dimanche 24 juillet 2022

La DANSE en Avignon le off n° 4: en corps et encore....

 "GRAND ECART" de Kiyan Khoshoie au Théâtre du Train Bleu: qui est là?


Il est manifestement animé de doutes, de questionnement, cause, parle, se déplace sans cesse sans trouver son "endroit", son lieu: il est touchant et ses mimiques comportementales opèrent, agacent, dérange. Beau gosse, bien bâti, athlète-danseur le voilà soudain qui s'anime de son art: le bouger subtil ou efficace pour un show malin, mutin, égocentrique drôlatique à point nommé. Il faut ne pas le contredire dans cette confession désopilante, long plan séquence où il semble endosser tous les rôles pour mieux nous immerger dans son "sur-moi- freudien délectable. Loin des confessions actuelles des danseurs contemporains et de leur parole, le voilà pitre pour un chapitre tonitruant sur la danse d'aujourd'hui. C'est intelligent et jamais caricatural, sur le fil des aveux d'un homme au travail: un point, c'est pas tout cependant!

"GESTES" de Hélène Tisserand avec Pierre Marie Paturel regard chorégraphique Marie Cambois (compagnie le plateau ivre) au Théâtre Artéphile: juste ce qu'il faut pour nous "emballer"...


Un magicien d'aujourd'hui, tours de passe-passe discrets et sobres pour dégager l'univers d'écoute, de tension et d'interrogation de cet art "populaire" qui l'air de rien inspire respect et pudeur.Le regard rivé sur "les petits riens, les petits bougés" qui sont si dense et porteur de rêves.On s'y attache le temps trop court d'une prestation en trio, musique live et assistance efficace pour accompagner un personnage puissant, présent, généreux: une "petite" forme en grande forme!

"LES POUPEES" de Marine Mane (compagnie In Vitro) à la Caserne des Pompiers : dans l'atelier de Nedjar...


Il s'en passent de belles choses dans ce chantier créatif, inspiré de l'oeuvre de l'artiste Art Brut Michel Nedjar...On y fabrique, bricole, entasse, récollecte des trésors à reconvertir, façonner, fabriquer au delà de toutes conventions ou règles de l'art. Brut de coffrage, inventif, pagailleux, ce spectacle décolle et déplace les codes pour investir des univers déployés par la fantaisie, la recherche. Deux compères s'ingénient à créer du beau, du bon, du juste sur mesure et pas du préfabriqué. On songe aux grands de l'art contemporain, comme aux "modestes" du musée éponyme et l'on se régale doucement des bévues culinaires de chacun sur le piano du cuisinier du choc!

"LES JOUES ROSES" de Capucine Lucas (compagnie Kokeski) à Présence Pasteur: matriochka, mes amours... 


Deux danseuses éprises de rêves de maternité, de fécondité, de reproduction, s'ingénient à nous transmettre leur passion du troujours plus et moins que rien.Les costumes bigarrés, orientalistes à la Bakst ou Benoit, les gestes simples, les regards tournés vers le public, complice de cette invasion déferlantes de matriochka...Laissez vous tenter par cette aventure joyeuse, pleine de charme et de verve. Pour mieux jouir des choses simples qui s'égrènent sur le flux des gestes fluides et fuyants, flot de mouvement ou de pause résurgente des temps de création de matrice porteuse d'enfance et de merveilleux!

"OUVRE TA CAGE" de Sarah Pasquier (compagnie Petitgrain) à la Cour du Spectateur: ouvrez votre imaginaire...


Et la danseuse se fera oiseau libre ou captif dans cette jolie cour en plein air: sur des cailloux gris, elle sursaute et va d'un dispositif à l'autre pour découvrir et investir une cage à oiseau immense, structure tentatrice où elle se prend au jeu de l'attirance, de l'envie, de la tentation. Jamais malheur n'arrivera et l'on se rassure sur son sort où elle ne se fera "plumer" par personne. Jolie prestation ludique, farfelue et légère au petit matin estival pour tout un chacun!Liberté, je danse ton nom, oiseau de chair et de sensibilité toute féminine ne vous en déplaise....

  

La danse en AVIGNON LE OFF (suite n° 3): au gré des rencontres....

 "ICE"- GUEST GARDEN PARTY- aux Doms  de Bahar Temiz: du lien qui nous relie...



Le KVS , Théâtre de Ville Flamand a choisi pour cette Garden Party aux Doms, la chorégraphe performeuse Bahar Temiz, pour présenter un extrait de la performance solo de l'artiste, ceci sur les planches de la scène du Jardin, à 11H en plein air...Un moment étrange et curieux où la danseuse suit son chemin, seule aux prises avec une étrange "corde"...Corde, ce mot tabou des gens du spectacle, celle qui étrangle les matelots, celle qui donne la poisse et la malédiction, superstition indéfectible du langage théâtral.Elle puise dans ses entrelacs, la force et la singularité de la matière, tendue, courbe, alangui . Ligne à terre, méandres comme un lit majeur de rivière qui se meut et se répand au sol. La performeuse la manipule, la déroule, entre deux arbres, les bras impliqués par la tension ou l'enroulement progressif de la corde autour de sa tête. Comme un nid aussi, vide, mais accueillant pour une survie possible, une niche où se lover, se construire, nidifier où s'envoler. La vision est belle nimbée de soleil, de chaleur, d'odeur de pinède. Élaborée pour la "boite noire" cependant, ce work in progress est prometteur et captivant. Des instants uniques lors d'un festival....

"ALMATAHA" de Brahim Bouchelaghem (compagnie Zahrbat) au Théâtre de l'Oulle: la mythologie faite mouvements...


Marionnette et danse pour explorer les traces de la mythologie avec humour, délicatesse, tendresse et talent étonnant. L'histoire est simple, toute en objet décrite, incarnée, explorée pour rendre tangible un univers fondateur. Voyage initiatique fort bien conduit et organiser pour faire décoller dans l'imaginaire, autant cette marionnette manipulée par trois danseurs hip-hop, où bercée par un french cancan de vaches suisses, délicieuse touche d'humour sanglant dans cette atmosphère tendre et romanesque à souhait.

"KILL TIRESIAS"de Paola Stella Minni et Konstantinos Rizos (compagnie Futurimmoral à la Scierie: les yeux écarquillés....


Homme et femme, humain et serpent, Tiresias apparait et se confond avec ses divinations: entre ironie d'une catastrophe imminente et la tristesse d'un redémarrage, le sort ce cet anti héros est ici l'endroit d'une pure réussite chorégraphique, visuelle et sonore. Un bijou dans un écrin, perle rare de ce festival Off en matière de création en danse contemporaine."Avant la fin du monde, j'aimerai quiconque entende que je crie que je t'aime" et c'est peu dire que cette relation étrange qui s'installe entre deux êtres, comme dans les ruines d'un Pompéi englouti, d'une ville disparue.On se relève pour y puiser poésie du geste, regard doublé sur les paupières peintes pour aller au delà du réel et images vidéographiées de toute beauté signées Cyril Cabirol, Geoffrey Badel.Une oeuvre intense, mystérieuse, fertile en créativité: à suivre absolument!

"PEOPLE WHAT PEOPLE de Bruno Pradet (compagnie Vilcanota) à la Scierie: voir et revoir...


Un challenge pour cette pièce où "l 'on n'achève pas les chevaux" malgré fougue, énergie et passion débordante tout le long de ce parcours échevelé de danse de tension, courses et poursuites inimaginables...Souffle et ventilation, résonance dans les corps investis par le démon du mouvement, l'épidémie de fièvre de danse et la folie à corps pas perdus de sept danseurs ...qui ont ainsi fait le tour du monde en chevauchée fantastique! Des as de l'endurance, de l'épuisement, de la perte...Du don de soi...

"DE VENUS A MIRIAM, AU PAS DE MON CHANT" de Chantal Loial (compagnie Dife Kako) au TOMA: les voix de leurs maitres....


Un duo qui l'air de rien dit beaucoup sur cette Vénus Hottentote qui nous avait déjà fait vibrer en 2015. Ici les voix chantée et enregistrée se joignent au mouvement pour un duo lyrique, dansé, fort militant et engagé. La femme y est reine et puissante, sa voix se fait entendre et écho du sort des femmes d'Outre mer...
On y puise énergie et empathie avec conviction: Vénus n'est pas un mythe mais bien une nouvelle Terpsichore en baskets!

"BALAYER, FERMER, PARTIR" de Adèle Duportal (compagnie Plumea) au Théâtre Au bout là-bas: virevoltes.....


Elle est seule dans sa boite noire, petit théâtre intimiste du fin fond d'une ruelle d'Avignon...Seule? Pas sûr puisqu'un texte l'accompagne en voix off celui de Lise Beninca, au titre éponyme. Alors se joue le destin d'une femme accrochée à ses rêves, ses hésitations, ses revers, ses déceptions. La danse coule et se répand dans son corps comme un flux incessant, fluide, galvanisée par le texte qui défile à nos oreilles comme une musique continuelle.Quelques instants de pause ou de silence pour ponctuer cette quête de vie, de changement, de revirement.

 

Les coups de coeur DANSE dans AVIGNON LE OFF 2022 (SUITE N ° 2)

 AU THEATRE GOLOVINE

"ON NE PARLE PAS AVEC DES MOUFLES" de Anthony Guyon et Denis Plassard (compagnie Propos) : surface de réparation pour des gants de velours.


Un duo atypique en diable pour un dialogue de "sourd"? Pas vraiment car l'un et l'autre "signent" ici un remarquable embarquement pour une expérience visuelle et auditive inégalée. L'un signe, l'autre pas.L'un navigue dans des gestes repérables, inventifs, incertains qui ne sont pas à vraisemblablement parler de la langue des "cygnes". L’autre accompagne, soutient son partenaire de jeu de rôle avec humour, détachement, distanciation respectable et très audacieuse collaboration à ce tandem en danseuse!Situé dans un ascenseur en panne (pas d'imagination) nos deux loustics réussissent à vivre ensemble une expérience déroutante , profonde et sérieuse sur ce qui nous lie et relie en cas de "panne" de code et de déchiffrement de signes inconnus. Comment s'entendre et se rejoindre dans 4 mètres carrés de surface sous les projecteurs, sans jamais faillir à la loi de la surprise et du partage! A vous de jouer à cette idylle formidable, ce pacs drôle et éphémère qui vaut largement le détournement d'obstacle: il n'y a pas de handicap, il y a une ligne à franchir avec eux pour mieux sauter les frontières...

"ECCENTRIC" de Régis Truchy: un concentré extraverti!


Il est seul et avec tant d'autres sur son parcours incroyable de danseur hip-hip atypique.Comédie chorégraphique aux mimiques et gestes de références revisités, ce show est burlesque, drôlatique, parfois catastrophique et pathétique tant il sonde les avens de la tectonique du mime, du clown et va chercher très loin l'élixir de jouvence de la comédie dramatique. Extra-ordinaire en coup de triques et matraque divers, il parcourt un long chemin volubile sans parole, le "muet" lui va si bien qu'il incarne sans fausse note, la mélodie du bonheur. On partage la simplicité d'un monologue plein de charme, de personnages emblématiques et on salue l'audace de se produire en frac devant une salle comblée de bonheur.

"LA COMMEDIA DIVINA like4like"de Antonino Ceresia et Fabio Dolce (compagnie Essevesse): quand se pointe l'indice.


Un trio pour mieux cerner ce qui se trame aujourd'hui sur la scène chorégraphique: le genre, l'esthétique d'un imaginaire indexé sur la mémoire et le patrimoine littéraire, la fantaisie autant que les rôles socio-économiques dictés par les codes...Ici on détricote le tout et le plus beau cadeau est cette résurgence des pointes qui sourd des abysses du territoire de Terpsichore: une magnifique apparition de deux des interprètes dont Sakiko Oishi campés sur leurs pieds "pointés", alignant des formes, attitudes et autres postures non référées de la soit-disante "danse classique". Comme Forsythe se joue de ses attributs "exotiques" pour réinventer un vocabulaire codé. Ici les pointes ont droit de séjour comme outil autant qu'objets magiques, magnétiques, transformant les corps en être hybrides, beaux et émouvants.La musique live de Romain Aweduti en osmose avec sa vielle de gambe ajoutant à ce petit miracle, une touche supplémentaire de divin que Dante n'aurait pas renier dans les limbes de sa "divine comédie". De l'audace, toujours pour interpréter une si belle ode à la grâce restituée comme possible dans l'esthétique de la danse d'aujourd'hui.

 

A LA CONDITION DES SOIES : "Twaiwan in Avignon 2022" 

"DUO" de SUN Cheng-Hsueh (compagnie 0471 Acro Physical Theatre): un des leurres...


Tout est miracle et fantaisie, magie et prestidigitation dans ce duo merveilleux, inspiré par deux très beaux interprètes. Les perspectives se gomment, les leurres se font jeu et réussite de point de vue pour brouiller les pistes de l'entendement visuel. Un couple se conte et se raconte à travers une narration gestuelle sensible, poétique, touchante, émouvante et troublante Il va de soi -de soie- que l'énergie amoureuse habite cette réunion sensible de corps qui se côtoient, s'interrogent ou se déchirent à l'envie, avec fougue ou discrétion extrême. On frôle l'irréel, le virtuel infime d'une sensibilité chorégraphique assumée. Un moment de grâce, d'humour et de distanciation sans pareil. 

"SEE YOU" de Lai Hung-Chung (compagnie Hung Dance): .... et surtout à bientôt! la fulgurance incarnée.


 

Fusion des genres pour un tsunami de danse incroyable une heure durant: on est projeté dans l'univers tectonique et dynamique d'une horde de huit danseurs, costumés de blanc vierge cousu main magnifique, épousant les corps canoniques de ces acrobates-performeurs- hors pairs. On savoure leur prestation athlétique et virtuose sans modération tant leur engagement joue sur la dépense, la perte, le don de soi. Huit danseurs éperdus dans l'espace cosmique tout arrondi du théâtre pour y donner le meilleur d'un tonus, d'un partage fabuleux de musicalité corporelle et visuelle.Un talent de chorégraphe du ricochet, du rebond, du sursaut comme on en fait peu.Street Dance, Popping, Tai chi ou autres belles armes pour défendre un territoire faste en imaginaire, choc et salves dévastatrices de fougue et d'endurance!