samedi 13 décembre 2025

La Magnificité , Collectif GREMAUD/GURTNER/BOVAY : du ballet et de la balayette.....Cou de balai sur guéridon!


 Dans un espace nu et blanc, équipé d’une poignée d’accessoires – un balai, une table, des post-it, une brosse, un seau en plastique... – trois figures non identifiées expérimentent avec un plaisir non dissimulé le « faire ensemble ». Tour à tour participant·es d’un jeu de société, animateurs et animatrices de radio, artistes de stand-up lourdingues, musicien·nes dans un groupe de rock, il et elles sont les protagonistes sympathiques de ces tentatives sans cesse répétées de parvenir à ses fins, si modestes soient-elles. Dans cette collection de saynètes aux accents burlesques, Tiphanie Bovay-Klameth, Michèle Gurtner et François Gremaud traquent le sublime dans le petit rien et célèbrent la « magnificité » du dérisoire, à l’heure où tentent tous les renoncements. Jouant avec les codes sans jamais tomber dans la parodie, à la frontière du sens et du non-sens, les trois artistes essaient encore et toujours : on y croit on y croit on y croit... et parce qu’ils et elles y croient, on y croit nous aussi, à ce bouillonnement savamment orchestré.


Grand ménage pour méninges à trois, coup de balai et chevelure en brosse, c'est du pain béni que cette offrande sur tabula rasa, petite cérémonie  en une dizaine d'actes, saynètes joviales et réjouissantes. Un trio ou un triolet? Trois notes dans deux mesures...pour mieux condenser les effets de manches qu'ils n'ont pas..Trois chaises pour accueillir leurs postérieurs toujours debout sur la brèche, sur le fil de funambules pouvant toujours basculer côté cour ou jardin pour le meilleur. Trois larrons, escogriffes débonnaires s'ingénient à croquer le monde dérisoire et futile de nos us et coutumes. Trois compères aux physiques anodins mais pas vraiment. Tableau de farces et attrapes, jeu de massacre ou de foire, allez savoir car tout va bon train.


On a le temps de respirer ou soupirer, l'instant d'un entremets, d'une pause, arrêt sur image volontaire où ils suspendent leurs souffles, puis passent à autre chose. Du coq à l'âme sans transition, fondu au noir pour passer derrière le miroir, cette paroi qui nous sépare de leur manigances.Stand-up à la Vanhoenacker satirique ou comique des Trois Baudets, au petit cabaret insolite, on se marre discrètement ou ouvertement: question de pudeur quand on s'identifie allègrement à l'un ou l'autre. Ils sont accessibles, drôles, folâtres et enjoués, malins et perspicaces, un peu nigaud et naïf parfois. Mais toujours sur le pied de guerre, balai en main, porte manteau-clarinette, balayette -guitare. Les objets sont détournés, simples acteurs de l'action, esquissant des concepts ou des idées pour mieux rebondir, ricocher d'un sketch à un autre. La voix de son maitre pour la radio, les vedettes de show bis dérisoires qui sont "malades" et le clament haut et court!Que la vie est palpitante et pleine de rebonds futiles pour ce trèfle à trois feuilles qui déverse bonhomie et empathie sans vergogne.Alors on rigole, on s'étonne, on navigue en bonne compagnie de ces pinces Monseigneur sans rire et sans reproche. Ca donne envie de chroniquer tôt le matin à la radio pour réveiller les populations laborieuses ou faire philosopher sans Pépin la gente boboiste.Cordiales salutations distinguées à cet opus partagé de bonne humeur et sans chichi ni falbalas, hormis ces costumes prêts à porter  le fardeau léger de notre humaine condition. 


A vos marques, prêts, partez pour une tournée vertigineuse à portée de main. De maitre à danser, les claquettes irlandaises comme Chaplin ou Françoise et Dominique Dupuy, Merce Cunningham à leurs débuts! Tous en cène pour ce partage , festin ludique et onirique, les pieds bien sur terre . On trinque à leur santé et l'on va s'en jeter un derrière le zinc inoxydable comme eux,galvanisantes brèves de comptoir à l'appui. François Gremaud, Tiphanie  Bovay-Klameth, Michèle Gurtner comme dans notre bonne "Choucrouterie" si elle était suisse!

 Au Maillon Paysage 10 jours avec François Gremaud 12 – 13 décembre 2025

 photos © Dorothée Thébert Filliger

 

vendredi 12 décembre 2025

"Hansel et Gretel" de Engelbert Humperdinck: du bon pain tres épicé....Corsé, révélateur de pratiques insoupçonnées ....


 Hansel et sa petite sœur Gretel ne manquent ni de chansons ni de danses pour tromper la faim qui leur tord le ventre, chasser le désespoir qui les guette et adoucir les corvées qui les épuisent. Leurs joyeuses chamailleries ne sont cependant pas toujours du goût de leurs parents que la misère a beaucoup abîmés. Une insignifiante histoire de lait renversé, et les voilà chassés hors de la maison par leur mère. Livrés à eux-mêmes au milieu des bois où les apparences sont souvent trompeuses, ils vont être tentés par un piège des plus attrayants, concocté par une stupéfiante créature, passée maîtresse dans l’art des artifices et de la séduction. Son péché mignon ? Elle raffole de la chair fraîche et tendre des enfants encore innocents…


Traditionnellement présenté à Noël sur les scènes allemandes, ce conte musical inspiré par l’une des histoires les plus célèbres des frères Grimm enchante petits et grands outre-Rhin depuis plus d’un siècle. Engelbert Humperdinck y déploie avec un sens inné du merveilleux une partition à la fois opulente et subtile, où d’authentiques chansons populaires croisent des leitmotive wagnériens et de magnifiques envolées lyriques. Présenté devant un public virtuel durant l’hiver 2020, le spectacle mis en scène par Pierre-Emmanuel Rousseau renonce au folklore de la maison en pain d’épices pour renouer avec l’esprit de cruauté du conte original, incarné ici par une « sorcière » pleine de surprises. Un regard renouvelé porté sur un grand classique confié au chef Christoph Koncz.
 

On aurait pu s'attendre à une version enchantée, naïve ou tendre d'une légende gourmande d'un conte de fée mythique et enchanteur...C'est tout l'inverse que nous propose Pierre Emmanuel Rousseau dans ce spectacle de fin d'année, loin des poncifs du genre divertissement de fêtes! 


Le premier tableau nous invite sur un terrain vague jonché d'immondices, d'un fatras de reliefs périmés, de désordre et de pauvreté. Une caravane défoncée pour habitacle et refuge de deux enfants, unis dans le paupérisme et l'insalubrité. Pourtant, ils chantent le désir et la vie, l'optimisme et le réconfort de cette fraternité. Enfants abandonnés, laissés pour "conte" compte  par des parents absents? Le jeu plutôt réjouissant des deux chanteuses nous plonge dans l'histoire qui s'avèrera cruelle et démoniaque de deux pauvres hères livrés à eux-même. Rien de réjouissant, ni de gourmand, ni de sucre d'orge dans cette version non expurgée du conte des frères Grimm. Tout prend sens à l'apparition de la Sorcière, être androgyne ou travesti, créature hybride sans foi ni loi, qui ne songe qu'à capturer les deux proies de ses désirs gloutons et furieux, avide de dévorer comme un ogre ces proies faciles et dociles. Terrifiante interprétation sur le vorace, le boulimique, le compulsif de désirs cruels et mortifères. Ogre comme à nulle pareille, cette sorcière est magnétique et envoutante, et sème la panique autant que la futilité dans ce monde loin d'être féerique. Le décor, les espaces dévolus à ce récit irrévocable en diable fonctionne comme une machine à broyer les destins. Portes tournantes, cages de prisonnier, otage de ce monstre déchiré par la convoitise et les interdits. On songe au caractère "pédophile" de ce personnage , violent, coupable d'actes et de pensées perverses et indociles. On est ému et terrifié par cet aspect non dissimulé d'une histoire trop souvent évoquée à l'eau de rose et pleine de gourmandise. Pas de tuiles en pain d'épices ici mais un récit corsé des us et coutumes des puissants et des impulsifs prédateurs. Dénoncer à travers musique, danse et chant les affres de la perversion, voici un parti pris fort décapant qui plonge dans la véracité des pseudos "contes de fées": la psychanalyse est de bon ton et résonne aux problématiques d'aujourd'hui sur le droit des enfants et la protection de leur existence fragilisée par les pratiques d'adultes abusifs. Les artistes, chanteurs, danseurs y mettent toute leur énergie, leur humour aussi dans des airs, des chorégraphies de bon aloi. La foret se transforme en "the witch palace" où tout est illusion et artifice.Cage aux folles divagations, leçon de danse et autres glissements sémantiques du récit non édulcoré!Sur une partition qui frise les plus grands, de Mahler à Wagner, les interprètes naviguent sans heurt et nous entrainent dans cette passionnante version très corsée, sans fard, épicée aux fragrances d'une cruauté édifiante, dévoilée dans le vif du sujet. Tous au diapason, Julietta Aleksanvan à la voix pleine et puissante à la dimension de la sensualité et à la force de la musique. La chorégraphie se glisse dans les entremets musicaux avec bonhommie, grâce et futilité des poses, gestes et attitudes de cabaret bigarré. On y fait la fête autant que l'on y danse en cadence sur des airs légers et virevoltants. Les chanteurs investis dans cette mise en espace pour servir un récit palpitant débordant d'ingéniosité .Les costumes sont ravissants, rutilants et évoquent cette parfaite interprétation du "joli", naïf, caché dans des atours féeriques. Une psychanalyse des contes de fée comme au temps de Bruno Bettelheim et des révélations fouillées faisaient déjà surgir la monstruosité des penchants humains.... 

Direction musicale Christoph Koncz Mise en scène, décors et costumes Pierre-Emmanuel Rousseau Lumières Gilles Gentner Chorégraphie Pierre-Émile Lemieux-Venne Maîtrise de l’Opéra national du Rhin, Orchestre national de Mulhouse

Hansel Patricia Nolz Gretel Julietta Aleksanyan Peter Damien Gastl Gertrud Catherine Hunold La Sorcière Spencer Lang Le Marchand de sable, la Fée rosée Louisa Stirland

A l'Opéra du Rhin du 7 au 11 Janvier 

photos clara beck 

 

 

jeudi 11 décembre 2025

Pièce sans acteur(s) , François Gremaud et Victor Lenoble : en attendant l'absence...Deux parturiantes sous maieutique.


 On connaît le théâtre sans décors, sans costumes, fait seulement de la présence humaine qui habite le plateau. Avec Pièce sans acteur(s), François Gremaud et Victor Lenoble poussent l’expérience plus loin encore : plus rien sur la scène désormais que deux hautes enceintes à cour et à jardin, d’où s’élèvent une voix, puis deux, de la musique. De quoi parle-t-on ? Des comédiens eux-mêmes, jouant une autre pièce, ailleurs, bien réelle, elle (ou pas ?). De poules, de ballet, de Goethe, d’une biche qui entrerait soudain en scène... et on se surprend à ressentir cette puissance des mots à faire émerger mentalement tout un monde. Mais d’où viennent ces voix, qui dialoguent si spontanément apparemment ? Sont-elles enregistrées ? Dans ce minimalisme à haute teneur poétique, c’est du théâtre qu’il sera question finalement, de ses artifices et de ses dissimulations, du plaisir qu’il procure, lorsqu’il redouble le monde dans ses moindres détails ou lorsqu’il est réduit à son plus simple appareil.


Il y a eu des pièces sans danseurs dès 1917 avec "Feux d'artifice" de Giacomo Balla, voici une pièce sans comédien... Il y a eu des jours de "relâches" sans relâche mais avec "entr'acte" du temps de Picabia, Clair,Satie et Borlin pour l'opus "Relâche" des Ballets Suédois


..Voici une pièce de jeu sans pion, ni roi, ni reine mais avec des diagonales de fous..Deux enceintes sur scène: c'est pas une rave party avec ses murs d'immenses enceintes, ni celles de Pierre Henry pour ses sculptures sonres.amoncellement de hauts-parleurs, empilés tels les robots de Nam June Paik...Deux personnages immobiles, figés bien ancrés sur le plateau nu. Des mots sourdent de "la bouche" de chacune des enceintes. Ce sont d'abord ceux de Victor Lenoble boulanger Bio reconverti qui nous raconte la genèse de l’expérimentation: donner la parole puis le son puis les deux simultanément à ces colonnes, totems muets et statiques. Et ça marche: peu à peu, les deux enceintes prennent vie, accouchent à tour de rôle comme des acteurs dans leurs rôles respectifs. Les deux auteurs comme des écrivains confiant leur textes à ces bouches bées. Au tour de François de s'exprimer, de dire son avis et de faire avancer le schmilblick..

 


Face à nous, tout semble s'animer et si une biche vient bientôt faire partie du voyage, c'est aussi désincarnée, absente, arlésienne diaphane, spectre bienveillant en rupture avec la chair. C'est un leurre et tout se renforce par une mise en abime souhaitée par les acteurs virtuels. Faire une pièce qui raconte celle ci mais en chair et en os. Alors pourquoi pas s'y atteler et nous montrer ces deux protagonistes sur scène, costumés en enceinte. La maïeutique semble opérer et l'on imagine le tableau vivant et désopilant de ce show hors pair. Un gros travail pour le spectateur, obligé de se faire son film avec images et humour. Beaucoup de tendresse dans ce dialogue entre machine, robot bien bâti comme de sculptures sonores. Rien d'autres que leur présence habitée par l'absence des comédiens: absurde en diable à la Ionesco, une petite heure durant, le piège fonctionne jusqu'au coup de théâtre final.


Il y a bien un faune dans la cage et un humain dans l'autre habitacle. Après une description d'une séquence de "L’après-midi d'un faune" de Nijinsky/ Roerich/Debussy suite à une panne de courant nous ramenant dans le silence et l'obscurité totale. 


C'est bluffant et plein de fausses routes, de leurres, de farces et attrapes de bon gout.On image les nymphettes à la Duncan virevolter auteur du faune -comme Charlot dans son film "une idylle au champ"- alors que rien ne se passe excepté dans notre imagination. Alors à quoi bon se flageller et mettre en place des dispositifs lourds et encombrants, alors que l'imagination peut faire le reste! Un musicien par pupitre suffirait pour l'orchestre!Coup de théâtre final quand les deux auteurs-comédiens-metteurs en scène sortent des cages des enceintes...Les créatures ainsi évacuées et engendrées sont bien de beaux bébés réels. La maïeutique a opéré et longue vie à cet opus et à celui qui n'aura jamais lieu: le récit par deux acteurs de ce que nous venons de voir! Les coquins! Le "Theâtre et son double" d'Antonin Artaud en filigrane, sur la perte et la vacuité...Deux enceintes, "une porte et un soupir", on ira loin...Et ce sera le "début" de la fin!

Au Maillon les 9 et 10 Décembre