversif à la façon "Woolf" ?..
Comment dans une nouvelle dramaturgie, le chorégraphe Gil Harusch va-t-il éviter biopic, histoire pour créer un "ballet" revendiqué comme genre, ballet d'aujourd'hui, prise de "parole" qui se libère sur la domination , prise de "gestes" façon Virginia. Le livre a circulé parmi les danseurs du Ballet du Rhin, expose Bruno Bouché en réponse à l'introduction de Emmanuelle Favier: pourquoi Virginia aujourd'hui? Ce "féminisme" jamais revendiqué comme tel par l'écrivaine, cette résurgence de sa figure fait questionnement, interroge: ici pas d'affirmation idéologique mais plutôt pragmatique, dans le concret, comme un modèle, une "grande sœur" fondatrice du genre dégenré qui s'autorise à être artiste femme, à la marge. Transposer la littérature dans le vivant, la danse "ce que lui fait à lui, chorégraphe, Virginia": du vampirisme, de l'irrespect hors norme face à une œuvre intouchable mais accessible à qui veut bien la visiter sans œillères.. Sans idée préconçue, cliché ou autre falsifications douteuses.Du subjectif, pas un "hommage" à l'auteure: il y développe sa singularité, une image genrée qui se représente. Prendre en charge son émancipation, donner fin à sa vie, aussi..Une force psychique que le chorégraphe analyse comme thérapeute très concerné!
Question de "genre" sur les "mots" de Virginia qui se répandent , touchent l'intime: des mots justes pour convoquer le silence, le geste dans la différence."J'ai renoncé à la prise de parole", "c'est écrire qui me donne mes proportions" dans la vie, dans l'espace: crédo commun aux trois auteurs: chorégraphe, écrivaines.
Un travail sur le déséquilibre s'amorce, se ressent: habiter son corps, son lieu à soi, l'endroit du corps où l'on se sent "bien". Correspondance entre psyché et Terpsichore !!
La chorégraphie est "genrée" sur les partitions corporelles et musicales: désir, sensualité, jeux de liberté sur sa propre identité, sa norme en tant qu'individu. Corps respon danse !
On retrouve la "vague" comme motif de l'écriture chorégraphique: l'élément liquide, auditif aussi du son, de la musique, présente, inventée, crée pour l'occasion du ballet.
Les mouvements sont "eau", vague, liquide, vase aussi.Les costumes changent dans une volonté de déconstruction du genre "ballet" mais respectant , infléchissant l'évacuation d'une intrigue, d'une histoire, d'une narration intempestive.
Virginia ne "raconte pas d'histoire"? c'est ce qui se passe dans l'humain qui la questionne, l'intrigue, la tarabuste et taraude. De même pour Gil Harush et sa fabrique de la pensée qui tient l'affectif et l'intellect, soudés.Pensée en marche, en mouvement, comme celle de l'écrivaine, à part.
Même démarche. Le groupe de danseurs y est masse physique, psychique alors que chaque individu y est aussi traité comme un être unique qui s'en détache, s'en extrait.

Vagues à l'âme, vagues alarme qui divaguent. Comme celle de la sculptrice Camille Claudel ou de la danseuse Isadora Duncan.

Une grande osmose avec l'orchestre "vivant" présent, son chef impliqué dans la recherche musicale adéquate est une grande joie pour Bruno Bouché, enthousiaste.Des images lui restent imprimées, travaillant corps et esprit, qui le poursuivent de leur impact, leur résonance: questionner le réel pour le faire"bouger"...
Des "impossibles" s'y expriment, jamais résolus, en suspens, en suspension, en suspens énigmatique..
Chutes, courses et ruptures, empêchements au registre de ce qui n'est jamais "illustration": c'est dense, touffu, multipliant les points de vues, brouillant les pistes de focales, comme l'écriture de Virginia, femme combative, pleine d'humour, de mélancolie aussi.
On se débarrasse ici des clichés sur son personnage, on prend des "états de corps" de lecteur, de spectateur impliqué, concerné.Ce n'est pas une "distraction" ni un divertissement mais une immersion en plongée dans une découverte de soi et de l'autre.On y "considère" le public respectueusement pour qu'il découvre matière et propos pour s'y transformer."Satisfait" d'être ainsi considéré, ouvrant des horizons multiples, des visions sur toutes ses propositions de lecture. Comme Camus, avoue Emmanuelle Favier qui vit à la fois la solitude de l'écrivaine et le désir de partage, d'incarnation de ses œuvres: par la lecture, par le jeu des comédiens ou danseurs qui donnent corps et voix à une œuvre écrite, composée.
Elle a fait elle même feu de tout bois pour son ouvrage sur Virginia: essai, journal intime, critiques, romans: tout ce qui "correspondait" à son désir de traduire, de passer en relais et flambeau, l’œuvre de cette femme en rébellion. En soulèvement.
"Votre" Virginia, bien à vous, de beaucoup de vous, des uns aux autres ..
Une signature, dédicace, correspondance "timbrée", affranchie, libre !


Gil Harush crée des états psychologiques sur le plateau en tant que thérapeute aussi: le geste est un moyen d'expression, qu'il soit tribal, académique ou appartenant à d'autres codes, grammaire ou registre.Des états de groupe en émergent. Être à l'endroit où l'on veut être, toujours
Comme l'angoisse face à la  page blanche, comme le plaisir de la savoir remplie, après.
"Le texte me remplit", les acteurs" remplissent les mots de mes pièces de théâtre" pour Emmanuelle Favier.
Et pour Bruno Bouché, "l'endroit" c'est le studio de danse, le lieu où il trouve sa "place" et construit sa sémantique avec ses danseurs.
La "solitude" pour chacun restant nécessaire ou effrayante!

Très belle rencontre, tissée de complicités, de correspondances multiples aux entrées et sorties, cour et jardin, prolixes et prometteuse d'un "ballet" retrouvé sous sa forme complexe d'oeuvre nourricière§
Et buissonnière aussi !

A la Salle Blanche librairie Kléber le 13 Février



"Histoires d'amour": valses, hésitation...Possesion !

Histoires d’amour

© Gregory Massat S’ouvrant par une lugubre marche funèbre baignée de souffrance, la Symphonie n°5 de Mahler ressemble à un voyage initiatique des ténèbres à la lumière. Certains virent dans son sublime et suspendu Adagietto - rendu mondialement célèbre par Luchino Visconti, dans Mort à Venise - une vibrante déclaration d’amour du musicien à la jeune Alma Schindler rencontrée pendant l’écriture de ce chef-d’œuvre (et avec laquelle il se mariera, en mars 1902). De folle passion, il est aussi question dans la pièce qui ouvre cette soirée, Prélude et mort d’Isolde, d’un compositeur que Mahler adulait.

Programme 
Wagner : Prélude et mort d’Isolde.

C'est un cor glorieux qui entame la partie, suivi des percussions: tout s'anime, s'enfllamme, se réactive, se ravive... Vibrer, s'émouvoir passionnément par ses ondes fluides, aisées qui rapidement deviennent menaçantes...Un drame se profile, bribe de valse, de berceuse enrobante, cajolante pour couverture de dissimulation, de deversion..En crescendo glorieux, ascension martiale, pompeuse, grandiloquente à souhait ! Comme une mêlée de flux profonds, souterrains, mélange savant de tonalités, de genres musicaux, de puissance et fougue, éclatante, jaillissante .Une valse aux accents discrets, dissimulée sous la masse sonore se détache, comme avortée, elle disparait peu à peu: la vie s'en va, se défait, impossible accésibiluité à l'immortalité de l'amour ressenti. Les sons se fracassent encore, s'entrechoquent: turbulences météorologiques du coeur et de l'âme, de l'esprit aussi en répercutions, fracas. Le chef d'orchestre, de dos, comme le célèbre tableau de Caspar David Friedrich, "Voyageur au dessus de la mer de nuages" ...Romantique à l'envi.
Puis tout rentre dans l'ordre après cette tourmente mortelle où les amants, Tristan et Isolde, disparaissent dans le flux et reflux éperdus de souffle, de respirations étouffées..


Mahler : Symphonie n°5 en do dièse mineur.

 Une "jolie" valse précieuse riche, charnelle se profile, clinquante, colorée pleine de cliquetis et clochettes: une inversion soudaine comme un coup de théâtre fait irruption, comme une danse d'un couple fondu dans la foule: touches de violon solo, clarinette légère en sautillements raffinés.Dans cette lente introduction langoureuse, romantique des cordes, l'ampleur de déploie en lent suspens impressionant: grande fluidité mélancolique, puissante au poing. Presque ou quasiment valse chaloupée, aérienne, lumineuse.
La harpe, discrète s'imisce dans ce malstrom, flux et reflux des ondes musicales qui se propagent comme des ronds dans l'eau. Puis en vagues succéssives, reprises pour mieux déferler, prendre de l'élan et éclabousser l'éther: orage, tempête, tourmente sur la mer déchainée des sentiments, comme un navire en perdition.
Cor, vents qui tournent, qui se lèvent dans un magistral final, matial, quasi marche funèbre, lente montée en puissance d'un drame annoncé.
Plus festifs cependant, des accents de cabaret, de cavalcades menaçante, grondante, résonante créent une sorte d'atmosphère de cirque, d'arène dangereuse: hallucinantes et enthousiasmantes visions dantesques, transports volumineux des sons...Ronflants, démesurés...Triomphants ou chaotiques. Un retour aux fragrances funèbres, au calme apparent, soutenu fait croire à une acalmie.Vers une reprise des flux, empathie emphatique avec cette musique déferlante, galopante, insensée! Le chef d'orchestre bondit, saute, électrisé, affolé tout en symbiose corporelle avec l'énergie musicale qui se dégage de cette oeuvre magistrale qui laisse pétrifié comme deux amants soudés pour l'éternité !
Sturm und Drang en emblème émotionnel, pathétique et renversant comme la musique de Malher sait nous effrayer, nous "déplacer" de nos codes et frontières sonores. Décapant, renversant, sidérant de mouvements turbulents...Folle esquisse de joie, de mort, d'amour entre Eros et Thanatos, son coeur balance fougueusement...Valse de mort qui entraine avec elle dans son courant plus d'un amour "transi", pétrifié, menacé par le temps et l'érosion. 

l'OPUS galvanisé par un programme de circonstance: des histoires d'amour impossibles révélant le génie de chacun de ses compositeurs dont on ne peut renier filiation, influences et sublimation complice.


Distribution
Aziz SHOKHAKIMOV : direction.
Et l'orchestre philarmonique de strasbourg !

jeudi 13 février 2020

"Douceurs et sentiers rugueux": Pascal Dusapin:rameaux,racines et nervures musicales....

A l'occasion de la sortie de son nouveau CD chez TAC, l'Ensemble Accroche Note, en collaboration avec le Conservatoire de Strasbourg et la HEAR, organise une journée consacrée aux oeuvres de Pascal Dusapin. Cette journée se déroulera autour de différents moments forts (masterclasses, colloque...) et se clôturera par le concert monographique "Douceurs et sentiers rugueux", en présence du compositeur !

Mercredi 12 février - Cité de la Musique et de la Danse, 20h
➡️Concert monographique / Douceurs et sentiers rugueux
Avec la participation de l’Ensemble Accroche Note et des étudiants de la HEAR et du Conservatoire



Au programme :

 "Trio Rombach" pour clarinette, violoncelle et piano 1998
Le temps s'étire, ruiselle du piano, en sacades, dans la briéveté des sonorités egrenées. Joyeuse sarabande enjouée, les tonalités s'y mélangent, se confondent dans une belle vivacité. Des acalmies en contraste viennent déposer sérénité et recueillement, le piano en touches syncopées: on avance pas à pas dans l'opus, hésite, virevolte au passage: le violoncelle se lamente dans les sons graves, puis la fulgurance irrésistible du piano, libérée, irradiante fait du morceau une oeuvre brutale, rude, abrupte mais pleine d'un charme ardu et déroutant.

"Etude pour piano n°6" 2001
Hongye Lie se joue des difficultés pour cette œuvre où le piano s'écoule, s'égoutte, libre, fluide , evanescent, liquide: ses mouvements de tête et de corps accompagnant le tumulte évoqué dans de belles accélérations.

 " Wolken" pour soprano et piano 2014
La tête dans les nuages, l'écoute au zénith pour apprécier voix et piano, complices: mélodie en allemand, récit animé, doux et tendre évocation de ce qui s'évapore dans l'éher pour l'éternité. Conviction du chant, inquiétude du piano, suspens des doigts de Latchoumia, véritable félin, musicien de la retenue, de la suspension... Félins pour l'autre, avec Françoise Kubler, digne interprète de Pascal Dusapin. Le piano, pas à pas, touche par touche, note à note; dans des aigus raffinés et périlleux, la chanteuse progresse dans des phases plus graves, périodes plus amples où son timbre retenti, déployant toutes ses possibilités vocales. Beaucoup d'émotion dans cette interprétation qui laisse le temps suspendu et rêveur.

" Etude pour piano n°4" 1998/ 1999
Tempo alerte, vif argent, virtuosité des rythmes, rapides, fugaces, mouvants, lancés au vol, déferlants dans une tourmente, tempête qui distille les résonances et échos...

" By the way" pour clarinette et piano 2012/ 2014
Entre vivacité et recueillement, les notes se rattrapent au vol, s'enflamment, sautent, jouent à cache cache: la clarinette franche et acerbe, acidulée, piquante et pimpante en accord avec les notes du piano en onctueuse bordure. Clarté et finesse des sons pour ouvrage très stylé

" Canto" pour voix, clarinette et violoncelle. 1994
 Un trio de chambre et de charme où la voix s'intègre menant au bal sacré d'une mélodie spirituelle très marquée.La voix de Séverine Wiot, comme un enchantement, chaleureux, ample et riche de résonances et fréquences éclatantes. Un chant de toute beauté vécue et ressentie, passeur d'émotions , incarné, à la tessiture épanouie, mure, ample. Du bonheur partagé !

" Beckett’s bones" pour soprano, clarinette et piano 2016
Un récit plaintif, en anglais, a cappella souvent, discrètement soutenu par piano et clarinette. La chanteuse se pose, s'affole, hurle fortement, se fait et se taille une place prépondérante dans ce trio : de belles vibrations et fréquences d'une voix désormais légendaire de Françoise Kubler: accompagnée de façon rare et précieuse par ses compères et complices de toujpurs pour le meilleur d'un hommage-rétrospective du compositeur Pascal Dusapin, au parcours ramifié de tant de créations rhizomes et tronc commun d'une oeuvre magistrale !

A l'auditorium de la cité de la musique et de la danse le 12 Février






Françoise Kubler, soprano / Armand Angster, clarinette / Christophe Beau, violoncelle / Wilhem Latchoumia, piano Etudiants de la HEAR et du Conservatoire. Hongye Liu, piano / Pierre Rouinvy, piano / Severine Wiot, soprano / Sebastian Cortes, clarinette / Juliette Tranchant, violoncelle. Direction du travail des étudiants : Amy Lin et Françoise Kubler.