samedi 7 octobre 2023

"Vaduz" : lecture performative! Autour de Vaduz...Il y a.....de la poésie sonore ! Et un millefeuille phonolitique...

 


C'est en 1974 que Bernard Heidsieck, l'un des plus grands poètes du XXème siècle, publie Vaduz, une pièce de poésie sonore.

Dans ce texte, l'auteur fait de Vaduz, ce maxi-village, capitale de ce mini-territoire situé au centre de l'Europe, le Lichtenstein, l'un, sans doute, des plus petits pays au monde, le centre même de notre globe.
Hélène Schwaller et Jean-Mathieu Collard vous offriront une lecture performative de cette pièce dans laquelle résonnera, de façon spectaculaire, l'unique dans la diversité : à la fois une grande œuvre humaniste, et une expérience extrême de la poésie-action.
 


T'as voulu voir Vaduz et t'as entendu des strates de schiste comme de la pierre phonolite, résonner au son des mots, du catalogue exhaustif des noms des peuplades du monde entier...C'est un millefeuille qui se délite, se déchire, catapulte les sonorités, renverse le rythme de la déclamation...Ils sont costauds nos deux récitants-conteurs-comédiens-musiciens: elle, c'est Hélène Schwaller qui bat de la mesure de ses deux mains pour mieux scander en rythme les cadences de la poésie fantasque de Heidsieck. Éloquence, rapidité, vitesse, célérité d'une lecture-démonstration virtuose... Lui, c'est Jean Mathieu Collard à la réplique. Chacun derrière son pupitre, debout, à l'aise malgré la tension physique et rythmique imposée par le débit des mots, des appellations de toutes sortes de peuplades. Il est aussi l'auteur des photographies qui défilent comme autant d'accumulations de lignes, points, plans, objets rassemblés au hasard des sculptures ainsi trouvées. Des images qui collent par leur dynamique aux scansions du texte. C'est drôle, surprenant, agaçant en diable et ça dure le temps d'épuiser toutes leurs forces et notre capacité à enregistrer ce flot continu de sons et de surprises. Tout se catapulte, enfle en orgasme rythmique étourdissant, les lauzes du texte s'enchevêtrent, s'arqueboutent et la langue va bon train dans ce gosier sonore rabelaisien. Tout passe à la casserole, à la moulinette surabondante du flux énumératif des noms de peuplade qui peu à peu se transforment en "émigrés", migrants et autres déplacés: une ethnographie savante inépuisable qui au final s'essouffle et s'éteint pour un calme apparent. Accalmie d'une tectonique minérale voisine des phénomènes sismiques défaillants. Les couches sonres se succèdent, se doublent, se superposent à l'envi, s'emboitent et se choquent comme un glossaire inépuisable et sociologique: un cours magistral à deux voix alors qu'à l'origine l'artiste double une bande enregistrée. De la haute voltige pour ce voyage à Vaduz, territoire dérisoire mais terrain d'expérimentation sonore draconien. Nos deux performeurs au diapason, de concert pour un événement digne de l'auteur de cette diatribe musicale de très bon aloi. Une litanie cérémoniale et dominicale très spirituelle, rituel pas catholique d'un sermon, homélie païenne ou prêche iconoclaste.La mécanique s'emballe et Vaduz devient le nombril incontournable d'un manège sonore sempiternel, enivrant: les deux interprètes comme des machines textuelles bien remontées au quart de poil, au cordeau. Une mécanique infernale au service d'une musicalité de toute incongruité. Déferlante avalanche de cailloux projetés dans le vide. Ça résonne au micro, en écho, en ricochet acoustique pour effet chaotique garanti.
 Monocorde, monotone prestation hypnotique à vous couper le souffle...
 
Dans le cadre de l'exposition de Jean Mathieu Collard  "Order/ Disorder"
A la Galerie la Pierre Large . 
 
Filage de Vaduz avec un duo d'interprètes Hélène Schwaller Jean Mathieu Collard

vendredi 6 octobre 2023

" Mothers. A Song for Wartime Marta Górnicka": madre mia! Révolution de palais pour des figures de proue dans la tempête..

 


Partout autour de nous, aux portes de l’Europe ou loin de ses frontières, le fracas incessant des armes recouvre les voix des victimes, des réfugié·e·s, des persécuté·e·s. À ce vacarme que nous peinons pourtant à entendre, la metteuse en scène polonaise Marta Górnicka oppose le chant puissant du chœur. Mothers. A Song for Wartime
est une réaction directe à la guerre. 25 mères ukrainiennes, biélorusses et polonaises font entendre leur voix, une énergie vitale qui s’oppose farouchement aux forces de la destruction. Une voix qui fait écho au chœur antique, mais emprunte aussi à la lointaine tradition des chtchedrivky, ces chansons populaires venues d’Ukraine que l’on chante aux enfants pour célébrer la nouvelle année. Ces femmes les nourrissent de ce qu’elles ont traversé, elles font résonner un langage nouveau, à la fois immémoriel et profondément contemporain. Lorsque les musiques et les sons traditionnels rencontrent les revendications politiques du présent, la scène redevient l’espace d’une communauté, non pas fondée sur une idéologie partagée, mais sur l’écoute sensible de l’expérience de l’Autre.

Un groupe compact de femmes, plutôt jeunes nous attend déjà sur le plateau, sorte d'estrade-ring tout gris...Vêtues de costumes banalisés de la vie quotidienne: jupes, legging  et autres tenues passe-partout plutôt sombres. Elles sont en guerre ces amazones de la paix...C'est une fillette gracile qui introduit cette marche qui ira de l"avant ou à reculons, une petite heure durant. Mise en scène de circulations, déplacements d'un choeur qui chante ou hurle son désarroi, sa frustration, sa colère: des mères qui ne veulent plus attendre leurs fils. Retour de guerre improbable. Un choeur féminin comme un groupe de manifestantes aux revendications de slogans. Mais très cadencés, musicaux, comme autant de cris d'oiseaux, de corneilles en envolées hitchcockiennes. Murmurations d'une population dont les gorges, les langues ne sont pas de bois et lancent des salves de mots, de phrases répétées à l'envi. Des textes défilent sur l'écran de fond comme autant de manifestes à décrypter dans l'urgence: en bataille, en ordre rangé de lecture édifiante. Elles avancent ou reculent en chorus, en danse chorale à la Rudolf von Laban. Rythme, poids et forces directionnelles en poupe. Elles se font guerrières, porteuses de colère et d'espoir, mutines en trois groupe pour évoquer la sacro-sainte Europe. Sit-ing sauvage sur plateau effervescent ! Belle ironie et caricature de la politique internationale. De l'humour pour ces vingt pionnières frondeuses qui osent s'insurger, se "soulever" à la Didi Huberman: révolution de voiles de palais, de diaphragme, de poumons qui pulsent et s'emballent pour ces vociférations, ces berceuses infernales, scandées comme pour ne jamais s'endormir. Des diagonales savantes, des déroulés de corps, des alignements quasi militaires, des marches et démarches résolues, solides et teintées de violence retenue. Ou exprimée par le son. Un choeur pour évoquer l'amour, les bras noués, reliés comme un collier de perles enfilées. Et chacune de se présenter par son prénom, ses désirs, ses envies, sa biographie. C'est émouvant, renversant, loin d'un récital de chants traditionnels. Et au final ces femmes rebelles en rut, en proie à leurs convictions et combat quotidien forment une architecture tectonique de barricade. Ces "pétroleuses" d'aujourd'hui nous racontent leur histoire avec une interprétation nue et crue comme un chorus-line très politique. Au sens de cette polis, agora du débat, de la rencontre, de la parole qui se livre.Une cité-État, c'est-à-dire une communauté de citoyens libres et autonomes, le corps social lui-même, l'expression de la conscience collective des Grecs. Et se délivrent des tonalités murmurées comme à la messe ou dans les carmina burana,ces poèmes, cantates scéniques polyphoniques. On avance en chantant et on gagne du terrain en combattant avec d'autres armes. Les armes de la douleur, de l'énergie, du courage et de la volonté féroce et pugnace de regagner la rive. Le choeur battant en bandoulière, les poings serrés, les bouches ouvertes comme des dégorgeoirs à farine où à jus de la vigne."Dégorgeoir" de moulin. vomisseur de son orné de mimiques expressives ... Leur rôle était d'effrayer les esprits malfaisants qui auraient pu arriver jusqu'à la farine et la contaminer.

Au Maillon jusqu'au 6 OCTOBRE

"Danser Schubert au XXIème siècle" : le chant du cygne assailli, magnifié, conquis par la danse...

 


Franz Schubert a marqué à jamais l’histoire de la musique de son empreinte romantique. Né à Vienne en 1798, il est l’élève de Salieri et devient l’un des plus fervents admira- teurs de Beethoven. Malgré sa mort précoce à l’âge de trente-et-un ans, il est l’auteur d’une œuvre fleuve comptant plus de mille pièces. Quatuors à cordes, symphonies, sonates, fantaisies, opéras, il a exploré toutes les formes avec la même quête d’absolu. Surtout, il a porté l’art du lied à sa perfection, notamment avec La Belle Meunière, Le Voyage d’hiver et le posthume Chant du cygne, trois cycles qui révèlent avec éclat les thèmes qui l’ont obsédé durant toute sa vie : l’amour bien sûr, mais aussi l’espoir, la déception, la mélancolie, la tristesse, la nature et l’errance vers un ailleurs inaccessible.


Dans une scénographie du peintre Silvère Jarrosson, les danseurs du Ballet de l’OnR déploient leurs univers chorégraphiques au fil d’une dramaturgie musicale autour de la figure et de l’œuvre de Schubert imaginée par le pianiste Bruno Anguera Garcia. Douze pièces chorégraphiques intimes et singulières composent ce cycle schubertien auquel se joignent deux jeunes chanteurs de l’Opéra Studio.

« Voyez la musique, écoutez  la danse » : la formule est empruntée à George Balanchine. Un adage sur mesure pour cette soirée consacrée à la musique de Schubert, ses variations, ses audaces, sa stricte composition oscillant entre drame, nostalgie, romantisme et joie solaire. Douze pièces "courtes" comme des nouvelles littéraires, des courts-métrages cinématographiques vont se succéder en osmose, en glissement progressif d'une oeuvre à l'autre. Le tout savamment orchestré par les déplacements et circulations de cinq toiles , pans de graphisme à la Hokusai, calligraphie en noir et blanc, comme un manga tissé, tendu évoquant des figures paréidoliques. Toutes d'égale inventivité, de surprises liées à un glossaire et vocabulaire dit "classique" qui n'a plus de qualificatif que quelques positions et pointes de bon aloi. Là réside tout l’intérêt de cette expérience inédite en son genre. Reconsidérer les fondamentaux d'un langage calqué sur la virtuosité de l’exécution d'attitudes, poses et syntaxe trop connues pour être étonnantes. Ainsi, c'est un lion qui rugit en prologue, fauve faunesque qui introduit ce récital dansé à la perfection. Un "Adam" sans Eve, un solo signé Marwik Schmitt, plein d'humour et de détachement, de distanciation: Schubert n'en mène pas large...Très offert, lifarien en diable, le danseur évolue, animal farouche et sensuel: un faune à la Nijinsky très convaincant et ébouriffant.

"Zwischen// Hertztönen" de Julia Weiss  comme un entremets, entracte bref et passage furtif d'une table transportée à dos d'homme se fera intermède récurent...Avec "Etanos" de Pierre Doncq, c'est le groupe qui est l'objet d'une riche et dense chorégraphie tant chorale que parsemée de trio, diagonales et ensembles. Une composition qui donne à voir et écouter un couple d'hommes en noir et bleu, évoluer en gémellité et miroir, un groupe de femmes en jupettes seyantes en contrepoint. Les ondulations des corps comme leitmotiv et signature de phrasés savants dans l'espace. Maxime Georges au piano pour souligner et accompagner cette dynamique foudroyante et légère. Et Julia Weiss de ponctuer à nouveau ce flot de propositions chorégraphiques par un duo sur une table: la danseuse y fait figure de partenaire, support-surface lisse et rebondissant d'une danse plus tard en duo.

"Thérapie de couple" de Alain Trividic va dépoter l'ambiance pour une narration comique du couple. Assis sur leurs chaises, entre Pina Bausch et Anne Teresa de Keersmaeker, les voilà s'attirant, se repoussant à l'envi sur la musique. Disputes ou réconciliation des corps, fugue et courses pour échapper à l'attraction-attirance aimantée de l'autre. On songe à Michèle Anne de Mey et Pierre Droulers dans "Face à face" visitant Brahms et Schubert avec autant de fougue et de sensualité... "Opus" de Jean Philippe Rivière, succède comme un solo éperdu d'une femme en longue robe blanche: Audrey Becker comme une figure évanescente, virginale incarnant pourtant la musique, habitée, cambrée dans de longs détirés romantiques, langoureux, magnétiques. Le violoncelle pour partenaire parfait, accordé en corps à corps, instrument et danse vivante. "Double-Double" de Noémie Coin associe chanteur et pianiste dans un "quatuor" très stylé, distingué où la danse feutrée accuse "it's not your fault" comme un leitmotiv récurent: mouvements, texte et danse au diapason.Un duo sportif, déhanché deux douches de lumières au final pour conclure cette remarquable prestation aux allure de Mats Ek: pieds en dedans, mimiques, humour et décalage constant de trouvailles insolites.

La seconde partie de cette soirée remarquable à plus d'un titre se prolonge "Le temps d'une bise" de Pierre Emile Lemieux-Venne. Un quintette efficace, quasi martial ou militaire, rythmé aux allures de parade: un beau travail au sol, des sauts en contrepoint fragile et voilà un travail plein de comique, de jeu théâtral singulier, discret; des combats entremêlés de corps fébriles, et la dynamique est assurée. "Les vagues  de la rivière du temps" de Dongting Xing font suite, Bernadette John soprano et Hugo Mathieu pour pianiste. Un duo, quatuor chanté-dansé de toute beauté à l'écriture fluide et très classique. Les toiles évoquant aussi ces vagues à l'âme très romantiques. "Nuit et rêve" de Christina Cecchini toujours en compagnie de la mezzo soprano offre à Alice Pernao, danseuse, un moment d'émotion et de lyrisme vêtu d'une robe rouge-sang. Un solo intime, habité et très convaincant. "Anonyme" de Brett Fukuda offre à Marin Delavaud l'occasion de mettre en valeur tout son talent de comédien: au pied du mur, va-t-il résister à la tentation de se retourner. Comme cherchant son Eurydice, Orphée résiste, à la tentation, attraction ou attirance de la musique. C'est beau et touchant et la narration du corps dansant opère à loisir. Sa voix ne se retourne pas sur ses pas et l'homme tout de blanc vêtu est fragile, tenté. "Dualité" de Caue Frias emporte un couple de danseurs au zénith  de l'amour: fluidité, romantisme, nostalgie et mélancolie au chapitre pour une danse romantique pleine de grâce. Des portés harmonieux de ces longues robes noires dégenrées font naitre des sentiments plein de lumières: le phrasé chorégraphique épousant la musicalité de la partition très picturale, rehaussée par la présence des toiles de Silvère Jarrosson: un dispositif mobile, vibratile à l'image des soubresauts de la musique, des déplacements et circulation des danseurs. Le mouvement est sans doute le thème le plus présent dans son œuvre. Il traite le déplacement des pigments sur la toile à la manière d’un chorégraphe. Son travail a ainsi été exposé aux côtés des œuvres d’Olivier Debré connu entre-autres pour les décors peints qu’il a réalisés lors de sa collaboration avec Carolyn Carlson pour le ballet Signes en 1997 à l’Opéra de Paris. Mettant en mouvement ses toiles aux châssis épais, il sollicite l’intégralité de son corps dans la peinture et compare souvent ses toiles à des partenaires de danse. Enfin "La jeune fille et la mort"de Jesse Lyon clôt ce récital dansé,quatuor danseurs, baryton - Bruno Khouri- et pianiste pour une ode à la beauté, la souffrance, la nostalgie, la perte. La "Winterreise" de Preljocaj a égale perfection d'interprétation chorégraphique en mémoire ou référence de revisitation de l'oeuvre de Shubert.

Une soirée inspirée aux accents chorégraphiques variés mettant en avant toutes les possibilités d'écriture-signatures de jeunes chorégraphes soucieux autant de la technique que de l'inventivité, l'audace et la fragilité de la danse, pas si "classique" que cela, revendiquant une légitimité toute accordée à figurer parmi la danse d'aujourd'hui: au bon "endroit" sur des territoire et terrains inconnus, face à une oeuvre musicale gigantesque, colossale et pleine d'intensité, de dynamisme: à l'image de l'art chorégraphique qui "ne se retourne pas" mais "avance" ! Schubert en très bonne "compagnie", ce fameux ballet du Rhin dont la mutation opérée par Bruno Bouché fait merveille!

Chorégraphes Christina Cecchini, Noemi Coin, Pierre Doncq, Cauê Frias, Brett Fukuda, Pierre-Émile Lemieux-Venne, Jesse Lyon, Jean-Philippe Rivière, Marwik Schmitt, Alain Trividic, Julia Weiss, Dongting Xing Musique Franz Schubert Dramaturgie musicale Bruno Anguera Garcia Scénographie Silvère Jarrosson Lumières Aymeric Cottereau Mezzo-soprano Bernadette Johns Baryton Bruno Khouri Piano Maxime Georges, Hugo Mathieu CCN • Ballet de l'Opéra national du Rhin, Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin

A l Opéra du Rhin jusqu'au  8 octobre