samedi 24 septembre 2022

"Noir sur blanc" Heiner Goebbels et l'Ensemble Modern : du vent dans les voiles !Ghost save the music !


Noir sur blanc

Prologue:"Créé en 1996, Noir sur blanc (Schwarz auf Weiss) est un incontournable du théâtre musical. Avec pour fil rouge la parabole Ombre d’Edgar Allan Poe, Heiner Goebbels montre comment l’acte solitaire de création artistique est toujours aussi un acte d’invention collective.

L’action se situe hors du temps, dans la profondeur d’un passé antédiluvien — qui pourtant semble résonner avec notre inquiétant aujourd’hui. Un groupe de personnes, des hommes et des femmes, sans doute des survivants, se trouvent confinés dans un grand espace, peut-être un temple avec ses longues rangées de bancs. Derrière la porte d’airain, ils se croient protégés des catastrophes du monde extérieur. Ils jouent, ils boivent, ils chantent… jusqu’au moment où, soudain, une ombre apparaît sur le mur. De leur désœuvrement naît alors une action collective, tout d’abord désorganisée, mais qui semble peu à peu tendre vers un but commun. Lequel ?"

Ils sont déjà sur scène pour les uns, en costume de ville, assis sur des bancs en rangée, alignés et préparent leurs instruments. De dos alors qu'une voix murmure en off.Puis la scène se peuple, chacun rentre avec sa qualité de gestes, de déplacement et suggère un personnage.Ils jouent, de dos en rang serré, un rythme soutenu puis émigrent en grappe, jouent à la balle de tennis: joyeuse assemblée réunie pour se divertir. Un bruit continu de machine en fond d'atmosphère.Puis dans une belle accalmie après ce tsunami musical très ventilé de cuivres, de vents et autres trombones,se dresse en devant de scène un petit théâtre d'objets, une collection d'embouchures en étal, boutique fantasque, symbole de mémoire artisanale.Six panneaux en fond de scène laissent découvrir des ombres, des images de cité perdue.On songe à Kentridge dans ce défilé de silhouettes burlesques, à l'orchestre dégingandé, débridé de  Kusturika...

william kentridge

Trompette et trombone en majesté pour des soli remarquables de dramaturgie, de mise en scène imaginative et décalée On leur donnerait bien un "zéro de conduite" à ces guignols pas tristes de théâtre visuel et sonore.Un joli tintamarre en perspective s'installe, ponctué de jeu, de voix et de texte. Un solo de saxophone virtuose, digne de free-jazz se défoulant à l'envi pour donner le ton de ce concert décapant!Un échafaudage d'échelle, un panneau qui s'écroule pour mieux ventiler l'espace et faire voler les feuilles des partitions. Une marche collective, défilé-parade, de dos, efface les silhouettes, les rend spectrales.Une marche funèbre comique en diable.Un petit faune joue du pipeau devant sa bouilloire face à cette vision dantesque, enchanteresse, onirique à souhait.Un soupçon de référence à Bernstein et son "West side story" avec ses vents menaçants, plein de suspens et de couleurs sonores.Des simulacres de sons de goutte de pluie sur les cordes et corps des violons pour créer une ambiance étrange mais toujours rassurante Au pays des spectres et des ectoplasmes, le suaire n'est jamais blanc, le linceul jamais triste, plutôt évocation de gaieté, de réjouissance, de sobri-ébriété jouissive!C'est écrit noir sur blanc dans la partition à tiroir de cet opéra ludique plein de malice et de verve, éventée, cuivrée, le bec dans les anches et autres articulations instrumentales....


Epilogue:"L’Ensemble Modern est le protagoniste collectif de cette extraordinaire parabole donnée dans le monde entier avec un succès constant depuis vingt-cinq ans. Les 18 musiciens et musiciennes investissent la scène avec leurs instruments et la font vivre comme jamais auparavant. Pour Heiner Goebbels, il s’agissait d’explorer en profondeur le potentiel théâtral de la musique, mais aussi de façonner une allégorie de l’écriture et des voix multiples qui l’accompagnent. Sous la forme d’un manifeste pour l’invention partagée, le compositeur-metteur en scène déploie le cœur de sa vision : toute œuvre d’art est un héritage collectif et doit être reconnue comme tel.

Noir sur blanc n’a été donné en France qu’à deux occasions, au Festival d’automne à Paris en 1997 et à la Filature de Mulhouse en 1999. C’est donc une occasion unique de découvrir ce chef-d’œuvre du théâtre musical dans sa mise en scène originale."


Heiner Goebbels Noir sur blanc / Schwarz auf Weiss (1996)
spectacle pour dix-huit musiciens

conception, musique, direction et mise en scène | Heiner Goebbels
scénographie et lumière | Jean Kalman
costumes | Jasmin Andreae

Ensemble Modern
flûte, flûte piccolo, flûte basse | Dietmar Wiesner
hautbois d'amour, voix, didgeridoo | Cathy Milliken
clarinette | Jaan Bossier
saxophone, clarinette contrebasse | Matthias Stich
basson | Barbara Kehrig
cor, récitant, direction musicale | Franck Ollu
trompette, récitant | William Forman
trombone | Uwe Dierksen
clavicorde, harpe | Ueli Wiget
accordéon, échantilloneur, cymbalum | Hermann Kretzschmar
percussion, cymbalum | Rumi Ogawa
percussion | Rainer Römer
violon | Jagdish Mistry
violon | Megumi Kasakawa
alto, voix | Freya Ritts-Kirby
violoncelle | Eva Böcker
violoncelle | Michael Maria Kasper
contrebasse, e-basse | Paul Cannon 

vendredi 23 septembre 2022 au Maillon

 

vendredi 23 septembre 2022

"Discreet music": ça plane chez Eno !

 


Discreet music

Au milieu des années 1970, à mi-chemin entre l’avant-garde et la pop, Brian Eno posait les bases d’un nouveau genre musical, l’Ambient Music. Inspiré par la musique d’ameublement d’Erik Satie, la musique indéterminée de John Cage ou les drones de La Monte Young, il réalisait alors en studio une série de compositions fondées sur des processus formels stricts. L’impression d’une musique toujours à peu près la même et pourtant toujours différente nous plonge dans une écoute flottante, un état de conscience modifié propres aux musiques répétitives. Sous la direction artistique de Didier Aschour, l’Ensemble Dedalus propose une transposition instrumentale de quelques-uns des plus beaux titres de l’expérimentateur britannique.


Brian Eno
Discreet Music (1975) :le ton est donné avec le piano, compagnon de ce morceau hors norme: un leitmotiv envahissant, ascensionnel en reprise sempiternelle.La contrebasse s’immisce doucement dans ce maillage de notes égrenées à l'envi. Puis c'est au tour du xylophone-vibraphone de se glisser entre les notes, suivi des vents et cordes peu à peu.Cette lente et subtile addition, comme une accumulation savante de sons tuilés, se bordant, enrobant l'espace.L'amplification, le développement de ce motif, simple et enivrant, façonne l'opus dans une pureté des timbres rehaussée par l'acoustique vibrante et lumineuse de l'Eglise St Paul. Les auditeurs, allongés ou en position de méditation recueillie semblent bercés, apaisés par l'écoute de cette ode au calme, à l'évanescence de l'ether.Entêtant, persistant, les appuis et rebonds sonores font inflexions, pulsations régulières et mouvements de pliés, assemblés, chassés et détournés dignes d'un langage de danse classique reviisté.

Les oeuvres se succèdent indissociables...
Music for Airports (1978) : un must du genre sur le tarmac, embarquement immédiat pour survol aérienne, hors sol.Une longue tenue des cordes en introduction, envol et décollage vers des cieux prometteurs de paradis.Purgatoire oblige, calme et mystère comme ambiance globale.Le piano égrène ses notes, paisible, pondéré, douce et sensible référence acoustique.Dans une atmosphère lumineuse les perles de notes pianistiques rehaussant ce goutte à goutte délectable.Sur fond lisse, atonal, répétitif, minimaliste.Vents et piano comme des litanies, ondes et vagues sonores douces, enrobantes.Des inflexions votives comme mouvement aléatoire persistant.


Thursday Afternoon (1985):La sonorité inouïe des vents, saxophones à l'appui est reine et enchante.Symphonie relaxante, ambiance zen qui étire les sons et se répand sans cesse avec bonheur.De très belles intonations dans les graves de la part des trombones pour cette pesanteur solennelle édifiante. Telle une lente parade en hommage au temps, à la pondération.Les flûtes et clarinette, les cordes créent un univers lent, cortège qui passe sobrement comme une longue marche vers l'éternité.Eno en majesté dans un écrin acoustique idéal et pour un public nombreux, planant dans des sphères virtuelles de rêve.

Ensemble Dedalus
guitare, arrangements et direction artistique | Didier Aschour
flûte | Amélie Berson
clarinette | Laurent Bruttin
saxophone | Pierre-Stéphane Meugé
trompette | Christian Pruvost
trombone | Thierry Madiot
violon | Silvia Tarozzi
alto | Cyprien Busolini
contrebasse | Éric Chalan
piano | Denis Chouillet
vibraphone | Linda Edsjö
violoncelle | Deborah Walker

jeudi 22 septembre 2022 Église Saint-Paul dans le cadre du festival MUSICA
 

 

"Eblouissements": Kaija Saariaho en majesté.

 

Éblouissements

L’Orchestre national de Metz Grand Est s’associe à Musica pour clore le portrait consacré à Kaija Saariaho.Deux pages orchestrales qui encadrent la carrière de la compositrice finlandaise sont données sous la direction de David Reiland.Entourées de complices acoustiques inégalées.


Olga Neuwirth, CoronAtion V : Spraying sounds of hope (2020)

La pièce d’Olga Neuwirth qui ouvre le concert, CoronAtion V : Spraying sounds of hope (2020), fait partie d’un cycle d’œuvres composées durant la période de confinement.C'est en fanfare martiale dissonante que démarrent ces hostilités musicales bienvenues!Aux accents joviaux, sortes d'hymnes nationaux en référence acoustique.Comme une lente marche avec cependant beaucoup d'énergie, de virulence, de clarté des timbres: un brillant solo de trompette comme gageure d'écriture, surprise et enchantement du tympan!En contrepoint, les percussions s'adonnent à faire vibrer le tout.

Kaija Saariaho, Trans (2015)

Son concerto pour harpe Trans composé en 2015 est interprété par l’un des plus éminents représentants de l’instrument, Xavier de Maistre. La rémanence des sonorités tenues de la harpe, reconduites par les cordes profile une atmosphère légère, délicate, subtile manipulation des cordes de l'instrument si beau à regarder aussi!Tout en délicatesse, l’orchestre ouvre des espaces et s’efface pour mettre en valeur la fragilité de la partie soliste.Doigté, virtuosité du jeu de l'interprète qui se balance au gré des impulses de cet instrument, spectaculaire objet de désir, de tendresse Les sons tourbillonnent dans l'ether, enveloppent la divine harpe, lui répondent comme à une muse inspiratrice de l'oeuvre. Fluide subtil, impondérable, remplissant les espaces situés au-delà de l'atmosphère terrestre.Légèreté des flûtes, sons fluides, hauts en couleurs.La harpe se fait frapper, l'ambiance monte en tension dans une atmosphère inquiétante.Les mouvements ondulatoires de la harpe, le xylophone en contrepoint et le paysage sonore s'amplifie, s'élargit, prend corps sonore et visuel. Tout l'art de Kaija Saariaho triomphe ici comme une petite symphonie lumineuse, irradiante, salvatrice.Volière de timbres multicolores et chamarrés en effervescence, ce monde, cette planère musicale enchante et fait voyager très loin au gré des modulations.

Kaija Saariaho, Verblendungen (1984)

Verblendungen, l’œuvre qui l’a fait connaître au milieu des années 1980 et dont le modèle est une trace de pinceau qui lentement s’effile. De bruits et de fureur; détonations, ample volume du son, espace habité avec rage et entêtement.Pour une puissance grandiose qui s'installe, se déploie et inonde l'atmosphère.Flux et reflux ascendants submergent, les percussions, délicates, perlent la musique, aérienne, vaporeuse.Tout semble tintinnabuler, fragile composition doublée de sons enregistrés diffusés simultanément. Une infime source de sons minimalistes, des bruissements ténus nous projettent dans un univers sensible.À partir d’un climax initial saturant l’espace harmonique se déploient des spectres de plus en plus épurés, jusqu’à la disparition de l’orchestre en un souffle.

Clara Iannotta, Darker Stems (2022) - création mondiale

Commande conjointe de Musica et de la Cité musicale-Metz, Darker Stems de Clara Iannotta est donné en création mondiale. Musique électroacoustique en premier abord, doublée par l'orchestre en live:flux et déversement de sons, décharge, déraillement sonore comme dans un chantier retourné, malmené. Cet opus plein de bruits, de sonorités identifiables-grues, objets telle une crécelle, des cartons frottés-fait l'objet d'une oeuvre très imagée.D’une portée autobiographique rare, la pièce a été imaginée durant une longue période de convalescence. La compositrice italienne dit y avoir transposé son expérience intime de la maladie : « À la manière d’un miroir intérieur révélant des pensées, des comportements ou des peurs cachées au fond de moi, un espace interdit au verbe, mais où le son peut se nourrir avant de s’écrire sur une page. » Douleur ou rédemption, rémission ou éternelle recommencement d'un grand corps malade, ressuscité par la composition, la création musicale, portée par l'enthousiasme d'un orchestre hors pair, voué à l'interprétation d'oeuvres majeures et inédites du futur répertoire contemporain!
 


Orchestre national de Metz Grand Est
direction David Reiland
harpe Xavier de Maistre

Salle du conservatoire Cité de la musique et de la danse le 22 Septembre dans le cadre du festival MUSICA