mercredi 24 novembre 2021

"We wear our wheels with pride AND SLAP YOUR STREETS WITH COLOR… WE SAID “BONJOUR” TO SATAN IN 1820" : quand les zoulous font la roue avec fierté !

 


We wear our wheels with pride AND SLAP YOUR STREETS WITH COLOR… WE SAID “BONJOUR” TO SATAN IN 1820

Aussi exubérantes que mordantes, les pièces de Robyn Orlin allient la jubilation à la violence sociale dont elle tient à témoigner. Cette nouvelle création virevoltante est fondée sur un souvenir d’enfance en Afrique du Sud. La chorégraphe y rend hommage aux conducteurs de taxis-vélos, les rickshaws zoulous. 


« Nous portons nos roues avec fierté et nous colorons vos rues… nous avons dit “bonjour” à Satan en 1820. » Tout est dit dans le titre à rallonge qui donne le ton aux pièces de Robyn Orlin. C’est ainsi que la chorégraphe, en synergie avec plusieurs remarquables danseurs sud-africains de la compagnie Moving Into Dance, est entrée en création. L’image des rickshaws zoulous aux temps de l’apartheid conduit le spectacle. Rivalisant de souplesse et de rapidité, redoublant d’inventivité pour personnaliser leur véhicule et leur tenue vestimentaire, les conducteurs de ces taxis-vélos lui « semblaient danser, le corps suspendu dans les airs. » Avec en mémoire ces flamboyants acrobates de la rue, la chorégraphe s’attache aussi à l’envers du décor, creusant la question du colonialisme et de ses suites, donnant au spectacle une puissante résonance politique. Fantasque et iconoclaste, l’artiste sud-africaine a fait de son sens de l’humour une arme décapante pour aborder ces territoires du réel. Portée par cette forme d’activisme artistique, elle réalise ici une fresque chorégraphique qui irradie de ses convictions : « Je n’ai pas le souvenir d’une période où l’art n’aurait pas été en interaction avec le monde… La poésie, la folie et la douleur de nos vies quotidiennes rendent difficile la séparation entre les deux… » 

Décoiffant!

Tel un montage, collage style univers des arts plastiques donc est issue Robyn Orlin, la pièce est unique, façonnée durant la période douloureuse du Covid; un travail "pas comme d'habitude", presque "conservateur", une célébration, un vrai défi fabriqué en quatre semaines de part et d'autres des continents!Très beau visuellement, très abstrait où le public est invité à regarder, plus qu'à participer en interactivité comme à l'accoutumé chez Robyn Orlin!Rien ne semble ici comme il apparait et elle déconstruit les clichés à l'envi. Les costumes y sont pièces montées de toutes pièces, récupérés, chaussures en pneu découpé avec des sons percutants qui "chantent" sur le sol, les tissus sont ceux des clans, les casques, ceux de vélos....Beauté du recyclage, de la reconfiguration pour les danseurs-performeurs habitant ces secondes peaux, ces accessoires, face aux images vidéo.La diversité des sujets abordés serait résumée dans le titre, longue histoire déjà en soi, récit, voyage et anti "fiche de salle" où tout nous serait dévoilé à l'avance...C'est en imaginant ces corps de zoulous tirant les rickshaw, tels des corps suspendus dans les airs ou des anges  qui volent que la chorégraphe fouille la notion de beauté.Une attraction comme un concentré d'apartheid, véhicule de sensations fortes, tels apparaissent les danseurs, bêtes de somme magnifiés par le port de coiffes frangées de plumes, de graines...A la démarche de corps dansants affublés de cornes de vaches, esclaves, conducteurs , héros méconnus d'une époque complexe: leur redonner leur dignité en se reconnectant aujourd'hui aux ancêtres comme un remède thérapeutique C'est décoiffant et audacieux, hors norme, atypique, fantaisiste, transgressif, à l'image de la chorégraphe pétrie d'humour et d'ironie: un mécanisme de survie face à l'absurdité des situations. C'est malgré tout, submergée de tristesse qu'elle crée cette pièce, chevauchée critique des us et coutumes des colons blancs contre les populations esclaves. Les rickshaws comme emblèmes de ce pouvoir....Pas de retraite pour Robyn Orlin, créatrice hors norme de rick-shows room ébouriffants en colors' friday!


Ils nous accueillent sur le plateau, bouquet de couleurs bigarrées, accompagnés d'un chant rocailleux, timbré, profond; émanant d'un personnage généreux et enjoué: une femme débordant d'énergie et de joie, de gravité, communiquant son enthousiasme et créant d'emblée une forte empathie avec le public nombreux rassemblé ce premier soir de représentation à Pôle Sud.Un cercle chamanique se forme, dansant à l'inverse des aiguilles d'une montre, cordon reliant les uns aux autres cette tribu joyeuse aux accents débonnaires: au centre chacun y fait son battle, danse rituelle, gestes saccadés...Une once de hip-hop, de cascade, de virtuosité non feinte, toujours habitée, vécue au fond des muscles, de la chair.Sur fond d'écran vidéo, en plongée on peut apprécier les péripéties gestuelles des uns et des autres, en écho, en images comme une mise en abime sur un miroir réfléchissant. Vertige d'une perspective audacieuse sur l'écho visuel, toujours ourlé d'un cadre moiré de touches colorées comme un ourlet, une lisière de tissu. Car ce tissu, ces costumes chamarrés sont de toute "beauté" comme sur un étal de marché où les matières, les couleurs frappent l'oeil, les sens en alerte pour tisser et métisser, trame et chaine d'une histoire contée rien que par les déplacements, les mimiques, les tours de passe-passe sur des agrès où sont suspendus cannettes de coca et bouteilles , témoins des temps modernes mais aussi objets de récupération sonore judicieux.On est au coeur d'un cirque, d'une arène où les enjeux poétiques se révèlent politiques: scansions des pieds nus, spirales enrobées, transe et puissance de la danse, ancrée, terrienne, terrestre. Aérienne aussi , flamboyante sur fond de lignes colorées, parallèles en image vidéo qui reprennent le motif du tissu comme une composition picturale de Gerhard Richter.



Éric Perroys créateur des images en cascade
 Démultiplication d'images sur l'écran comme effet de profondeur et de strates, chronophotographiques, compilation d'icônes, surenchère de perspectives rythmiques à l'appui.Beaucoup de monde, foule bigarrée sur l'écran qui nous fait des clins d'oeil.Une cheffe de choeur pour animer le public qui joue le jeu de l'empathie et répète à l'unisson son et gestes balancés Ça balance chez Robyn Orlin: tel un joug de boeuf, une tringle abrite les danseurs suspendus, masques de bovins, cornes de boeuf ou de bêtes de somme: comme ces rickshaw man, esclaves, le corps courbé par le poids de la tache.Beaucoup de malice et d'humour décalé autant dans la danse, les costumes ou les images animées  pour brosser un contexte grave, tendu où l'archéologie se révèle en palimpseste de gestes archaïques, de sons, de chants profonds venus du corps-instrument de la divine chanteuse, ramassée, concentrée et si généreuse!En conteur, bateleur, harangueur notre Monsieur Loyal de la soirée fait passer le message: pas de morosité mais une diabolique narration débonnaire par cet alpagueur de foule, sur fond de parade de cirque, de batterie live Tel un jeu de baby-foot aux rangées alignées, les images se chevauchent, s'animent, s'articulent et les effets vidéos sont omniprésents et de toute beauté et inventivité.Des séquences animales, chevauchées hénissantes imitent ces rickshaw-men lâchés dans le flux de la course: la dompteuse natte au vent comme une queue de cheval, comme un fouet circulaire les dirige et les conduit au delà de leur sort à se dresser, se soulever sans heurt face au pouvoir dominant des blancs 
 

Car la fable est simplet claire: dénoncer l'apartheid, le racisme se tisse en toile de fond comme tous ces costumes chatoyants qui militent pour une cause grave et puissante. L'art comme arme et lame de fond d'un courant de soulèvement des corps dans des transports enthousiasmes et contagieux: que la danse est belle à nous conter l'Histoire en icônes débridées sur un marché de couleurs tapantes et joviales !


A Pole Sud jusqu'au 25 NOVEMBRE

samedi 20 novembre 2021

Biréli Lagrène, Lionel Loueke" création": jazzdor au zénith ! Croiser les cordes pas les pouces!

 


Considéré depuis sa prime jeunesse comme le guitariste le plus doué de sa génération à perpétuer l’héritage de Django, Biréli Lagrène n’aura cessé d’ouvrir grand les portes de sa tradition aux musiques 
du monde entier. Revisitant la guitare jazz au prisme des musiques africaines, le Béninois Lionel Loueke s’affirme de son côté comme 
l’un des plus grands réformateurs de l’instrument apparu ces dernières années. Leur dialogue inespéré s’annonce comme la matrice de beautés hybrides inédites.

Quand deux géants se rencontrent grâce à l'initiative osée de Philippe Ochem, directeur du festival JAZZDOR, c'est à un petit miracle rarissime que l'on assiste: solos, duos rien que pour nous, pour eux, complices de ces instants magiques devant une salle comble à Schiltigheim, la Briqueterie!

Un concert de clôture de toute beauté artistique, mêlant inventivité, audace, résonances inédites sous les doigts agiles et véloces de chacun des protagonistes de cette soirée unique.Les harmonies se fondent, les timbres s’emmêlent joyeusement, se répondent, les guitares à l'affût d'un effet discordant, ou au contraire en réponse, symbiose Chasseurs de sons, aventuriers de la cadence, des hauteurs qui s'entrechoquent et puisent dans des métissages sonores incongrus, surprenants, désaxant notre écoute ou nous berçant dans des rythmes accomplis de grande maitrise tonique, dynamique. On se plait à songer à la chance qu'on a d'écouter deux "stars" du jazz, pas vraiment modestes mais pleines de générosité et pétries d'un talent sans jamais "croiser les pouces" mais "les cordes" pour s'accorder, corps à corps, corps raccords puissants de musique: pour le meilleur d'une soirée partagée, concluant la programmation de la 36 ème édition de Jazzdor! Une belle équipe soudée autour d'un projet musical audacieux, une ligne éditoriale faite pour éclairer notre perception du jazz d'aujourd'hui! 

Croisons les doigts pour de futures et prolixes éditions!

 ven. 19 nov. 2021 20H30 à la Briqueterie à Schiltigheim

vendredi 19 novembre 2021

"With a smile" ....is beautyful ! par l'OPS. Chaplin, homme orchestre kinéma-tographique en diable....Filmphilarmonie oblige!


 Indissociable de ses films, la musique a toujours fait partie de la vie de Chaplin : dès son plus jeune âge depuis les coulisses en observant ses parents sur scène, puis en travaillant dans les théâtres tout en apprenant le violon et le violoncelle. Autodidacte, il composera des partitions symphoniques (notamment pour Les Lumières de la ville et Les Temps modernes qui seront jouées lors du concert). C’est d’ailleurs pour sa musique dans Les Feux de la rampe qu’il recevra son premier Oscar en 1973. Ce ciné-concert pose un autre regard sur l’un des plus grands artistes du XXe siècle, sur scène et sur grand écran, à travers des arrangements inédits, des interprétations de ses plus grands chefs d’oeuvres (Le Dictateur, La Ruée vers l'or, Le Kid...) et des séquences iconiques et exclusives, issues notamment d’archives privées.

Jamais l’appellation "ciné-concert" n'aura pris autant de sens que lors de ce concert exceptionnel devant un public enthousiaste et réceptif, de tout age, de tout bord! Chaplin musicien, compositeur, acteur-danseur, clown et pantin de nos cœurs: un génie, démiurge de la mise en scène, méticuleux fabricant de gestes, de rythmes, de musique et de danse: le spectacle "total" ce soir là dans la grande salle du PMC crève l'écran. Chaplin en noir et blanc tout d'abord pour ses débutes en première partie d'un programme soigné, riche en documentation et références rares et délicieuses évocation d'une carrière entièrement vouée au spectacle, au divertissement cinématographique de haute voltige.Vagabond affamé, plein de malices et d'agilité, de ruse et de manigancerie, doublé par une musique pleine de suspens et de rebondissement, bâtisseur habile plein de dextérité, d'habileté, rapide comme l'éclair...Autant de scènes cultes ou inédites où Chaplin construit son personnage légendaire; pas encore de haut de forme, de canne ou de démarche, les pieds en ouverture, mais un corps musicien trempé de rythme, de saccades, de cadences folles à vous couper le souffle! La musique épouse, borde les péripéties, rehausse l'anecdote ou le gag, la narration, l'histoire de ce personnage unique et multiforme, si charmant, attachant, désopilant. La grâce l'habite, le hante,la rigueur l'obsède, maniaque exécutant de ses fantasmes, de sa fantaisie, de son côté androgyne, grimé par la délicatesse d'un maquillage cerné, appuyé, expressionniste , surligné, opérant pour exprimer toutes les facettes des sentiments et des sensations. Kinéma-tographique à l'envie, ce corps se démène, explorez l'espace du cadre, repousse les limites de la virtuosité; clown, équilibriste, circassien, grimpeur de corde ou de rideau...Un artiste rarement aussi complet, auteur de ses films, de la chorégraphie et bien sur de nombreuses musiques."Les temps modernes" comme film phare, emblématique de son génie du rythme, du mouvement, de la glissade autant que de la science fiction anticipant sur le modernisme, la machinerie, les engrenages.."Le Kid" pour nous rappeler la détresse de la vie, l'amour paternel et surtout la dramaturgie omniprésente du contexte. La musique arrive à bon point et ne cesse d'accompagner la partition visuelle pour ne faire q'une avec danse et expression du corps animé.Il faudrait tout citer tant la ligne éditoriale de ce concert est intelligente, construite et rebondissante dans les choix: Charlot barbier sur la musique des danses hongroises de Brahms est un morceau de choix, tant sons, rythme et sens sont voisins, complice en osmose totale sans fausse note de ton, de cadence, de  virtuosité visuelle. Après un entracte, suit une partie plus consacrée au personnage, musicien, acteur, conteur, acrobate. Une facette moins connue et d'autant plus pertinente qu'on n'en saura jamais assez sur ce démiurge des temps modernes.Les lumières de la ville, la danse des petits pains, le cabaret dansé de "Titine ho ma titine" galvanise l'acteur et le public rendu complice des actes farfelus, dangereux, tendres de cet aventurier en diable. Du coin de l’œil -caméra- ,près des bons et levées corporelles musicales, des silences qui parlent, des retenues ou des emballements frénétiques des gestes, postures et attitudes, on se réjouit, on se surprend à le découvrir dans cet inventaire-compilation savante et recherchée de livre d'image, de flip book, pop-up,pêle-mêle ou léporello cinématographique et musical!La danse libre d'Isadora Duncan pour "une idylle aux champs"ou Nijinsky comme source d'inspiration, la danse classique pour mieux faire corps et sens avec la mise en scène, les sentiments, les hésitations de tous ces personnages qui peuplent l'écran et l'orchestre. 


Et le "moon walk" en sus !


Un régal qui n'en finit pas d'enchanter, d'émouvoir, de déplacer notre perception sensorielle pour animer nos âmes d'enfant, notre maturité d'adultes capables de se glisser dans ces univers multiples, autant poétiques que politiques, malins ou dérisoires, désenchantés autant que porteur d'espoir "smile is beautyful" et les rêves dansant de nous habiter encore longtemps en ce début de soirée de pleine lune...de miel: l'image finale de ce couple amoureux allant de l'avant sans jamais se retourner!

Fernando Carmena est l'instigateur, bâtisseur de ce programme gigantesque et dantesque: "Charlot et le chronomètre" comme lien subtil entre cinéma, danse et musique, lumières et rythme, les fondamentaux du cinématographe: l'écriture et la partition-composition de toute bonne compagnie tout au long de sa carrière. Et l'Orchestre Philharmonique de "jubiler" et se s'enthousiasmer pour cette musique, glamour, divertissante, haute couture entre image et sons, "sur mesure" d'un art pluridisciplinaire très inspiré par l’inouï et le jamais vu!

Frank STROBEL direction  Fernando Carmena, directeur de création au Europaische Filmphilarmonie

Palais de la Musique et des Congrès LE 18 Novembre