mercredi 27 mars 2024

"Saigon" : une fresque bien "restaurée", des pleurs partagées, un huit clos territorial explosif !




Texte Caroline Guiela Nguyen avec l'ensemble de l'équipe artistique - Avec Caroline Arrouas, Dan Artus, Adeline Guillot, Thi Trúc Ly Huynh, Hoàng Son Lê, Phú Hau Nguyen, My Chau Nguyen thi, Pierric Plathier, Thi Thanh Thu Tô, Anh Tran Nghia, Hiep Tran Nghia -
Mise en scène Caroline Guiela Nguyen. 
Pour écrire et mettre en scène SAIGON, Caroline Guiela Nguyen a réuni des acteurs français, vietnamiens et français d’origine vietnamienne. Le décor est un restaurant vietnamien, qui se situe alternativement à Saïgon en 1956 - date des derniers départs des Français d'Indochine - et à Paris en 1996 - année où le gouvernement vietnamien a autorisé les gens ayant émigré à rentrer dans leur pays natal. Un lieu où les personnages se retrouvent pour manger, parler, chanter. Des trajectoires intimes qui se croisent, des histoires d’amour, de famille, d’amitiés et d’exil, prises dans le tourbillon de la grande Histoire.
C'est l'histoire d'une communauté, déchirée mais aussi unie, soudée qui plus de trois heures durant va nous tenir en haleine, en alarme; comme leur destin qui va au gré d'une actualité cruelle, sauvage, politique et économique, tragique. La guerre du Vietnam, va marquer à jamais les comportements, les amours de cette tribu, au creux d'un restaurant, le fief, le berceau de tant d'émotions, de péripéties, de drames. De joies aussi, mais plus rarement !
Un restaurant "vintage" aux couleurs vives, au mobilier d'époque 1956 puis dans le même jus en 19996. Rien n'a changé en apparence dans ce petit local singulier, typique de ces lieux "communs", un peu tous pareils qui accueille cette population d'exilés, de "fugitifs" en quête de leur être. Seule la lumière change selon les époques pour stigmatiser les ambiances, les états d'âme. Alice Duchange et Jérémie Papin pour s'atteler à la tâche de restituer atmosphère, espace géographique et notion de territoire délocalisé, déplacé.Douleurs et passions animent tous les personnages très attachants. De la mère possessive, au fils ingrat, de la "patronne" à tout son entourage au service c'est à des destinées frappées par l'histoire que l'on tombe en empathie. Les douze comédiens, aux accents des langues qui traversent la pièce: vietnamien, français, anglais dans un doux mélange, melting-pot de timbres métissés, de langage conjugués par les aléas de l'histoire, par cette dérive des territoires. Chacun se cherche  et tente de se profiler un personnage sur ses contrées mouvantes de l'histoire qui se déroule d'un continent à l'autre: Saigon, Phnom Pen,Ho Chi Min et Paris et son faubourg St Antoine.Chacun pour soi dans une cruauté singulière: ce soldat revenu du front qui exploite la naïveté de sa future compagne, ce mariage où personne ne vient et où seule une jeune femme comprend cette misère affective... Ce désert d'amour, cette absence de tendresse qui se révèle à travers les corps cabossés, les voix hésitantes, les langues diverses qui ne se comprennent pas: Babel, pour mieux désunifier ce qui dans l'exil aurait pu être de la solidarité, de l'entraide, du coude à coude.µ
On apprend beaucoup au fil des trois chapitres sur le sort des vietnamiens, incarnés par ceux qui portent l'histoire de ce grand chambardement ethnique, ces déracinements, cet exode, exil, qui cependant trouve refuge dans cette gargote où les mets rappellent les fragrances, saveurs et odeurs du pays perdu!
Un spectacle tendu, toute ouïe sollicitée par les tonalités, la musique de la langue et aussi les "tubes" bien français que s'approprient deux des personnages: Christophe et Sheila interprétés de façon très audacieuse et touchante par ces voix au timbre chuchoté, parfois à peine audibles.
Un pot de première pour mieux se faire croiser les êtres humains et le tour est joué: on a fait connaissance et débroussailler même les figures religieuses: oui, Bouda est un homme comme Jésus, alors pouquoi s'affronter, se battre, se haïr même au sein de la famille?
Le message est passé....

Au TNS jusqu'au 16 Novembre

mardi 26 mars 2024

"slowly, slowly… until the sun comes up" Ivana Müller / ORLA : j'ai fais un rêve...Ce qui nous re-lit...

 


Sauter dans le vide, explorer des mondes étranges, croiser les visages de la journée ou retrouver ceux que l’on croyait oubliés, enfouis sous le poids des années : voilà ce que nous faisons durant un tiers de nos existences, nous rêvons. Rêver, c’est une autre façon d’observer et d’expérimenter la vie, qui nous offre un champ de liberté radical. Aujourd’hui ou demain, ici ou ailleurs, tous les humains et même les autres animaux rêvent. Mais chacun·e dans l’intimité de son propre domaine onirique, avec ses peurs et ses plaisirs, ses doutes et ses surprises. Pourquoi ne pas, pour une fois, partager ces récits et les transformer en une expérience collective et potentiellement politique ? 


Dans un espace sans cesse en mouvement, fait de strates de tissus qui s’empilent comme différents espaces de sommeil, trois interprètes nous racontent leurs rêves qui, au fur et à mesure, deviennent les nôtres, avec fantaisie et liberté, laissant la place à notre imagination de se réparer et à notre corps de plonger dans un état doux.

 


"I have a dream..." Et nous aussi avec ces trois conteurs-magiciens redonnant vie et corps à leurs rêves qu'ils nous content devant nous installés en carré autour d'eux. En chaussettes moelleuse, bien calés dans un dispositif scénique très cosy, enveloppant. Car il s'agit ici d'enveloppe, de tissu, de bâche autant que de laie, tendue sur la scène comme un immense drap de lit froissé par les mouvements des corps en sommeil. "Comme on fait son lit, on se couche". Comme on fait des rêves, on voyage en leur compagnie. Du sol ils tirent de longs pans de tissus comme des prolongements de matière, des formes extraordinaires. Des nappes se forment au fur et à mesure de ces récits très intimes que chacun évoque à tour de rôle. Joignant toujours le geste à la parole en déroulant ces longues étoles tissées de rêves. Comme des strates aussi qui forment un palimpseste géologique de couches de mémoire ou d'inconscient. Une illustration de Jung et de ses révélations sur l'analyse des rêves... Les trois comédiens avec humour, tendresse et imagination fertile dressent une sorte d'inventaire méticuleux de récits de rêves encore tout chauds, vécus et partagés entre eux et pour nous. 


Collectivité témoin de leurs paroles qui ricochent, touchent émeuvent. Et le sol mouvant toujours se transformant en immense chapiteau terrien, froissé, foulé à l'envi. Les tissus enrobant les corps, reliant les uns aux autres comme des figures carnavalesques, un cheval de Troie enrubanné. Visions surréalistes garanties.Une toile noire se déplie pour mieux nous envahir, nous protéger et l'on anime cette tenture avec un jeu de tension-détente qui réjouit. Du quasi Annette Messager...Une manière de se joindre à eux , de participer à l'élaboration d'un rêve commun dans un non-lieu onirique. Les récits s'enchainent stupéfiants, absurdes, poétiques plein d'aveux d'inconscient, sans jugement-ou presque- des contenus qui s'en échappent. Les corps des trois comédiens comme des passeurs d'émotion, de fantaisie, d'irréel. Vecteurs, transporteurs en commun de fantasmes bien assumés. Un homme "mou", un chien plus qu'humain et tant d'autres acteurs de cette arène douce, tendre, énigmatique. Un voyage comme une immersion dans une mer tranquille pour mieux nous border, nous bercer pour passer des nuits intranquilles en toute sécurité. Draps foulés par les corps ou tendu au final. Défaits encore chauds de la présence des corps en sommeil. Chambres d'amour à la Bernard Faucon: 


Ou l'hotel de Sophie Calle

Ou le lit défait d'imogen cunningham...

Danse et mise en espace sur tapis bienveillant pour envol garanti vers des contrées inconnues. Un moment de grâce où l'on a du mal à quitter le "théâtre" singulier des événements qui se sont déroulés. Chambre d'amour telles celles de Aurions-nous fait un rêve? Au dessus de nous cinq néons font un toit ouvré qui nous protège....Comme cet escargot, pliage et enroulement du décor comme une botte de foin dans un paysage onirique, ou un habitacle transportable...


Ivana Müller
est une chorégraphe, metteuse en scène et autrice d’origine croate. À travers son travail (performances, installations, textes, vidéoconférences, audios, visites guidées…), elle repense la politique du spectacle et du spectaculaire, revisite le lieu de l’imaginaire, questionne la notion de « participation », le public étant souvent appelé à devenir performeur le temps d’une représentation, brisant ainsi la frontière entre la scène et le public. Depuis 2002, elle a créé une quinzaine de pièces de théâtre et de danse jouées en Europe, aux États-Unis et en Asie. Son travail expérimental, radical et formellement innovant exprime l’idée du mouvement et du corps, au cœur de ses préoccupations artistiques : questionner les normes et proposer les formes poétiques pour re-créer le commun. En 2021, elle présente Forces de la nature
dans le cadre du Temps fort Narrations du futur à Strasbourg.

Au Maillon jusqu'au 28 Mars

dimanche 24 mars 2024

Soirée d'ouverture du "Friejohr fer unseri sproch": chante comme le bec t'a poussé ! L'Ill eau de vie...Au fil du répertoire.

 


Le spectacle musical "L’Ill aux trésors - D’Wùnderìnsel ìn de Ill" vous propose d’aller à la rencontre des artistes qui ont fait battre le coeur de l’Alsace. Venez remonter le fil de I’Ill en vous laissant emporter par les courants… venez (re)découvrir les magnifiques trésors légués par Hans Arp, Cookie Dingler, Goethe, Abd Al Malik, Albert Matthis, Roger Siffer, Tomi Ungerer, René Egles, et bien d’autres… ainsi que les créations originales de Matskat en alsacien.

Germinal Alsacien, prarial..floréal républicains....

C'est une surprise que  cette soirée exceptionnelle de valorisation de la langue régionale, l'alsacien et de toutes les langues régionales! Qualité de la musique, des textes et compositions originales signées Matskat. Recherche sur le programme fourni qui tisse l'histoire de la chanson en alsacien dans une générosité inégalée. Cathy Bernecker en maitresse de cérémonie, madame Loyale, introduisant chaque morceau par un prologue en alsacien bordé d'une version française de bon aloi. Du chien, du tonus, de la verve pour ce verbe alsacien, sa syntaxe, son érudition qui font de ce "dialecte" un riche berceau de la culture du cru. Et quel cru! Cépages multiples pour des alliances remarquables: on y apprend que Léo Schnug peignait sur commande et en retour de trop bons verres de vin. Que Matthis le poète et d'autres inspirent les musiciens à l'envi. Clins d'oeil à tous ceux qui œuvrent pour magnifier une langue: ainsi "Noir Désir" avec son vent alsacien pour Roger Siffer, Cookie Dingler...Cahhy Bernecker entonne ce beau texte de Germain Muller sur les lavandières des bords de l'Ill avec charme et drôlerie. Le plus étonnant, les chansons de Hans Arp pour "Sophie" Taeuber: inédites et encore inconnues du "grand public". L'aspect très contemporain de cette soirée musicale ébouriffe, époustoufle et dépoussière le répertoire. La voix tendre ou incisive de Matsak envoute et magnifie les textes de  Christian Hahn entre autres. Un investissement majeur pour cette "formation" autour de la comédienne, du chanteur et des instrumentistes au top. La Wantzenau comme berceau et terre d'accueil de ce festival ludique, bon enfant et plein d'avenir concret pour revaloriser un patrimoine qui se ressource et trouve un nouvel ancrage très prometteur. Tradition, répertoire et modernité comme fer de lance. Avec de jolis éclairages et un très bon son pour nous éveiller toujours et enchanter...

Ce spectacle est produit par l’OLCA et créé par Matskat avec la complicité de Jean-Francois Untrau – pour les arrangements et certaines compositions - et Cathy Bernecker en conteuse et magicienne des mots.
 
Avec : Cathy Bernecker (chant), Christian Clua (guitare), Matskat (chant /violon/guitare), Gregory Ott (piano), Jean-François Untrau (basse) et Matthieu Zirn (batterie).
Au fil d'eau le 23 MARS

Au Fil d'Eau ce 23 Mars à la Wantzenau