vendredi 23 février 2024

"Génération Next 1" en immersion: pouponnière ou bassin d'incubation prolixe en création musicale contemporaine prodigue..

 


Strasbourg, HEAR

Premier des deux concerts du collectif lovemusic qui interprète les créations des étudiant·es en composition. Au-delà d’une résidence de composition, Generation Next est une expérience immersive offerte par le collectif lovemusic à huit étudiant·es compositeur·ices tout au long de l’année 2024.

Ateliers, séances de travail individuels et en groupe et répétitions aboutissent à la création des nouvelles œuvres, mais aussi d’un concert et d’un projet programmé et conçu en direct avec les étudiant·es compositeur·ices.

Pour cette première, sont jouées des œuvres de:
 Aurès Moussong avec "Le long rêve de Siyâvas" débute ce concert "inaugural" d'expériences collectives. Flûte, violoncelle, voix et tambour iranien, le "tombak"au service d'une oeuvre très aboutie.Une atmosphère sereine, tranquille, calme s'en détache, flûte et voix en étroite complicité. Parfois fusant de concert. Le tambour en soliste ponctue la composition, la relance après des silences prometteurs. De belles attaques surprennent en fractures ou tenues, en modulations d'amplitude, de volume sonore, de tension..La voix s’immisce, se glisse en langue farsi dans une prosodie à suspens: telle une conteuse discrète et charmeuse. Une sorte de scie musicale borde et prolonge la douceur, la tempérance de l'opus.Une poésie musicale construite par cette inspiration de culture persane très fouillée et rétablie ici pour donner un univers contrasté, fluide et percutant.

Mélusine Wachs succède avec "Pajarillo Leticiano" pour percussion, flûte et violoncelle. Des vibrations singulières issues de petits paquets de graines font pulser l'atmosphère en autant de parcelles sonores, au coeur du trio d'instruments. Des séquences brèves, courtes, pertinentes évoquent comme un chant d'oiseau, en écho et réverbérations sonores.Oiseau du "milieu du jour" inconnu au bestiaire mais si évocateur de futilité, fugacité et autres tenues versatiles d'un chant merveilleux, enchanteur. Une oeuvre courte et séduisante.

Simon Louche & Aquila Lescene avec "Réminiscence symbiotiques d'un changement de paradigme" pour voix, flûte, violoncelle et percussion font une forte impression.Fracas en ouverture, étrange univers dans lequel on plonge de force.Souffle cinglant de la flûte, basse des cordes du violoncelle, traversée aérienne de la voix dans des vibrations communes. Le suspens plane plein de fractures, de vivacité: la voix agonise, racle, râle, s'éteint, s'étonne, rebondit. Bien agencée, rythmée, elle triture le son, surprend, apeure.Le ton est celui d'une fiesta virulente: on y affirme en puissance et en volume, les sons d'une fanfare populaire qui avance, progresse, défile, en marche.Inspiration revendiquée par les deux auteurs complices, composant à quatre mains. Une parade foldingue, débridée en majesté dans une écriture très contemporaine. Les majorettes s'affolent et font du neuf ! Dernier souffle tenu comme coup de semonce inattendu. Du bel ouvrage inspiré par un esprit d'échange, d'attention, de plaisir issu de la fréquentation  des musiques actuelles, revisitant répertoire et tradition.

Au tour de Davide Wang de confier sa création aux musiciens "exécutant" de main de maitre ces créations inédites de "jeunesse" très mature. C'est "Esercizi Di Umamizzazione" pour flûte et violoncelle, percussions qu'il leur confie. Un xylophone clair et limpide, des vibrations stridentes ascensionnelles, des éclats de flûte en ponctuation inaugurent le morceau. Ça fuse ou ça caresse dans le tympan, brèves ou longues tenues en contrastes pour les sons ainsi égrenés.Des revirements, de la  rapidité, précipitation sonore à l'appui ou langueurs alternent à foison. On compte sur chaque note qui prend son espace dans une sous-couche sonore faite de frottements, de grattages du violoncelle. Presque du métal sonore glaçant, puis ludique, joyeux. Ambiance exacerbée, tonique, virulente. Des bruissements menaçants submergent l'écoute. Auréolés de chuchotements pour créer un discret mystère en bribes de mots épars, parsemés de frappe de pics. Univers de confidence au creux de l'oreille pour humaniser notre tendance à écouter des machines vers un bain d'inconscient salvateur.

Irène Rossetti termine en beauté cette soirée de work in progress agrémentée des mots, paroles des compositeurs tous ici présents. "L' Aria et l'oli" c'est la rencontre d'un "petit bidon d'huile" avec la composition musicale. Un bijou d'humour, une "musique à voir et entendre" à la façon d'un Robert Wilson, artiste protéiforme ou du poète Christophe Takos. Les trois instruments au service d'une narration très imagée, aux sons évocateurs de la présence de ce petit personnage charmant. La voix se faisant narratrice, conteuse de bonne aventure, diseuse d'une farce absurde, surréaliste donnant corps et vie à un objet perdu, abandonné. Si attachant! Des mudras indiens habitent la chanteuse, passeuse de récit. Très bien entouré, ce petit lutin prend forme et acte de vie. Du suspens, des silences pour un texte en coupures, haché dans l'espace sonore. De l'air, du vide, de dehors et dedans, des rebonds, des frappes pour créer des images sonores pertinentes. Bruitages qui parlent à l'imaginaire sollicité ainsi par la fantaisie du sujet proposé, abordé avec poésie et doigté, noblesse et subtilité. Élégance au final dans des reprises de tonalités, des répétitions scandées comme un refrain, leitmotiv ou slogan de manifestation. Une pièce servie, comme les quatre autres par le collectif lovemusic dont on retiendra les talents vocaux de la brillante et virtuose Léa Trommenschlager, la subtilité du jeu de la violoncelliste Lola Malique, le souffle inédit de Emiliano Gavito, l'aisance du percussionniste Rémi Schwartz.

Le tout orchestré, introduit et animé par Adam Starkie, monsieur Loyal de la soirée. Les bonnes fées veillent sur le berceau.


jeudi 22 février 2024

"Only" ......you my body ! Les percu, sans percu c'est de la bombe corporelle, de l'agitation, des secouses telluriques, du remous tectonique

 


JEUDI 22 FÉVRIER 2024, 20H, THÉÂTRE DE HAUTEPIERRE, STRASBOURG

L’ensemble présente ONLY, nouveau programme constitué de quatre nouvelles oeuvres sans instrument de percussions, imaginées par les compositrices Agata Zubel, Yijoo Hwang et la chorégraphe Noémie Ettlin. Nous poursuivons l’exploration et l’expérimentation autour du corps, élément indispensable aux percussionnistes dont le geste mène à l’impact. Comment repenser le mouvement des corps dans la musique percussive ?

Spray (2024), Agata Zubel – création*
Désordre (2024), Yijoo Hwang – création

Banquise (2024), Noémie Ettlin – création


Dans Désordres, Yijoo Hwang s’inspire de textes philosophiques pour évoquer la solitude et la difficulté à ne pas être perturbé par les injonctions continuelles qui nous entourent, qui génèrent du stress et peuvent même nous mener au burn-out. Expression de ce qui traverse l’humain, les interprètes de la pièce brisent des murs invisibles, impliquant directement le public dans sa réflexion, dans une quête d’apaisement. Pièce pour gestes et cris, Désordre
agite le public.  

Ils sont trois sur le plateau dans le "plus simple appareil", leur corps. Frottements, glissements sur le tissus de leur vêtement, brèves percussions corporelles en alternance. Au coeur du trio, le rythme est soutenu, tendu comme une danse flamenco, un écho, des ricochets entre les trois interprètes. Précipités et accélérations, volées de petits bruits crissants au final dans le noir. C'est troublant et si des cris, des toux successives parviennent du public, complice de ces "percussions naturelles organiques", c'est pour mieux rendre la salle participative, intrusive dans le processus de création live.


Spr
ay d’Agata Zubel est une œuvre sonore pour bombes de spray, où les sons produits par les bombes interagissent directement avec l’espace visuel du.de la spectateur.rice sur de grandes toiles disposées sur le plateau. Spray
est un acte performatif mélangeant travail rythmique et recherche plastique. 

En bleu de travail, de dos, voici les tagueurs de la soirée, peintres "sauvages" à la sauvette des cités urbaines. Des "bombes" en quelque sorte que ces travailleurs de l'obscurité. Ca spritze à l'envi comme un sprite pétillant de sons incongrus.Toiles blanches pour mieux tracer en formes ovoïdes de couleur verte, puis traces de bleu pour ces graffeurs de sons.Les pinceaux sont des balais de percussionnistes pour un ballet de gestes synchrones, chorus ou alternance rythmée de mouvements. Les sons dérapent, glissent, frottent la toile et des compositions singulières très colorées jaillissent comme des partitions écrites sur le vif, in situ. Les bombes deviennent maracas.Un balayage des toiles sonore fort impressionnent. Des nymphéas pastel sur six chevalets alignés. La scénographie est originale. Encore une touche de rose, un étalage de couleurs et de matière à l'aide de planches et le tour est joué. Du jaune en bavures et coulures à l'aide de papier. Des techniques picturales pour écrire des sons et bruitages inédits. L'expérience est probante et chacun observe, évalue son oeuvre, son résultat, laissant une exposition de six toiles inédites. A quant la vente aux enchères chez Artcurial?


Enfin, tel un commando de pingouins œuvrant à une ferveur commune, régi par une rythmicité intrinsèque et intransigeante, les six interprètes de Banquise exécuteront les missions organisées par la chorégraphe Noémie Ettlin. Cette oeuvre, sans musique, met en mouvement les percussionnistes de manière coordonnée et absurde, au travers un exigent travail sur la rigidité, la rapidité et la précision.


La marche des empereurs sur la banquise

Après un fracas de tempête extérieure et l'apparition de volumes simulant la banquise, six musiciens-danseurs en tenue grise et noire, pieds nus: le corps pour seul instrument. De dos, animés de petites secousses et balancements, puis dans l'espace en mouvements lents, retenus. Entrée en matière de danse pour ce groupe, soudé, à l'écoute. Sculpture mouvante et bruits. Souffles à l'appui. Les visages s'animent dans des directions variables, comme des pantins animés d'une démarche singulière et rythmée, voici les pingouins. Les mains croisées joliment sur le ventre. Sons de sumos, de combat entre le Dieu tonnerre "Takemikazuchi" et le dieu du vent "Takeminakata",d'animaux divers en ricochet ou canon. Telles des mécaniques, joueurs et animés de tempi, nos six danseurs habitent les percussions avec aisance et musicalité. Un porté pour contrer la pesanteur, des roulades et une chaine de corps au sol pour défier les alignements conventionnels. Jeux de pieds, d'aller et retour à quatre pattes. Tout est bon pour percuter, sonoriser l'espace en toute simplicité. Un chant jingle pour chorale et nos pingouins disparaissent, petites créatures en émoi.


Le concert "Only" prouve une fois de plus que le groupe des Percussions de Strasbourg, cherche, trouve et inaugure des formes musicales sans pareil.Un concert sans percussions et c'est la révolution de 1917 comme "Feu d'Artifice" le ballet de lumières sans danseur de Giacomo Balla et Stravinsky...

 

mercredi 21 février 2024

"Ca va bien se passer j'espère" : les trois coups du brigadier. Avis de Passage à l'acte de Robert Bouvier.

 


This is Robert Bouvier, ze directeur euh directOr of ze théâtre de... Newcastle !

« Robert : Je ne vais jamais faire illusion. Ils voient très bien que je suis le directeur du théâtre et non pas le prince Siegfried. Madame Huguenin a vraiment l’air déçue, elle se réjouissait tellement de voir le Lac des Cygnes. Pas sûr qu’elle reprenne un abonnement la saison prochaine. Essayons quelques pas chassés. Ça a l’air de mieux marcher… »

Robert, le directeur du théâtre, décide de monter sur scène en attendant l’arrivée de la compagnie retenue à la douane pour un problème de visa. Rien ne doit gâcher la première de ce spectacle tant attendu par son cher public. Fidèle public d’un théâtre qu’il dirige depuis plus de vingt ans, bravant courageusement les pannes de billetteries, les lubies d’artistes, l’inconstance des sponsors, les exigences des élus. Alors pas question de ne pas lever le rideau ce soir ! N’est-il pas acteur avant tout ?

Il rêvait d’accueillir la grande troupe de ballet du Kirov et le voici contraint d'être le Prince Siegfried dans le Lac des Cygnes, car ô malheur, la troupe est en retard et le directeur du théâtre se voit dans l'obligation de nous faire patienter: le temps d'une représentation fabriquée de toutes pièces devant nous. L'occasion de faire taire Tchaïkovski, d'assécher le Lac pour plonger dans son histoire personnelle d'apprenti comédien. Il n'y a pas d'eau dans la piscine et voilà Robert Bouvier dans un passage à l'acte pas simple. Auto fiction, autobiographie autosuffisance ou narcissisme? Dans un passage à tabac, le voici qui vitupère et démolit gentiment son univers, son monde d'investigation: de comédien, figurant et acteur de cinéma, il décrit, commente, ironise sur la gente artistique que pourtant il dévore des yeux. Son monde, celui de Gérard Philippe qu'il adule, son rêve jouer Lorenzaccio.. Il passe par tous les genres, les rôles, endosse une centaine de personnages célèbres qui ont accompagné sa carrière. Avec enthousiasme, sincérité et verve linguistique. 


Quelques jolis jeux de mots, des situations , répliques et réparties cocasses à propos des uns et des autres que l'on ne citera pas ici. Mis en scène par sa cousine, danseuse et chorégraphe de la "Nouvelle Danse en France" dans les années 1980, Joelle Bouvier, il arpente, sillonne le plateau, déambule, et s'adresse à nous naturel, quelque peu cabotin. Flagornerie et drôlerie pour ce "Directeur du Théâtre du Passage" à Neuchatel. Direction qu'il quittera en 2025 après de bons et loyaux services: servir et flatter les édiles, les spectateurs, la critique et tout le bataclan. Une vie de "chien" bien fertile et cocasse que la sienne. Un peu d'un autre temps cependant...Avis de passage à l'acte pour ce passeur de farces théâtrales et autres chausse- trappes acidulées. Ça s'est bien passé comme convenu et l'on passe au parler "plat" en Suisse avec son accent si délicat. En coulisse ça jase et le passage à niveau se referme sur ce pamphlet bien mené de main de maitre.

"Cette aventure avec Robert fut merveilleuse. Un moment de joie, de rires, de gravité aussi, mais toujours dans la douceur de notre tendresse. " Joelle Bouvier "Là encore le travail est très joyeux". 

À la ville, Robert Bouvier est directeur de théâtre, metteur en scène et acteur pour de vrai. À la scène, il manipule comme personne le récit éclaté, le regard croisé, la mise en abyme, l’humour décalé et l’autodérision dans une création inédite et croustillante qui passe sur le grill sa carrière artistique et les aléas d’un directeur toujours prêt à mouiller sa chemise pour que le spectacle continue… Alors ça va jouer !


Distribution

de Robert Bouvier, Joëlle Bouvier, Simon Romang Mise en scène Joëlle Bouvier, Simon Romang
Compagnie du Passage
, Neuchâtel (Suisse) Avec Robert Bouvier

Lumières Pascal Di Mito Musique et univers sonore Matthias Yannis Babey Musique originale Lucas Warin Costumes Faustine Brenier Décor et accessoires Yvan Schlatter Régie générale Pascal Di Mito Production et diffusion Sandrine Galtier-Gauthey Administration Danielle Junod

La Compagnie du Passage est subventionnée par le Service de la culture du Canton de Neuchâtel, la Direction de la culture de la ville de Neuchâtel, le Syndicat intercommunal du Théâtre régional de Neuchâtel.

Au TAPS SCALA jusqu'au 22 Février