samedi 19 septembre 2020

"The people here go mad": Trio Catch joue à catch'catch et gagne !

 



"Basé à Hambourg, le trio Catch parcourt les plus importantes scènes européennes depuis près de dix ans pour partager sa passion de la création contemporaine. Reconnues pour leur virtuosité, les trois musiciennes ont notamment collaboré avec Georges Aperghis et Beat Furrer, ainsi que des compositeurs et compositrices de la jeune génération représenté·e·s dans ce programme par Clara Iannotta, Mirela Ivičević et Martin Schüttler. Pourquoi ce nom, Catch ? Pour « attraper » le public, nous disent les musiciennes. À n’en pas douter, la formation de musique de chambre la plus dynamique du moment."
 
Elle sont trois, "trio" oblige, épaules dénudées, jeunes et nous invitent en cette belle matinée d'Eté indien, à  nous "divertir" d'une étrange façon.
Signé Clara Iannotta, "The people here go mad. They blame the wind" (2014) démarre le concert:saxo, violoncelle et piano sur la plateau. Une petite boite à musique entonne discrètement une miniature sonore, mécanique, reproductible à souhait. Les cordes et les touches du piano s'y rassemblent, le tout dans de lumineux éclairages jaunes et verts réjouissants. Comme des enluminures sonores, des brisures, éclats et crissements sourdent des instruments: fugue et fuites de sons volatiles en ricochet de propositions qui rebondissent.Et toujours en bordure, les ponctuations de la petite musique mécanique de l'aurore!Interruptions, séquences brèves s'enchainent dans un rythme surprenant.

C'est au tour de  Mirela Ivicevic avec "Čar" (2016) création française de jouer le jeu de la pièce courte, "nouvelle" musicale, forme minimale, efficace et très construite. Une coulée de piano, la tectonique des sons de matières diverses, des sonorités ludiques se révèlent dans des intensités différentes. Des solos brefs, un piano qui frissonne, un saxophone hurleur en canard boiteux: la pièce est ludique et enchante le temps de son déroulement dans l'espace-temps.
 
 
Avec Martin Schüttler et son "low poly rose" (2016) en  création française , c'est autre chose qui se joue: elles ont toutes trois revêtues des vestes larges et amples, manipulant tablettes ou téléphones portables pour un spectacle plus théâtralisé, plus expressif. Fuites de sons de partout pour déranger l'écoute, perturber l'ambiance: rebelles auditrices des sons mécaniques quotidiens? Bref, en découle des impacts sur le piano, de lentes plaintes ascensionnelles du violoncelle: un vrai jeu avec le son, en nappes avec du pré-enregistré comme support-surface, soutien et maintien de sons qui divergent ou convergent. Qui divaguent aussi ! Une narration sonore s''en détache, des schémas de syntaxe éloquente émergent: sons de réveil électronique, comptage, tension et étirements des sons qui s'allongent, retenus malgré tout. Une richesse considérable et inventive qui mériterait la ré-écoute tant foisonnent les propositions  du compositeur.

Pour Beat Furrer et son "AER" (1991)le trio indéfectible résonne en envolées de clarinette, réparties des instruments qui dialoguent dans la minutie, la sobriété, la légèreté. Quasi romantique, éperdu, mouvementé, haletant le phrasé fait volte face, danse improbable qui surprend. Multidirectionnel, changeant, versatile, ébauche d'un espace en éternel retour. A pas de loup, on sort de la pièce à reculons
 
Les appuis de chaque instrument s'affirment, se posent, cavalcade ou chevauchée bien maintrisée dans leur assiette; des soli de chacune pour imposer un langage propre et singulier, de la suspension de son pour créer l'attente. Le piano "forte" devient envahissant, omniprésent: la réplique des autres, pour leur survie! Le piano finit par s'incliner, modéré, harmonieux, discret et s'effacent les tensions pour une belle unisson! Le récit peut reprendre, plus serein et tranquille, mais toujours dans la réserve du suspens: du Aperghis comme on l'aime. Fugues, courses poursuites,cavalcades qui vont vers le calme retrouvé. Coup de théâtre, petite panique des sons, reconquête de territoire au menu. Des séquences à tiroir qui claquent et le tour est joué et gagné Partie de cache-cache pour le trio Catch qui sait frapper là où ça fait du bien, rixe joyeuse des sons poly-sons, polissons en diable...Les musiciennes en alerte jouent et gagnent du terrain sur la surface de répartition des musiques d'aujourd'hui. Dans un final tonitruant, sur la touche, en épilogue réjouissant, éclatant de clarinette furtive. "Small is beautiful" en exergue !
 
 Basé à Hambourg, le trio Catch parcourt les plus importantes scènes européennes depuis près de dix ans pour partager sa passion de la création contemporaine. Reconnues pour leur virtuosité, les trois musiciennes ont notamment collaboré avec Georges Aperghis et Beat Furrer, ainsi que des compositeurs et compositrices de la jeune génération représenté·e·s dans ce programme par Clara Iannotta, Mirela Ivičević et Martin Schüttler. Pourquoi ce nom, Catch ? Pour « attraper » le public, nous disent les musiciennes. À n’en pas douter, la formation de musique de chambre la plus dynamique du moment.

"Grand concert d'ouverture" : rencontres d'espaces: du corps à l'écran total ! Musica brandit son propos décapant avec audace et virtuosité.


"La 38e édition de Musica s’ouvre sur deux grands concerts croisant des formes frontales/scéniques et immersives/spatialisées, dans le cadre monumental du Hall Rhin du Palais de la musique et des congrès — un espace de 3000 m2 pour rendre superflue la distanciation et réinstaurer le nécessaire partage de l’écoute.Apréhender le rituel du concert de différentes façons et vivre une expérience inédite d’immersion musicale.

Pour ce premier grand concert du week-end, Musica vous propulse aux confins de galaxies sonores signées Ryoji Ikeda,  Simon Steen-Andersen et Karlheinz Stockhausen. Un seul mot d’ordre : déconstruire le rituel du concert pour nourrir de nouvelles expériences d’écoute.

music for percussion 1

Ryoji Ikeda

S’il est connu mondialement pour ses installations numériques monumentales et ses œuvres audiovisuelles qui défient l’entendement, Ryoji Ikeda se penche également depuis de nombreuses années sur la musique instrumentale, et en particulier les percussions. Donnés pour la première fois en France, ses duos pour corps humains (BODY MUSIC), triangles (METAL MUSIC 1) et crotales (METAL MUSIC 2) s’inscrivent ouvertement dans l’héritage du minimalisme, poussant à son comble la complexité des processus de répétition.Ce sont trois oeuvres brèves, sobres, très différentes: "Les triangles" qui inaugurent le concert, comme un duo résonnant, tactile, très subtil, éclairé par deux douches de lumière focale qui rivent le regard sur les deux musiciens, assis, seuls dans cette immensité, sur l'estrade Deux instruments stridents, tapotés avec des harmoniques éclairées, sensibles dans une intimité dévoilée, obscène vision du presque rien musical qui frémit, enveloppe, déconcerte par sa pseudo simplicité, son économie de moyen qui touche et bouleverse les grandes formations orchestrales d'un "grand concert d'ouverture" ! La corporéité de la pièce pour deux corps résonnant est sidérante: jeux de mains, de pieds, de genoux semblables à une performance de danse folklorique bavaroise ou des jeux de zapatéados hispaniques: racines évidentes de cette chorégraphie minimale, musique de corps ( et pas de table à la Thierry de Mey). Ils sont assis, concentrés à l'extrême, dans la mesure, le rythme, la cadence et la radicalité du propos: des percussions corporelles virtuoses qui se répondent, se tuilent, se regardent aussi comme un duo de danseurs percutants. Synchrones, ou privés de coordination,  démembrés, vitesse et décomposition au poing....Les crotales, eux, caressés à la verticale comme des clochettes de pacotille qui vibrent discrètement dans l'intimité du couple d'interprètes virtuoses, confrontés à une écoute commune, un écho subtil, au suspens volatile.

conception et composition Ryoji Ikeda
percussion Alexandre Babel, Stéphane Garin


MAPEBO

Anna Korsun

Ensemble Modern

Dans cette grande soirée consacrée aux illusions acoustiques, la jeune compositrice ukrainienne Anna Korsun nous offre sa dernière création : MAPEBO, terme russe que l’on pourrait traduire par « reflet » ou « mirage ». « Je m’imagine un espace plongé dans la pénombre, parsemé de miroirs, nous dit-elle. On le parcourt sur une passerelle étroite et instable, en constante recherche d’équilibre. Les miroirs brouillent les frontières. La faible luminosité favorise les ombres. » Derrière cette description poétique, tout est affaire de dualité : les instruments sont non seulement doubles (violons, violoncelles et scies musicales), mais leurs timbres sont de surcroît « habités » par le chant des musiciens.

Des sirènes mélancoliques comme un appel au ralliement, à la vigilance résonnent: deux violons, deux violoncelles, deux scies musicales pour créer une atmosphère de malaise, de dérèglement sonore: sonorités profondes, lugubres,languissantes mélopées larmoyantes qui dégoulinent doucement sur la surface de l'éther. En vagues mugissantes, en ondes concentriques qui se propagent, fondent, se répandent comme des cors sonores démultipliés...Longs phrasés larges, soupirs étirés, glissements progressifs comme des murmures vocaux dans un palais vibratoire très organique. Perturbations et envols de nuées d'oiseaux lâchés dans l'espace, qui amérissent sur le tarmac de l'audition précieuse de ces lamentations sensibles. De belles aspirations ascendantes, langoureuses, dérapent, et déstabilisent l'atmosphère rare évocation de sirènes qui ne soient pas celle de Varese !

Run Time Error @Opel

Simon Steen-Andersen

Dans cette œuvre décalée et euphorisante, Simon Steen-Andersen est filmé en déambulation dans une usine Opel en friche située à Rüsselsheim, berceau de la marque automobile. Muni d’un micro, il réalise un field recording à la chaîne où l’environnement industriel et les objets trouvés deviennent la matière première d’une partition audiovisuelle. Sur scène, de part et d’autre de l’écran, les musicien·ne·s orchestrent cette musique concrète, tandis que le compositeur assure la direction au moyen de deux joysticks. C'est à un écran géant que s'adressent les musiciens acoustiques, tournés vers les images:un étrange personnage ( à la Piérrick Sorin sorti de sa boite diabolique) sera le héros de cette aventure rocambolesque et picaresque qui déverse images et sons résonnants en accord en direct avec leur déploiement. Plan séquence vertigineux à la Fischli-Weiss où chaque objet en heurte un autre qui déclenche sa chute, son mouvement et la diversité des pérégrinations audio-visuelles des images filmées. En couleur, en coordination extrême avec l'exécution musicale en direct, en osmose avec le comique, le désopilant des situations !Toutes matières confondue, tout objet désigné, maltraité, bousculé dans une course poursuite haletante, essoufflante: le propos hélas se dégonfle et le système tend à lasser, surexploité durant plus de 30 minutes. Mais le comique demeure, les fausses fins s'enchainent à l'envi, agaçantes et stimulantes. On sourit devant cette performance désopilante, pleine de verve et de distanciation , de recul quant à la composition musicale, ici absente, cédant le pas à la fantaisie, le risque, l'improvisation, le hasard; de la haute voltige évidemment !Marathon, prouesse physique et rythmique dans le temps de la séquence vertigineuse qui frôle la démence, le désordre, le déséquilibre émotionnel d'un comportement marginalisé !

 

Ensemble Modern
vidéo live Simon Steen-Andersen


Stimmung

Karlheinz Stockhausen

Karlheinz Stockhausen avait un rêve, celui que les cultures musicales se mêlent intégralement pour créer un nouveau « folklore artificiel » mettant à profit toutes les inventions musicales, y compris les plus insolites. C’est de cette idée d’une communauté de l’écoute qu’est née sa pièce la plus célèbre : Stimmung (1968). Oeuvre charnière du xxe siècle, elle marque la rupture du sérialisme et les débuts d’une nouvelle prise en compte des résonances naturelles qui aboutira au courant spectral dix ans plus tard.C'est à un rituel hypnotique que l'on assiste, assis ou couché devant l'estrade qui accueille les six musiciens en blanc, comme des prêtres votifs, des moines prieurs qui se balancent, émettent prières et psalmodies enivrantes, mystérieuses émissions de voix, de tête, de ventre, de résonances corporelles inédites.Une atmosphère singulière, recueillie pour cette pièce maitresse à redécouvrir pour son charme opérant, sa quiétude, son émotion musicale à fleur de peau. Une cérémonie paienne de choix, partagée par un public en alerte, charmé par la diversité du concert qui semble comme une longue respiration salvatrice, un souffle qui d'éveille et transporte les corps, ailleurs !

Les Métaboles
direction artistique Léo Warynski
électronique live SWR Experimentalstudio
son Lukas Nowok


jeudi 17 septembre 2020

"100 cymbals": les percussions de Strasbourg , Cage et Ikeda : good vibration !

 


"Avec 100 cymbals, Ryoji Ikeda nous plonge dans les abysses de la vibration. Une expérience d’écoute unique qui marque le lancement du festival Musica 2020 dans l’espace démesuré du Hall Rhin du PMC, à Strasbourg.

"Le concert s’ouvre sur le portrait sonore que John Cage dédia au Strasbourgeois Hans Arp à l’occasion du centenaire de sa naissance. L’Américain considérait le cofondateur du mouvement Dada comme un modèle, en particulier pour sa relation à la nature et sa conception cosmogonique de l’art. Il en résulte cette partition conceptuelle tapée à la machine et offerte aux Percussions de Strasbourg en 1986, où le langage musical se réduit à cinq signes typographiques. Une œuvre minimale, faite de bruissements environnementaux, qui de la même manière que 100 cymbals, sollicite une écoute profonde."

Dispersés sur dix petits établis autour d'un public nombreux situé au cœur du grand hall, comme cerné par les musiciens, les sons parviennent dans notre dos et il faut se retourner régulièrement pour tenter de deviner qui produit quoi, de l'interprète à l'objet: du papier, des petites boules dans une boite, une bouteille d'eau qui déverse son liquide...Sons légèrement amplifiés, mais à peine audibles, sons inouïs du quotidien, issu de l'écoute et de l'observation de John Cage, ce mythique compositeur du petit rien, du presque rien, du rien sonore. Bruissements, écoulements alternent d'un pupitre à l'autre, les interprètes comme des prêtres en chaire, au niveau du sol, priant et provocant d'objets détournés, des sonorités banales, mais reproduites à l'identique: le contexte en transformant la matière et la substance pour en faire du son spatial, intime, proche ou lointain selon la position géographique de chacun, au cœur de la sphère d'écoute. Ensemble, esseulé, individuel ou à l'unisson, ce joyau de fabrication, cette usine à produire vibrations et émotions se fait naturelle et fonctionne dans le respect d'une écoute renforcée par l'immensité de l'espace convoqué pour le concert. Comme un petit théâtre musical où les manipulateurs, marionnettistes magiciens se plaisent à nous charmer, séduire, nous "suspendre" à leurs gestes minimalistes de facteurs de résonances curieuses, étonnantes et pourtant si banales ! Le dispositif incluant les auditeurs, libres pourtant de se frayer un chemin dans ces massifs de bruissements. Un tracé, coup de fouet de bâton, comme un geste tranché de Lucio Fontana sur sa toile tendue, zèbre l'espace de son son cinglant !

Concentration, surprises et découvertes à l'appui, tout surprend, dérange sans jamais heurter nos sens en alerte, aux aguets du moindre "bruit" issu de tant d'objets hétéroclites: au petit bonheur des auditeurs, charmés par tant de préciosité, de précision, d'attention à chaque geste générant musique et univers sonore inouï !

 

"Créée en 2019 au Los Angeles Philharmonic, dans la somptueuse salle signée par l’architecte Frank Gehry, 100 cymbals est aussi bien une performance scénique qu’une installation audiovisuelle. Ryoji Ikeda met en lumière le riche potentiel des cymbales en suivant la mince frontière qui sépare le bruit de la résonance harmonique. L’instrument d’apparence rudimentaire, un disque convexe fait d’un alliage de cuivre, de laiton et de bronze, que l’on emploie plus communément pour accentuer certains temps de la mesure, se transforme en une puissante ressource polyphonique. Les différents modes de jeu, plus ou moins conventionnels, entretiennent une sonorité fusionnelle — quasi chorale — et laissent surgir des strates harmoniques et autres résultantes acoustiques au sein d’un processus qu’une simple ligne pourrait représenter : un crescendo infini, menant d’un murmure quasi imperceptible à l’éclat du fortississimo final."

Comme une immense  installation plasticienne, les 100 cymbals s'alignent, petits soldats, pas tous pareils si l'on y regarde de plus près: venues de Turquie et du potentiel de l'instrumentarium des Percussions de Strasbourg, les instruments se dressent à hauteur d'homme pour mieux être doucement caressés, frappés, touchés subtilement et rendent des sons vibratoires subtils, légers, à peine perceptibles.... Un véritable temple bouddhiste où les cymbales, comme autant de petites flammes, bougent, résonnent, bruissent: les dix officiants, régulièrement modifiant leur poste dans un ensemble chorégraphique très opérant.

Visuellement, œuvre sonore plasticienne, cette pièce singulière qui nous est donnée de découvrir  s'ouvre à Cage, en écho à son affection pour la culture zen, la danse, le mouvement naturel des corps et du son dans l'espace Vision reposante, hypnotique, calmante et bienfaisante d'une écoute toujours très concentrée sur ses fins: rendre l'infiniment petit à une place gigantesque, l'infiniment perceptible, digne d'une attention à l'environnement sonore quotidien qui nous berce ou nous froisse, nous ravit ou nous malmène à chaque seconde: les oreilles n'ont pas de paupières: heureusement!

Et bien sûr,en présence des Percussions de Strasbourg, modelées pour accueillir et réfléchir un répertoire inédit, caché, secret, révélé au grand jour par le festival Musica, au diapason de la diversité et de la rareté...Belle soirée inaugurale qui augure du meilleur pour la suite ...Chut! C'est un secret qu'on ne confie qu'à une seule personne à la fois: covid oblige !