mercredi 9 octobre 2024

"Une histoire dessinée de la danse": Laura Cappelle et Thomas Gilbert : Terpsichore bien croquée !

 


Danses guerrières, macabres, modernes, urbaines : de la Préhistoire au XXIe siècle, c’est toute la richesse de l’histoire de la danse qui est ici traduite par le dessin.

Andréa et Camille traversent les époques pour faire l’expérience dans leurs corps de l’évolution du mouvement. Entre désir de raffinement du geste et soif de nouveauté et d’expression de soi, leurs visions de la danse croisent le développement des techniques et du regard porté sur cet art en Occident. On y rencontre aussi bien Marie Taglioni, Loïe Fuller et Pina Bausch que des figures moins connues, de la mime romaine Galeria Copiola à Louis-Julien Clarchies, ancien esclave devenu danseur et chef d’orchestre sous Napoléon.

Alliant rigueur scientifique et puissance des traits, Laura Cappelle et Thomas Gilbert remettent ainsi en mouvement les traces de cet art éphémère.

mardi 8 octobre 2024

"Beretta 68": la grande lessive, "tambour" battant : coup de feu, pan pan sur le phallus.

 


Chaque jour, dans une étrange laverie désaffectée, un groupe de femmes se retrouve et se prépare au combat. Elles ont toutes lu le SCUM Manifesto de Valerie Solanas et comptent bien en appliquer le principe fondateur : tailler les hommes en pièces. L’histoire de cette féministe radicale américaine après sa tentative d’assassinat sur Andy Warhol en 1968 rencontre les voix de Virginie Despentes, Christiane Rochefort, Marcia Burnier, Jacqueline Sauvage, Maria del Carmen Garcia, du collectif Marthe et celles des huit créatrices de Beretta 68 qui ont toutes participé à l’écriture du spectacle. Une première création acérée et dangereuse qui interroge le droit à la violence des femmes et rappelle la puissance d’action du théâtre.

Un collectif pour dénoncer, énoncer les agressions de toutes sortes faites aux femmes de tout temps. Plus particulièrement au sein du groupe détenteur de l'ouvrage "SCUM Manifesto", la référence tout au long du spectacle de ces huit jeunes femmes, scénographes, metteuses en scène et comédiennes. C'est un "lavomatic", ce lieu où les ménagères traditionnelles allaient comme au lavoir, rendre leur linge propre qui devient, désaffecté, l'unité d'action et de lieu de ce travail collectif. Collectif de paroles, de recherches et d'attention très "attentionnée" au regard de la rébellion féminine. La violence est-elle solution, réplique, réponse à un état de fait?  La colère semble être le choix de la lutte, du combat: légitime défense, victime? Tout est lieu de discussion, de "soulèvement", de questionnement et l'on sort de salle, convaincu que les abeilles n'ont pas tort: évincer les bourdons de la ruche à la venue de l'automne, bouches devenues inutiles à nourrir..Manifeste matriarcal très bien incarné, autant en slam chanté que en dialogues ou textes joués, cet opus étrange et franc de collier interroge aux bons endroits. Une recette de cuisine où le poulet devient l'homme-ennemi à découper en morceau est truculente. On ne manque pas d'humour et ni de savoir-être ensemble même si chaque personnage ne fait pas l'unanimité dans ces positionnements politiques. Postures, attitudes et sensibilité au poing pour cette communauté, assemblée démocratique et conviviale qui "occupe" le plateau comme un forum, une agora de la parole libératrice. Elles ont du punch, de la verve et de la détermination et prennent la scène avec audace et engagement. Pas de langue de bois ni de figure de la Mère Denis dans cette lessive où Monsieur Propre ne gagne pas dans la blancheur faite aux femmes, petites filles modèles. Le combat est vif argent et Andy Warhol, caricature du mâle en mal d'identité est aussi un joli moment de théâtre.Valentine Lê et  ses consœurs , Jade Emmanuel en Valérie Solanas très convaincante. "Judith décapitant Holopherne" peinte par Artemisia Gentileschi serait l'illustration finale en décalage esthétique, certes, mais soulignant la richesse et sauvagerie du propos. La scénographie demeure très éloquente de cette diatribe.de "jeunesse" dont la valeur n'attend pas le nombre des années.

Au TNS jusqu'au 18 Octobre

Collectif FASP
[Conception, texte]
Collectif FASP et extraits du SCUM
Manifesto de Valerie Solanas
[Mise en scène et jeu]
Collectif FASP – Loïse Beauseigneur,
Léa Bonhomme, Jeanne Daniel-Nguyen,
Jade Emmanuel, Valentine Lê, Charlotte
Moussié, Manon Poirier, Manon Xardel
[Scénographie] Loïse Beauseigneur,
Valentine Lê, Charlotte Moussié [Costumes]
Léa Bonhomme, Jeanne Daniel-Nguyen,
Jade Emmanuel [Musique] Léa Bonhomme,
Valentine Lê, Manon Xardel [Lumière] Loïse
Beauseigneur, Charlotte Moussié
 

lundi 7 octobre 2024

"Nous ne cesserons pas"" et "Noces": Hélène Blackburn / Bruno Bouché : musique et danse au défit.

 

 


Nous ne cesserons pas
Des touches d’un clavier blanc et noir inlassablement gravies et descendues par les mains d’un pianiste virtuose, jaillit un rêve fait d’ombre et de lumière, dans lequel une échelle aux degrés infinis, dressée entre le ciel et la terre, invite l’humanité à s’élever, comme le font les anges.



Avec la recréation de sa pièce
Nous ne cesserons pas, Bruno Bouché réinvestit, sur la Sonate pour piano en si mineur de Liszt jouée par Tanguy de Williencourt, l’imaginaire symbolique et spirituel d’un épisode du Livre de la Genèse, au cours duquel Jacob a la vision dans son sommeil d’une échelle divine parcourue par des anges pour atteindre les cieux. 

Ils glissent sous le piano à queue pour s'introduire sur scène. Une femme apparait, tourbillonnante, pleine de ferveur et de musicalité. Ses tours sont amples, légers, naturels et tracés dans l'espace comme une esquisse fragile. Avec et autour d'elle, six danseurs qui portent son fantasme et l'accompagnent. En autant de figures très géométriques dans l'espace. Bruno Bouché détricote la danse, fait des ricochets, des échos en diagonales savamment orchestrées. Alors que la musique de Liszt égrène fantaisie, dramaturgie et éclats de sonorités divines. Des rangées bien maitrisées, des lignes et courbes à l'envi dans cette chorégraphie  en point de chainette, tricot, ricochets et rebonds. L'architecture des corps dressés pour une pyramide, allant à la conquête du ciel alors que l'échelle promise reste inaccessible étoile.Les rouages fonctionnent, les sculptures corporelles fusionnent avec les gestes mouvants. Le sol, comme léger appui aux évolutions spatiales des interprètes. Des vagues se profilent, mouvements de la musique comme leitmotiv. La douceur règne, l'immobilité prend soin des corps bruissants en suspension. L'éparpillement, les échappées belles en envolées épousent le lyrisme des notes du piano.Seule, la danseuse rêve d'une ascension impossible, le regard lointain...Julia Weiss étonnante, gracieuse, aérienne et très musicale.

Chorégraphie et scénographie Bruno Bouché Musique Franz Liszt Piano Tanguy de Williencourt Costumes Xavier Ronze Lumières Tom Klefstad Ballet de l'Opéra national du Rhin


Les Noces
Sous la clarté d’un lustre majestueux, des noces abstraites célèbrent l’effervescence et la fragilité d’une union, faites de promesses d’avenir et de multiples ruptures, au rythme obsédant de chants ancestraux, de pulsations organiques et de déflagrations telluriques.À ce désir d’élévation, Hélène Blackburn répond par un désir d’union avec une nouvelle création chorégraphique sur la musique magistrale des Noces de Stravinski, interprétée par les solistes de l’Opéra Studio, le Chœur de l’Opéra national du Rhin, quatre pianistes et les Percussions de Strasbourg. Un diptyque chorégraphique et musical puissant, où les énergies, les genres et les esthétiques se complètent et s’opposent.

Des nénuphars semblent flotter, longues robes étalées au sol: ils se meuvent comme des lianes ondoyantes, tapotent le sol, puis s'élèvent: longues robes blanches et jambes montées sur pointes. Alors qu'un homme  pénètre ce gynécée fébrile, dévoreur d'espace, en courses folles et effrénées. Il se fait prestigieux phénomène, gestes saccadés, angulaires, segmentés. Fébrile aux mouvements tectoniques, hachés, fracturés. Alors que virevoltent autour de lui ces nymphettes qui se transforment en danseuses de french cancan et de flamenco. Robes virevoltantes ou retroussées à l'envi. Un duo vient faire adage et la fête continue. Le propos est débridé et l'on ne parvient pas à saisir le récit ni la narration. Alors que la musique fait honneur au compositeur Stravinski dans une interprétation tonique des choeurs, percussions et orchestre. Côté chorégraphie, Stravinski, pas vraiment à la noce du tout...
chorégraphie et scénographie Hélène Blackburn Assistant à la chorégraphie Gianni Illiaquer Musique Igor Stravinski Costumes Xavier Ronze Lumières Tom Klefstad Direction musicale Hendrik Haas Piano Marija Aupy, Frédéric Calendreau, Maxime Georges, Tokiko Hosoya Soprano Alysia Hanshaw Mezzo-soprano Bernadette Johns Ténor Sangbae Choï Basse Pierre Gennaï Ballet de l'Opéra national du Rhin, Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin, Chœur de l’Opéra national du Rhin, Percussions de Strasbourg

A l'Opéra du Rhin jusqu'au 7 octobre