vendredi 14 mars 2025

Actuelles: "Gosses du béton": le radeau des travailleurs du sexe en boite

 


CINQ SOIRÉES DE LECTURES A ECOUTER, VOIR, SAVOURER

Actuelles est un temps fort proposé par le TAPS autour de l’écriture du théâtre d’aujourd’hui.

Cinq textes de théâtre actuel sont sélectionnés par les artistes associé·es au TAPS, Houaria Kaidari et Logan Person, et le comité de lecture du TAPS. Ces textes sont ensuite lus et mis en musique par des artistes de la région (comédien·nes, musicien·nes, directeur·trices de lecture) lors de cinq soirées uniques.Chaque soir, le public prend place au sein d’une scénographie qui privilégie la proximité avec les artistes, inventée par des étudiant·es de la Haute École des Arts du Rhin (HEAR).

La cuisinière Léonie Durr concocte des mises en bouche inspirées par les textes et dégustées à la fin du spectacle lors d’un échange entre le public, les auteurs et autrices et l’équipe artistique. Des étudiant·es en Arts de la scène composent les feuilles de salle distribuées aux spectateurs tandis que des étudiant·es en communication graphique de la HEAR réalisent des affiches exposées dans le hall du TAPS Laiterie.

 


Gosses du béton

Une nuit, le destin de Paolo bascule. Il rencontre Olga et Nathan dans la chaleur d’un club.Pendant plusieurs mois, iels l’initient à ce qu’il n’a jamais connu : la fête, la drogue, le travail du sexe. Et même l’amour.Derrière cette vie trépidante, la brûlure du béton subsiste pour chacun des trois.Que faire quand on appartient à cette génération désenchantée ?

On pénètre la salle de théâtre par un chemin , endroit dérobé ce qui se révèlera être l'intérieur d'un club , tamisé avec boule à facettes et un pilier-barre de pole-dance. Trois personnages sont juchés sur un podium qui nous attendent et nous convient à partager les destins croisés de travailleurs du sexe. Belle et généreuse idée et initiative que de révéler une heure durant à travers les dialogues et monologues, la vie de ceux qui triment avec leur corps à leur corps défendant pour payer leurs dépenses quotidiennes, pour s'en sortir mieux qu'en s’échinant à travailler à des taches subalternes déconsidérées.Car les mots très crus et nus, en cascade et inventaire qui démarrent la pièce en gestation de lecture et non de jeu sont sans concession à la morale et aux bonnes moeurs correctes. Indiscipline et langue de circonstance pour décrire une passe de sodomie où les adjectifs rivalisent de touches mouillées, suintantes, d'eau et de sueur, d'odeurs et de matières liées au sujet. Le corps au travail, comme un labeur éprouvant, organique, liquide, savoureux aussi car ici pas de jugement, mais des actes et des faits sont sur le carreau. Les lecteurs, tous trois très investis dans le rendu oral de la lecture rendent vivant, drôle ou dramatique, les postures de ces gens là qui servent un métier qui les tient, les prend et les absorbent.  

Rien n'est bétonné.

Un langage très codé qui n'a pas froid aux yeux dans une syntaxe qui colle au vocabulaire du moment, celui des téléphones portables, des codes et icônes, images et autres emogis du siècle.Véritable petite révolution du genre littéraire que ces pages signées de Thibaud Galis, jeune auteur du milieu, "trou normand"bien imbibé de tout caractère propre au clubbing, au mouvement queer et autres identités émergentes légitimes. On se sent peu à peu à l'aise, au bon endroit guidé par un connaisseur qui ne cache pas son jeu: du vécu, de ressenti authentique et pas de fioritures ni d'ornement pour poser et exposer l'univers impitoyable du sexe au travail. Sous la direction de lecture de Gaelle Axel Brun, Mécistée Rhéa, Noé Laussesdat, Quentin Brucker incarnent ce texte brûlant et flamboyant. Ça râpe âprement en se heurtant aux obstacles de la vie, de l'expérience, de la lutte et du combat pour être reconnu. La mer comme une métaphore de la liberté, de l'évasion, de l"échappée belle de l'univers du béton qui entoure nos trois complices de ce milieu là. Le sel de la vie, le gout de l'ailleurs pour échapper à l'enfermement. En marcel, et tricot de peau baillant, les corps se démènent et crient leur misère et désarroi autant qu'une certaine jubilation de la chair. Faire couple autrement, changer les relations, élargir son horizon, toujours pour embrasser le monde, tout le monde. Faire corps avec la mixité, la pluralité des postures, attitudes et positions dans la société.Sur un radeau de fortune, les voiles dépliées froissées au sol, un slip-string rouge en dentelles comme fagnon-drapeau, le navire vogue et file droit sur l'adelphité.dans une famille choisie, une communauté à l'écoute, ouverte et accueillante. Un "être ensemble" comme savent l'inventer les danseurs au delà de toute catégorie et critères. Ce n'est pas par hasard si Paolo nous accueille en dansant, seul et vient à la rencontre de comparses identiques.

Quant à la musique de  Nils Boyny, c'est un partage de sonorités de DJ averti et aguéri à créer des ambiances clubbing qui collent au sujet, bordent et ponctuent la dramaturgie avec justesse et pertinence. Une touche supplémentaire de gastronomie marine avec les bouchées doubles signées Léonie Durr, un shot culinaire aux embruns de sel de mer, d'ail et de textures potagères onctueuses. 

Un monde différent semble s'entrouvrir: faites passer le message..

Beau moment de lecture animé pilotée par Houaria Kaidari et Logan Person, illustré et mis en page par  Annaelle Marie et Mathieu Lefèvre (master arts de la scène et du spectacle vivant) Et sans oublier pour la scénographie Emma Vincens- de- Tapol, Mercédes Bocabeille, Alix Candel de la HEAR scénographie. La belle équipe de choc, joyeuse et inventive, créative et pleine déjà de talents multiples.   

Distribution Directrice de lecture : Gaëlle Axelbrun Musicien : Nils Boyny Comédien·nes : Mécistée Rhea, Noé Laussedat, Quentin Brucker Scénographes (HEAR) : Emma Vincens-de-Tapol, Mercedes Bocabeille, Alix Candel

 Au TAPS Laiterie le 14 Mars

"New Report on Giving Birt" : Wen Hui:f Quatre filles "uniques" dans Levant qui empire au soleil

 


Wen Hui
Living Dance Studio Chine 4 interprètes création 2023

New Report on Giving Birth

Co-fondatrice du Living dance Studio – première compagnie artistique indépendante chinoise, avec le réalisateur de documentaires Wu Wenguang –, à Pékin en 1995, Wen Hui danse, filme et archive le réel. Après I am 60, qui faisait revivre la créativité saisissante du cinéma féminin des années 1930 en mêlant ses combats à ceux d’aujourd’hui, elle reprend le flambeau du droit des femmes à disposer de leur propre corps. En 1999, la chorégraphe s’intéressait aux expériences d’accouchement de ses compatriotes (Report on Giving Birth). Un quart de siècle plus tard, elle poursuit sa critique de l’interventionnisme de l’empire du milieu qui, après avoir imposé la doctrine de l’enfant unique durant deux décennies, enjoint par la discrimination une natalité forte face au vieillissement de sa population. Interviews, documents sonores et vidéos servent de socle à une pièce montrant comment l’intime est politique. Quatre danseuses d’origines et de générations variées composent en direct une mosaïque de résistance au féminin.


Baluchons, fardeaux,ballots sur la tête, sur le ventre, comme autant de charges pour ces quatre femmes qui peu à peu investissent le plateau. Quatre interprètes d'âges différents dont Wen Huit qui crève l'écran tant son habilité gestuelle, sa souplesse et son allant sont de mise. Souffrance ou plaisir de porter un enfant, des souvenirs lourds de conséquence ou quoi d'autre qui saurait alourdir un destin, une vie de femme en Chine ou ailleurs. Vêtues sobrement, tuniques et short elles déclinent une gestuelle, fluide et puissante. L'une d'elle est tranchante comme sous l'effet de la colère. 


Un jeu de méli-mélo ou pêle-mêle transpose les différentes postures et attitudes sociales de la femme en général. Jeu subtil d'images qui changent alors que jambes et pieds surgissent derrière ce petit écran tendu comme sur un fil à linge. Plus tard c'est une immense toile qui se déploie. Tissées de carreaux où fleurs et tiges sont dessinées à l'orientale. 


Elles évoluent sur cette nouvelle piste alors que l'une d'entre elles tire le tissus pour en faire une rampe, une cascade enrobante et sécurisante. Bercements, balancements évoquent la maternité avec sensiblité, douceur. Des intermèdes fulgurants étayent le rythme de la pièce: joie et jubilation non dissimulées pour ces quatre femmes qui se racontent aussi par le verbe. Wen Hui vient à nous au devant de la scène et nous conte le vécu des femmes, les temps obscurs de l'enfant unique en Chine. Alors qu'à contrario aujourd'hui des trafics d'humains les enferment pour les faire accoucher de huit enfants au moins..Redoutable sort..Les baluchons deviennent objets de bataille de polochons radieux et nos femmes solaires se débattent avec hargne et fougue dans ce magma historique désastreux pour les corps  agressés, violentés. Quatre têtes tombent des cintres, images surdimentionnées des visages de nos heroines. Un beau travail vidéographique accompagne le spectacle: les baluchons deviennent sujet de reflets d'images à la Tony Oursler....

tony oursler


Et la danse de reprendre le dessus, enflammée, vive, habitée, du sol à l'espace aérien, de courses à petits pas comptés.Wen Hui accouche ici une pièce loin d'être embryonnaire et expulse une énergie au forceps qui touche et interroge notre rapport au corps féminin, politique et sociétal au plus profond d'une hystérie utérine joyeuse cependant qui propulse le propos bien plus loin qu'un simple manifeste de circonstance prosélytique. 
 

Au final c'est un joyeux déjeuner sur l'herbe sur fond de tentures toujours sur le fil à linge des travailleuses qui se termine en toute joyeuseté et bonhommie: il y a  de l'espoir dans le combat solidaire des générations de femmes bafouées.


Au Maillon jusqu'au15  Mars en coréalisation avec Pole Sud

jeudi 13 mars 2025

"Reconstitution" : Le procès de Bobigny , Émilie Rousset et Maya Boquet : guerrirères pour un chemin de croix en douze stations édifiantes

 


Reconstitution : Le procès de Bobigny
, Émilie Rousset et Maya Boquet

Automne 1972 : au tribunal de Bobigny comparaissent devant les juges Marie-Claire Chevalier, jeune fille de 16 ans, ayant choisi d’avorter après avoir été violée, et sa mère. Elles sont défendues par la célèbre avocate Gisèle Halimi, dans un procès devenu historique. Quelque 50 ans plus tard, Émilie Rousset et Maya Boquet se saisissent de cet évènement : pas de procès théâtralisé ici, mais un dispositif inédit fondé sur l’expérience intime de l’écoute. Sur douze postes répartis dans l’espace, entre lesquels les spectateur·rices se déplacent sur le grand plateau, les comédien·nes prêtent leur voix aux témoins d’hier et d’aujourd’hui. Une démarche originale, fondée sur la liberté de chacun·e à mener son propre chemin de compréhension et découvrir ce moment qui mit la question des droits des femmes au cœur du débat public. Une restitution actualisée, qui fait écho aux enjeux du présent sur l’avortement, entre reconnaissance constitutionnelle et remise en cause.
 

Surtout ne vous attendez pas à une reconstitution classique moulée à la louche d'un procès phare, ni à des épisodes d'audience commune des  plaidoiries, jugements, coups de théâtre et autres gadgets de mise en scène spectaculaire.. Alors ouvrez grand les oreilles et choisissez d'emblée votre première étape, au choix ou au hasard :un poste d'écoute parmi les douze propositions de jeu-lecture-conférence: comme les douze stations de la bible où efforts et concentration sont de mise pour épouser ce projet ambitieux: rendre justice à ce fameux procès en conviant témoignages, discours, pamphlets et réflexions politiques, philosophiques et sociologiques.En cercle, casques sur les oreilles, assis, les spectateurs bénéficient d'un subtil jeu de proximité de 15 acteurs-comédiens qui vont alterner les rôles, même sur un même sujet. Aussi pourrez vous suivre un interprète pour plusieurs tableaux ou tenter d'en fréquenter au moins de 8 à 12 selon le temps imparti de cette "représentation" et ouverture requise pour une écoute partagée d'une grande efficacité participative inédite. Les brouhahas et murmures entre les changements de poste et de séquence font de ce plateau de plain-pied une ruche bruissante où les échanges sont possibles. En avant pour un rendez-vous marathon avec Marielle Issartel, chef-monteuse et réalisatrice, auteure d'un film sur l'avortement: témoignages brûlants autant que comiques sur la facture d'un documentaire coup de poing qui fera date pour un tour de France clandestin Une réalité inédite qui vous entraine dans l'actualité du moment comme une porte ouverte sur le style et les intentions des autrices-metteuses en scène:Emilie Rousset et Maya Boquet s'y collent avec justesse, franchise et authenticité irréprochable. Ce sont les sources et la genèse de ce procès, de cette question phare du XXème siècle qui sont ici soulevées plutôt qu'une mise en scène cinématographique, documentaire ou interviews. Et c'est cela qui fait mouche et touche. 
 

Chaque comédien incarnant personnage, discours ou note d'intention liés au procès. On apprend plein de détails inédits, d'anecdotes et l'on rencontre et côtoie Camille Froidevaux-Metterie qui expose l'histoire de l'avortement et ses politiques changeantes.Claude Servant Schreiber et bien d'autres selon la disponibilité des groupes et le timing imparti. C'est l'histoire du planning familial, du MLAC, de tous les combats de proximité pour tenter de maintenir des conditions décentes d'avortement malgré les différences sociales des concernées. Femmes "concernées" qui choisissent leur vie et disposent de leur corps! Manifestes, aveux, déclaration, théories ou témoignages, le voyage d'un poste à l'autre est haletant et l'on quitte Delphine Seyrig ou Françoise Fabian, les privilégiées qui partent avorter à l'étranger pour retrouver quelques hommes : René Frydman, Jean Yves Le Naour...
 

Alors encore  un bon cours de Sciences Politiques ou d'ENA et vous pourrez intégrer l'Assemblée Nationale, le Parlement pour peaufiner votre connaissances sur le sujet. Simone de Beauvoir bien remise à sa place entre autre dans ce combat fraternel où les hommes d'aujourd'hui pourront aussi se faire une place. Une expérience immersive au coeur d'un fait de société qui concerne soignants et patientes pour réfléchir et infléchir des situations décryptées avec tac, humanité, humour aussi, à l'envi.Un chemin de croix salvateur et constructif pour une résurrection des corps féminins en toute objectivité. Femmes et toutes autres identités en figure de proue civiques et égalitaires..Laïcisme en leitmotiv et sans slogan ni prosélytisme. Du grand art sans écueil ni faille où la réflexion s'immisce toujours dans la diversité des choix et postures.Le tout encadré par les photographies mouvantes, images vidéo, effigies de corps sculptés dénudés dignes du statuaire du Jardin du Luxembourg: feuilles de vignes et autres attributs phalliques en tête de gondole.Un théâtre politique non embryonnaire.
 
Au Maillon jusqu'au 14 Mars
 
Dans le cadre de Temps fort Corps politiques 12 mars – 4 avril