dimanche 20 septembre 2020

"Music for percussion 2 " : objets insolites ! L'épeuve -la preuve- par trois.

 


music for percussion 2
Avec cet ensemble de miniatures performatives, nouvelles œuvres commandées par le festival pour le portrait qui lui est consacré, Ryoji Ikeda prend le chemin de la musique d’objets. Cinq pièces interprétées par trois performers usant d’un instrumentarium peu ordinaire : six métronomes, des télégraphes électriques, des billes, des balles de basket et de ping-pong, du papier, des crayons et des règles, ainsi que des livres aux pages vierges spécialement conçus pour l’occasion. Entre mécanismes d’horlogerie rythmique et processus inéluctables, ces préludes et fugues du XXIe siècle prolongent le geste d’épure sonore et visuel initié par l’artiste au milieu des années 1990.

Ryoji Ikeda création mondiale 
Des miniatures au détail, du "petit rien" qui tient de la haute voltige, voici la première oeuvre du concert monographique. Deux chaises, une longue table et deux opérateurs au travail bricolent savamment deux consoles de morse, machines à produire du son comme autant d'essais acoustiques au micro.Rythme au poing, tension et écoute attentive des interventions du partenaire .Comme des machines à écrire ou des signaux en morse, alarme musicale, dansante. Chirurgiens du son sur leur établi en salle médicalisée, dans un petit hôpital joyeux dont les signaux de détresse ravigotent au lieu d'inquiéter! Horlogerie de cuisine savante: c'est prêt, cuit, le délai de cuisson est achevé, on peut consommer. Les télécommunications d'antan revisitées pour émettre des messages codés rythmiques en diable, à décrypter sur le champ.On est aux urgences cliniques, avec ces notes qui évoquent les schémas des vibrations sur un tableau médical ! Cliquetis des doigts des artistes sur le clavier des consoles de survie. Fin et mort des signaux de détresse....Une oeuvre dérangeante et très opérationnelle , singulière et provocante en diable !
Ryoji Ikeda
METRONOME MUSIC [for trio] (2020) création mondiale
Trois tables, six métronomes, trois musiciens:le dispositif est sobre, dans le noir de l'environnement scénique.A des tempo différents, comme des horloges dans une ancienne demeure abandonnée, bien ou mal réglées.L'unisson bascule, se dérègle, au trot, au galop, pièce mystérieuse, chrono-métrage d'une clepsydre sans eau, décompte à rebours: le temps passe et ne s'installe pas pour autant à travers ces sabliers au son de pluie sous les toits: pluie tapante qui s'égoutte, frappe régulière qui hypnotise.
 
  Ryoji Ikeda création mondiale 
Trois livres, tourne page, ouverts, fermés, manipulés par les interprètes, assis à la table de lecture factice.Les couvertures claquent, les pages s'effeuillent en bruissant: on effeuille la question du son frisson, léger , fugace et inédit. Partition musicale de chocs, de froissements, de bruits quotidiens agencés au plus près d'un rythme virtuose et savant. 

Ryoji Ikeda création mondiale 
Trois séquences sur les "balles": rondeurs et roulements de billes qui roulent à l'intérieur de bols ,pour un bel effet d'écho et de résonance circulaire. Balles de ping-pong en match précis, millimétré par de petits chocs précis, ballons manipulés par les officiants assis sur des tabourets: train d'enfer des impacts sur le sol, sur la surface de réparation, tapis de sol pour ces athlètes de l'interprétation, de la coordination. 
 
Ryoji Ikeda création mondiale 
Le clou du spectacle pour cette séance de crayonnage sur règles et papier millimétré: on souligne, on écrit, on rature au crayon à papier: ses scènes très "plasticiennes", mises en espace sobrement pour un propos et une démarche radicale.De vifs tracés cinglants, du gommage, de l'effacement: ça provoque du vent raturé, du pointillisme crayonné, : on lacère la matière et l'on palpite de concert en alternance. Le déchirement au final du papier par bandes, scandé par le choc des règles fait mouche.
Bureaucrates de pacotille, dessinateurs industriels ou architectes sur leurs paillasses opératoires, établis, ces trois artisans-artistes du son deviennent performeurs virtuoses : la mécanique des tracés de crayons, comme des machines lancées: futurisme et progrès infernal avec des "moyens du bord" forts étudiés.
Au final on froisse et tout et l'ion n'est pas fâché ni froissé par cette performance musicale d'objets sonores magnifiés, détournés.


"Fake" : Wilfried Wendling, Abbi Patrix : fausse route ! Peer Gynt tonic ! Troll de trame..


 
Nous sommes réunis sur le parvis de l'Opéra du Rhin, casqués, masqués, bref un peu en dehors du monde et pourtant c'est bien dans cette foule bigarrée d'un samedi après-midi que le célèbre performeur conteur va opérer. Homme de terrain, muni de son "conducteur", fiche de salle et fil conducteur de son intervention "in situ", il nous mène dans son bateau ivre, naviguant à la boussole autant qu'au feeling et à l'improvisation. Il est personnage vivant incarnant le héros en déroute, absent, chassé de la pièce musicale "Solveig": descendu du toit de l'Opéra pour ameuter la foule, parmi nous, berger d'une troupe intriguée, inquiète ou séduite par ce meneur d'hommes de grand talent.Dans la foule des postulants au mariage au pied de la Mairie, sa présence incongrue questionne, interpelle, étonne à bon escient. Toujours respectueux, autant que débordant de "culot" et d'inventivité, il saisit au vol les oportunités de tisser la toile de sa narration, nous conduisant à travers la ville, sur ses places, dans ses ruelles, sur la place Kléber où une fanfare lui donne prétexte et occasion à dévoiler la pertinence de ses interventions dans l'espace public. Au final, c'est autour d'un xylophone sur une placette au pied d'un platane que la cérémonie s'achève, les participants casqués regroupés après ce périple libre dans la cité. Charmeur, dresseur de serpents et faiseur de contes à rebours, Abbi Patrix excelle dans le genre et le registre de l'improvisation: libre penseur, habile séducteur et meneur de foule sans prendre possession de vous pour autant. Poésie et forcing, habileté et utopie au poing pour une déambulation bizarre et bigarrée qui fait mouche! Ses compagnons de route à la technique comme marchands des quatre saisons poussant leur chariot de bonnes nouvelles! La fantaisie, toujours vivante et audacieuse, prise de risques et réparties au menu ! Pour le Peer et le meilleur !
 
 conception et musique électronique live

 

"Laboratoire de l'écoute" N ° 3: la générale d'expérimentation : la source des sons.

 

"Dans ce spectacle interactif à la croisée du concert, du talk-show et de l’expérience sociologique in vivo, tout le monde est sur scène : le public, les musicien·ne·s, ainsi qu’un drôle de médiateur. Ces derniers jouent et décodent différentes pièces, énoncent leurs protocoles, débattent et proposent leur vision. Le public, lui, est présent dès le début du processus et participe à toutes ses étapes. Muni de clés d’écoute, il est invité à faire ses retours, à partager son ressenti et à agir directement sur le déroulement du concert. Une forme horizontale et inclusive inédite à Musica, dont l’humour et la bienveillance partagée seront les moteurs."
 
Entre acoustique et électronique, le leurre! C'est "La bonne durée" de Stockhausen qui inaugure la séance laboratoire, classique en apparence: écoute de la pièce, frappes, battements d'un dispositif électronique, synthétiseur, guitare préparée....Un abord qui va vite changer après la présentation du leader du groupe sur les intentions de ce dernier: composer en direct pour trouver "le son de groupe" sans fixer les règles, requestionner le son sans confort pour un répertoire alternatif des musiques contemporaines: c'est le graphisme des partitions qui le taraude, le protocole d'écriture des compositeurs: au travail donc pour décrypter les secrets de fabrication de quatre œuvres: exercice ludique et participatif, collectif ou chacun peut s'engager pour déterminer la longueur d'un morceau, décider des places des musiciens dans l'espace sonore... Cage et Fluxus ainsi interrogés dans leur processus de création. Quatre compositeurs seront passés au crible non pas comme analyse musicologique, mais pour triturer le squelette d'une pièce: durée, intensité, fréquence. On joue au petit chef ou à la collégiale, à la démocratie musicale, au politique dans la Cité de la Musique et de la Danse sur la scène de l'auditorium. Agora du choix, de la discipline autant que de la fantaisie, cette expérience d'écoute s'avère joyeuse, décontractée, brisant les aprioris sur la musique savante tout en déflorant quelques secrets de fabrication.Les partitions qui s'affichent sur un écran intriguent mais bien vite on s'empare de leur fonctionnement possible grâce aux clefs fournies par les interprètes de nos propres décisions et intervention. Démagogique? Pas du tout: Tom Johson, propose un chemin dans des cases, source de sons pointillistes, de clapotis audio-naturalistes, tenus....D'accord ou pas d'accord: tout se discute en "opinion" et autre possibilités et marge de manœuvre, interaction entre public et musiciens. James Tenney avec sa partition graphique, James Saunders et son système descriptif surtout à ne pas suivre à la lettre! Le public se prend au jeu et l'on passe un moment excellent, savant et plein d'humour et de distanciation musicale face à la dite "musique contemporaine" complexe: certes, mais si inventive et flexible !
Merci encore au festival Musica pour cette initiative décapante qui rapproche artistes et auditeurs sans  falbalas pour une approche réelle des oeuvres en mutation constante.