vendredi 4 juin 2021

"Screws" : tourne-vis et vertu circassiennes : le maillon de la chaine.

 


Comment une boule de bowling peut-elle devenir le catalyseur d’un mouvement ? Comment des chaussures à crampons défient-elles les lois de la gravité ?

Dans Screws, les relations entre corps et objets sont bouleversées. Le mouvement se fait sous l’emprise de l’objet coupé de sa fonction habituelle, c’est lui qui impulse, propulse, contrôle ou dévie le corps. Après Red Haired Men (2018), Alexander Vantournhout s’entoure à nouveau d’artistes virtuoses pour explorer le potentiel créatif des particularités et des limites de l’anatomie humaine. Cinq micro-performances émergent ici et là, dans différents espaces du Maillon, où le public est invité à déambuler. Tantôt chorégraphie collective, tantôt duo original ou solo précis, la performance in situ prend ainsi la forme d’un parcours de découverte, mêlant cirque et danse, corps et objets. Une invitation à une promenade où chacun et chacune choisira son angle de vue sur les différentes compositions acrobatiques. Formé en danse et en cirque, Alexander Vantournhout nous livre avec Screws une nouvelle démonstration ludique de ce qu’est la circographie contemporaine.


 Réouverture en"fanfare" du Maillon après confinement, dans des lieux et places du théâtre encore peu explorés. C'est grâce à ce spectacle hybride, véritable escalier "à vis"que la démonstration est faite: artistes et public se retrouvent dans des configurations spatio-temporelles inédites. On démarre, assis en cercle dans le grand patio, quasi à ciel ouvert, sous la verrière horizontale du théâtre. Lumières du jour caressant les corps de duos, tels des "bêtes à deux dos"qui font le cheval à bascule à grand renfort de notion de poids, tiré-poussé, contact. Duos bi-genrés, en tenue de sport, baskets et maillots colorés d'athlètes , jeux d'enfant enlacés comme les maillons d'une chaine musculaire unique, entrelacs savants de portés en architecture mouvante. C'est beau et émouvant, ludique et souriant à souhait.Trio aussi pour créer des ponts, des passerelles corporelles en construction fluide sans cesse défaites,mouvantes.Enchevêtrement de corps comme une joyeuse mêlée sportive, sans heurt ni esprit de compétition. On se mesure ici à l'imagination de l'autre, en statue qui s’échafaude sempiternellement sous nos yeux intrigués, charmés, conquis par cette décontraction feinte, ce leurre de facilité apparent. La kinésiologie est passée par là pour le meilleur. Carpeau se réinvente, stabile, les fontaines Wallace se redécouvrent dans leurs fondamentaux: grâce, équilibre, mouvance, tension-détente, ronde ou accumulations de figures, de postures ou attitudes dansantes. Camille Claudel et Rodin n'auraient pas renié ces formations collectives, "Causeuses ou Bourgeois de Calais" réinventés en ronde bosse é-mouvantes.C'est charmant: des prises statiques, des attrapes et de beaux regard complices pour équilibrer le tout. Chaque couple s'ingénie à se déstabiliser dans la joie du jeu corporel et plastique. Accroche-pieds burlesques et comiques pour déplacements inédits de bestioles fantastiques.....Étreintes en points de chainette, méli-mélo ou leporello pour des ballades "assises" fort séduisantes. La roue tourne aussi en manège circassien, de chair et de soutien collectif: danser "ensemble, "être ensemble" pour ne faire qu'un ! Et le vent tourne....

Le public est à présent convoqué dans un autre espace, le hall d'accueil pour assister à un "numéro" d’agrès: deux femmes suspendues, accrochées à l'envers comme des carcasses vivantes par les pieds, sanglés de protection.Suspendues à la barre, retenues par deux cariatides masculines sécurisantes, elles évoluent en suspension, lovées, recroquevillées, en tenue de sport, toujours avec accessoires de "torture" douce, d'entrainement faussement drastique. Corps trapézistes à l'espace restreint, petite voltige dans les airs réduits à l'essentiel: on n'a pas peur pour elles, elles naviguent dans cette démonstration technique, en lieu sûr. Le public, toujours autour d'elles, distribué en pétale de fleur, toute visibilité de plain- pied ouverte. Gémellité oblige pour cette forme étrange qui se dédouble sans cesse, inverse les perspectives, détourne les regards et les points de vue en autant de perspectives et de positionnement incongrus.Une "gymnopédie" dans le silence et les respirations communes: le plaisir d'être en alerte, ensemble au spectacle circassien!
 
Le rythme change à la troisième étape qui nous entraine dans "la boite noire", la salle de spectacles avec lumières et dispositif en étoile. Musique, pour démarrer un solo incongru: un homme et sa boule de bowling, scellée au poing: un exercice de style où les mouvements sont guidés par le poids de l'accessoire: pas toujours convaincante démonstration de style engagé dans un processus musculaire qui semble peu confortable...La pesanteur de l'objet de ce lanceur de poids olympique semblant rapidement un procédé répétitif.....
 
Autre étape en salle de "sport": sur deux plateaux, plaques de bois, deux couples en costume seyants de justaucorps étoilés, frappent ce sol à l'aide de chaussures à crampons aiguisés: sons et répercussions de gestes vifs, tranchants, massifs en frappes de pieds rythmés par le poids, les appuis, la pesanteur....Fendeurs de glace, brise-glace en premier de cordée sur un couvercle de glacier factice: c'est insolite, beau et dérangeant: le risque, le danger impliquent des mouvements précis, à l'unisson, au diapason...Bel exercice inventif de parades inédites chères au "nouveau cirque": les "bêtes" comme des anges métamorphosés en grimpeurs de séracs sur croute de glace virtuoses....On va pas dévisser pour autant et on se cramponne. C'est de l'anti patinage artistique, inspiré des attitudes et postures de cet art olympique aux figures annoncées virtuoses. Parodie tendre des poses obligées repérables et attendues. C'est drôle et décapant, bien observé et plein d'humour comme tout l'esprit du spectacle.
 
Et l'on quitte le théâtre pour contourner le bâtiment et découvrir le tarmac de la dernière manche, cinquième set du show! Dehors, le plein air fouette et le soleil couchant borde cette vaste plaque tournante, à ciel ouvert! Quelle liberté retrouvée que ce vaste espace voué à la course folle d'un parachutiste égaré, d'une mêlée de rugbymans déphasés œuvrant dans le ludique espace mental de Alexander Vantournhout...Riche terrain d'évolution pour la compagnie"not standing" qui prouve une fois de plus que les espaces sont générateurs d'expérimentation et de dramaturgie subtile: l'émotion, le récit qui découle de ce quintet corporel sont jouissifs et féconds.Sur cette terrasse, no-crash-landing idéal pour circassiens atypiques,plaque tournante d'un match burlesque, la musique fait son effet de décollage immédiat sans ceinture de sécurité!Arrêt sur image, appuis toujours à l'appui, shorts baillant multicolores, maillots sans brassard ni publicité, pas de compétition mais un savant maillage de corps en pyramides instables, poésie gymnique dans l'arène ou le stade joyeux de la créativité.Esthétique de l'entrainement, vision kaléidoscopique d'échafaudages branlants, de fondations mouvantes: des cathédrales bâties sur plancher flottant....Des contreforts humains d'interprètes, tous aguéris à la pratique et la découverte d'un nouvel espace d'investigation!
 
"Screws" au Maillon jusqu'au 6 JUIN

lundi 31 mai 2021

"Mithridate": la vie dans les plis incarna d'un rideau de dissimulation....


Racine, quand il écrit cette pièce en 1672, s’inspire de la vie de Mithridate VI, qui régna jusqu’en 63 av. J. - C. sur le royaume du Pont − l’actuelle Turquie, la Crimée et de nombreuses régions au bord de la mer Noire − et reste célèbre pour avoir résisté à l’expansionnisme romain, mais aussi pour avoir accoutumé son corps à résister aux poisons : la mithridatisation. Racine situe l’action au dernier jour de sa vie : alors que Mithridate est déclaré mort, ses deux fils se disputent son royaume et la reine. Mais le retour du roi va tout bousculer. Le metteur en scène Éric Vigner voit dans cette œuvre crépusculaire le dernier sursaut d’un homme hanté par sa disparition et celle du monde hellénistique, dont il est le dernier rempart. À l’heure de notre mort, quel regard porte-t-on sur notre vie, qu’avons-nous transmis ?


L'atmosphère sera sombre et nocturne durant tout le spectacle qui démarre sur un tonique sursaut de bombardement, d'éruption ou de glissement de terrain ou d'atterrissage sur un tarmac houleux.Une flamme vive éclaire les visages noyés dans l'obscurité...Les dialogues, monologues s'enchainent dans une langue châtiée, un rythme lent, pesé, distribué de façon méticuleuse dans l'espace déployé des corps. Les personnages y circulent modérément, poids et appuis ancrés dans une délivrance d'énergie comptée, au phrasé respectant le temps imparti par le destin de chacun. Mithridade, en roi prédestiné, sobre, hanté par l'amour filial, l'amour d'une reine en proie à la violence d'une destinée inscrite dans les vers de Racine, ici, au service d'une tragédie lente et irrévocable. Stanislas Nordey, habité par la pondération, la ponctuation sonore, le rythme du texte qui s'allonge, se déploie, fluide, aux accents toniques discrets, musicaux à souhait. La reine, une Monime incarnée par la brillante Jutta Johanna Weiss, lumineuse  personne ombrée de couleur incarna; les longues manches de sa robe se déployant en origami à la Miyaké, en plis, éventail sensible d'un rythme plastique du costume qui habille son corps de madone aux pieds nus....Telle une danse sensuelle et discrète, minimaliste, son corps ondoie, délivrant la jambe nue d'une reine vivante, charnelle....Et Thomas Jolly de hacher le texte de son personnage Xiphares, empreinté, balbutiant en anonnant subtilement dans un rythme hésitant les mots de ses affects.La mise en scène de Eric Vigner souligne l'individu, son isolement, la délicatesse de la gestuelle épouse la prosodie Dans une scénographie ponctuée des mouvements d'un immense rideau souple de pampilles de verre, chacun évolue au gré des actes qui se succèdent naturellement, organiquement, comme le temps qui passe, s'égrène, ralentit, accélère...C'est d'une beauté plastique saisissante, entrelacs de fils, de liens qui se chevauchent, s'enlacent, se font et se défont jusqu'au mouvement final: le corps gisant de Mithridate entre ces tissages de perles scintillantes. Un linceul vibrant et fébrile pour une fin entre lumière vive et obscurité: le chant de la langue de Racine résonnant encore aux oreilles attentives  d'un public concentré, suspendu au pas ténus de ceux qui foulent un destin éprouvé par les passions humaines autant que divines.Les lumières signées Kelig Le Bars soulignant failles et tectoniques des sentiments avec acuité; justesse et ombrages: des paysages changeant, nuageux se dessinent sur l'écran de perles, paréidoliques, révélant les accents contrastés de chacun. Une lente progression vers le désir, le suspens, l'attente et la résolution irréversible des destins partagés Une "suspension chorégraphique" très précise, millimétrée, accentuée par la grâce des déplacements, postures, attitudes calculés au plus près des corps mouvants. Racine, enchanté par la musicalité des actes chancelant des êtres désignés, au travers d'un mur ajouré, failles et interstices pour mieux déjouer les pièges, les dangers de cette perméabilité spongieuse de la lumière diffuse, passée au crible d'un peigne fin des astuces humaines.

Au TNS jusqu'au 8 JUIN

Éric Vigner est metteur en scène, acteur et scénographe. Il a dirigé le CDDB − Théâtre de Lorient de 1996 à 2016 et est actuellement directeur artistique du Théâtre Saint-Louis à Pau. Le public du TNS a pu voir "Brancusi contre États-Unis" en 1996, "La Place Royale" de Corneille et "Guantanamo" de Frank Smith en 2013, ainsi que "Partage de midi" de Paul Claudel en 2018.


lundi 17 mai 2021

"Passion danse" : fier de danser, quel trac, tout le monde peut danser, une leçon d'amitié de Lepetit et Kuehne


 Daphné et Avril ont reçu l'autorisation de s'entraîner dans le gymnase, après la cantine. Elles proposent à Antonin de se joindre à la petite troupe. Le garçon en meurt d'envie, mais il a trop peur que ses copains se moquent de lui... 

 


C'est le gala de fin d'année ! Madame Odette a inventé une chorégraphie sur la musique de Casse-Noisette et demande à chacun de ses élèves d'exécuter un court passage en solo. Daphné est ravie, mais Avril et Antonin sont un peu stressés. Ursula les aide à répéter, à tel point que bientôt, tout le monde est prêt, sauf elle !

 


Daphné a persuadé sa copine Avril de l'accompagner à l'école de danse pour son premier cours. Cette dernière n'est pas convaincue : avec ses lunettes, elle ne se voit pas trop jouer à la ballerine ! Pourtant, la découverte de l'univers de la danse va la faire changer d'avis et lui procurer des émotions nouvelles...


Daphné rêve de savoir faire des sauts, des arabesques et des pirouettes comme les danseuses étoile. En cours, elle a du mal à tenir en place et trouve ennuyeux l'entraînement à la barre et les pas tout simples que leur apprend Madame Odette, leur professeure. Va-t-elle réussir à adapter sa personnalité aux contraintes de la danse classique ? Seule, peut-être pas, mais l'amitié résout bien des problèmes...