jeudi 6 novembre 2025

"Barmanes": pilier de bar parallèle à terre...Kali, Perle et reine du zing

 


BARMANES est une immersion d’une journée dans le corps d’une femme, serveuse, en France.  

D’une commande à une autre, la journée défile, jusqu’à la fin de son service, qui ne va, en réalité, jamais se terminer. Elle aura le temps de passer un casting, de tomber amoureuse, de s’énerver, de donner sa démission, de faire la fête, et de servir toutes ses tables.

Au vacarme incessant du bistrot est opposée la sororité d’une équipe. Grâce à des interviews réalisées auprès de ses anciennes collègues, Marion porte une voix chorale qui poétise la charge mentale et les rapports dominants. Soutenue par une playlist RnB des années 80-90, ce poème documentaire résonne comme un hymne générationnel. 


Marion Bouquet nous accueille au pied de l'estrade de la Salle du Cercle de Bischheim... Nous souhaite une bonne soirée en sa compagnie et regagne le plateau.Et c'est "sur un plateau" qu"elle va nous confier une partie de sa nouvelle vie de jeune et fraiche émoulue barwoman: une petite heure durant on va partager sa vie, son temps et son emploi du temps, du matin au soir, alors que sur le fond de scène tous les mots pour désigner un bistrot, défilent à l'envi: guinguette ou troquet, buvette ou zing? Bref, ou brèves de comptoir, voici conter de sa propre personne les vies et aventures d'un métier peu souvent ausculté ni interrogé. Son expérience est livrée ici à vif oscillant entre récit, autobiographie ou simple évocation d'une destinée livrée au service des autres. Dans un décor peuplé de barriques de bière Perle qui seront tantôt tables, chaises et éléments de la dramaturgie.Elle y connait toutes sortes de situations qu'elle évoque et vit à fond, se donnant comme comédienne, autrice et metteure en scène au mieux de sa forme. Serveuse n'est pas un sacerdoce, ni une vocation: c'est pourtant de la joie et du bonheur qu'elle offre en vivant devant nous des rêves tout éclairés en bleu et une réalité teintée de jaune-orangé. Mathias Moritz en inventeur d'ambiances-lumières très aguerri.Les lumières la révèle dans l'expression des ses humeurs, de ses voeux les plus chers: peut-être celui d'être aimée par un client qui prétexte la mauvaise cuisson d'un onglet pour la voir revenir vers lui...La journée s'écoule, mouvementée autant que fastidieuse, le balais en main au petit matin, les "bonjours" sur tous les tons à une clientèle fidèle ou improbable. C'est ce sourire affable ou sincère, cette attitude bienveillante ou agacée toujours pourtant galvanisée par la course à la tâche à exécuter. Il y a du bonheur dans le jeu et la présence de Marion Bouquet, de l'engagement, de la malice.

avalokiteshvara déesse aux mille bras

C'est aussi Kali, la déesse aux mille bras à tout faire .Un joli morceau de karaoké pour séduire un client de rêve, des bras portant des kilos de bière chorégraphiés en angles et cassures gestuelles fort à propos. Cette chorégraphie signée Nawel Bounar lui sied à merveille, comme une signature corporelle, jeu de gestes du métier qui la transforme peut-être en robot à exploiter..Tout de noir vêtue, tablier au corps, notre "serveuse" se rebelle ou se retient, conte les humiliations ou le mépris de certains clients à son égard. Sans haine ni rage cependant: c'est le lot du métier: "j'arrive" toujours disponible et pourtant rongeant son frein.Ce sera une lettre de démission pourtant qui la révèle à elle-même pour changer de voie, de voix aussi pour ne plus se taire et s'abaisser. Un métier ici évoqué très sincèrement, justement et dans un certain humour ou les courses de garçons de café sont remportées par des femmes! Une aventure scénique à partager avec l'enthousiasme de la belle équipe qui a bordé et accompagné, porté ce projet collectif pour donner naissance à ce "solo" fraichement sorti à qui on prédit un bel avenir: on passe la commande et le message: l'addition sera très digeste et on y retournera . 


Distribution :

Ecriture, mise en scène, interprétation – Marion Bouquet 

Dramaturgie et complicité artistique : Giuseppina Comito 

Scénographie et régie plateau: Alice Girardet 

Chorégraphie : Nawel Bounar 

Création sonore : Ocey

Création lumières : Mathias Moritz 

Co-production : Espace 110 – scène conventionnée d'intérêt national d'Illzach ; La Coupole de Saint-Louis, le Diapason de Vendenheim 

A Bischheim salle du cercle le 6 Novembre 

Le barman, dit également bartender – au féminin barmaid ou barwoman – est un travailleur polyvalent qui accueille la clientèle du bar, prépare et effectue le service des boissons chaudes, fraîches, simples ou composées (cocktails), ainsi que des mets simples voire des snacks, des sandwichs ou et des crèmes glacées. 

mercredi 5 novembre 2025

"Cortex /Dyptique": folie douce et transport en commun inégalés

 


Seuls les fous et les solitaires peuvent se permettre d’être eux-mêmes

« Ça me dérange pas d’être folle, tu sais Michel. Au moins faire une bonne vieille crise de tictacboum, ça occupe le cortex. Au moins ça fait qu’il se passe quelque chose, le réseau de neurones s’active, il y a des étincelles. Tu sais, j’ai l’impression que tout le monde est heureux, sauf moi, et toi. »« Notez qu’un rien pourrait me délivrer, une goutte d’alcool brut, une main pour le bal… et je serais fada fondue frappée.et pousserais les limites et le bouchon…Et allez !! On débouche ! On pétille dans le sens du plafond !Hissez le barjo qu’on rigole,Pour un rien ! Pour cette vie risible et dingue ! »


Il y a Elsie, seule dans la maison de sa mère, qui cause avec un bouquin. Et au fond du bus, il y a ce voyageur mental, égaré dans ses divagations intérieures. Parce qu’un épisode psychotique vibrant et poétique transcende parfois la folie ordinaire de ces personnages atypiques et attachants…Deux textes en miroir écrits tout spécialement pour les acteurs Pauline Leurent et Logan Person par les autrices Catherine Monin et Mélie Néel. Mise en scène la saison dernière avec l’équipe artistique du TAPS, cette création inédite jette un pont entre l’écriture et la scène, entre les artistes et les techniciens, entre un théâtre et son public.


Le public est disposé en miroir, se fait face et l'on observe son semblable comme faisant partie du jeu: je "regarde" l'autre alors que déjà sur la scène de plain-pied une femme se concentre sur ce qui repose à ses pieds.e Le sol est jonché d'objets comme momifiés ou calcinés comme une installation de Kounellis: restes, fragments ou reliefs d'une vie: celle de la mère de Elsie, une femme esseulée perdue dans cet espace désertifié où les souvenirs sont omniprésents. Elle, c'est Pauline Leurent, forte personnalité portant un texte magnifique où les dialogues se confondent avec le jeu d'un autre personnage blessé par la vie. Logan Person sera son compagnon de route, le révélateur de son existence qu'elle crie et qui se déchire au fur et à mesure que le temps du jeu s'écoule. Il est aussi Jeff, l'homme rencontré dans le fond d'un bistrot qui lui tiendra la tête hors de l'eau. Car elle est bien "hors sol" déboussolée, égarée et perdue malgré des apparences séductrices et attrayantes. Les destins se croisent, se calquent, se chevauchent dans une mise en scène très rythmée où les "danettes" se dévorent  pour déstocker les souvenirs. Un grand moment de théâtre où les deux comédiens portent et s'emparent du texte, riche, dense et déroutant. Seconde partie de ce "Cortex" annoncé, l'incarnation de deux personnages dont cet homme qui dort debout dans un bus jusqu'à son terminus. Entre temps un cerveau bien vivant, chatoyant, coloré affrontant l'hiver glacé lui lance des boules de neige pour le réveiller à sa conscience. Il est désemparé, fragile face à cette force de la science qui dicte sous sa moumoute protectrice, les pensées et actes scientifiques d'une potentielle guérison, prise en charge de sa léthargie. Une fois de plus Pauline Laurent surprend, épate et séduit dans un jeu, une élocution et des excès de voix fulgurants. La rage ou la férocité de ses convictions la poussant à fond dans une interprétation physique, charnelle et puissante. Face à elle Logan Person se réfugie dans un jeu habile et subtil de la perte d'identité et de l'absence d'altérité face à ce lion rugissant. Dans un frigidaire dont le contenu sera son corps recroquevillé comme relique oubliée.


"Fermer le livre" de Mélie Néel et "Sous la route" de Catherine Monin donnent lieu à une création théâtrale de toute beauté et grandeur, plongeant au coeur d'un monde de folie, de déséquilibre et de déplacement des corps, exemplaire. Olivier Chapelet, chirurgien et soignant de ces âmes en déroute sur des sentiers jonchés de feuilles volantes ou d'objets mystifiés à la dimension plastique et esthétique fort singulière.

 

Textes Fermer le livre de Mélie Néel / Sous la route de Catherine Monin

Mise en scène Olivier Chapelet Avec Pauline Leurent et Logan Person


Au TAPS Laiterie jusqu'au 7 Novembre

"Le Poisson qui vivait dans les arbres" Sylvain Riéjou & Hervé Walbecq felin pour l'autre. Feuille volante, guide et inspiratrice d'une balade bucolique et aquatique

 


Hervé et Yoann sont deux amis qui aiment les promenades tranquilles… Observer les insectes, écouter les oiseaux, sentir le vent. Mais un jour, ils se lancent dans une quête fabuleuse : retrouver le poisson qui vit dans les arbres… Petits et grands sont invités à les suivre dans un univers visuel projeté sur grand écran, comme un livre ouvert devenu vivant. Entre dessin-animé, danse et jeu d’acteur, les deux complices explorent un monde peuplé d’animaux réels ou imaginaires. Le spectacle est né d’une amitié et d’une expérience partagée pendant le confinement : le chorégraphe Sylvain Riéjou a appris, aux côtés de l’auteur-dessinateur Hervé Walbecq, à observer les animaux autrement, à dialoguer avec eux par le corps, l’écoute et l’attention — un langage proche de la danse. Cette première collaboration artistique, inspirée du recueil de nouvelles J’attends les tritons (Éd. La Joie de lire, 2024) d’Hervé Walbecq, fait surgir une fable joyeuse et sensible où le mouvement devient un outil de lien, de jeu et d’amitié.

 

L'animation, le mouvement, le graphisme font ici se rejoindre deux artistes du rythme et du mouvement. De l'espace scénique aussi qui se transforme en écran de nos rêves, en forêt, ruisseau et autre paysage au gré des aventures de deux compères vêtus de short et polos noirs, pieds nus, en quête d'aventures rocambolesques. C'est une feuille volante qui sera leur guide, leur mentor et qu'ils tenteront de suivre malgré les obstacles: autant d'épreuves salvatrices qui les conduiront dans des univers, tels une caverne retentissante de gouttes d'eau, une forêt accueillante, les rives d'un ruisseau...Ce sont les dessins, tracés calligraphiques en noir et blanc qui évoluent sur la toile de fond: paysages changeants au cours de leur périple. Ils suivent ces tracés au millimètre près, synchrones et en osmose. Leurs gestes accompagnent, précédent ou annoncent ces volutes alors que les images défilent. En apesanteur comme leurs pas qui absorbent les bruits du sol, les feuilles mortes qui crissent sous leur pas. La synchronisation est parfaite, les bonds résonnent, les coups sur la tête aussi et c'est magique. Un pas de deux , Lac des canards classique fait office de duo désopilant: l'un est lyrique, l'autre, le ravi de la crèche, naïf et maladroit vaut son pesant d'or. C'est Hervé Walbecq qui danse avec ses images comme le faisait Montalvo/ Hervieux ou Decouflé et les surprises vont bon train. La danse est ajustée, simple et modeste, aux accents de folklore ou de rythmes martiaux. En silhouettes noires découpées ou dans des ambiances lumière recherchées.Ils sont tendres et émouvants, à la poursuite de cette feuille légère qui les conduit au pays des merveilles. Modestement, les deux artistes savent enchanter et séduire un joli, public attentif, captivé par cette alliance du virtuel et du concret. Qui dirige qui, qui se laisse guider ou intervient pour brouiller des pistes toutes tracées.. Joli voyage que ce "chante-danse" comme Prévert aurait su le faire pour ses "chante-fables" ou "chante-fleurs". Sylvain Riéjou à l'écoute de la nature et du corps dansant, vision sylvestre bucolique de l'univers qui nous construit dans nos évolutions.

 

Conception : Sylvain Riéjou et Hervé Walbecq
Interprétation : Hervé Walbecq et Yoann Hourcade
Regard extérieur : Jeanne Lepers
Dessins : Hervé Walbecq
Création et animations vidéo : David Heidelberger  

A Pole Sud les 4 et 5 Novembre