mercredi 20 juillet 2016

Montpellier Danse: 36 ème édition: créer malgré tout!

Une édition plongée dans l'actualité et ses dérives qui questionne toujours les continents, leurs cultures, leurs us et coutumes, leur altérité
Jean Paul Montanari au cœur du débat politique et chorégraphique prend son bâton de pèlerin et rend visite à la création contemporaine avec entrain, obsession et vigilance: une édition qui lui ressemble: éclectique et magnétique.

"Para que o ceu nao caia" pour que le ciel ne tombe pas: couleurs café!


Lia Rodrigues nous entraîne sur le plateau du Corum, Opéra Berlioz pour un échange singulier, une proximité troublante avec les danseurs de sa compagnie: espace perturbé donc où le public est sur scène, en petite jauge
Des danseurs apparaissent et forment une frise, sculptures vivantes, modelées, éclairées, révélées par la lumière.Silences, concentration, le public, debout, regarde, observe, scrute le plateau Une délicieuse fragrance de café envahit l'atmosphère: les danseurs viennent de s'en couvrir le corps, comme des travailleurs, immergés dans la poussière de la matière .Esclaves badigeonnés de la terre de leurs aïeux, travailleurs de l'ombre d'un Brésil à la Salgado?
Les regards s'échangent, prostrés, lors de leur passage à travers le public mal à l'aise .Emotion de cette évocation de la castration de la liberté, des corps voués au martyr du travail forcé.La nudité renforce cette fragilité, puis chacun se relève et scande en collectif des rythmes lancinants, hypnotiques, à répétition, à l'unisson.Transe, danse chorale amazonienne  digne du musée du Quai Branly dédié aussi à la conservation des ethnies en mouvements.
Traces de corps et de pas au sol, empreintes, dessins, œuvres d'art aborigènes ou art premier sur le passage des interprètes Ils déposent leur marque, signent leur existence, la gravent dans la terre. Des petit tas de curcuma s'accumulent, égrenés de ci de là, touches parfumées et lumineuses
Le calme revient peu à peu après ces cris et reptations, toujours dans la semi- obscurité et la pudeur;
Sous le ciel ou dans la terre, la danse est matière , phœnix et divination.

"The dead live on for they appear to living in dreams": du passé ne faisons pas table rase!


Les morts continuent à vivre, car ils apparaissent aux vivants, tel est le credo de Hooman Sharifi pour cette ode à la vie donnée à l'Opéra Comédie de Montpellier
Des origines, de l'identité, il sera question pour cet iranien qui pense, rêve et crée à partir de ses origines en déplaçant le nationalisme vers l'universel
Un solo en compagnie de ses trois musiciens qui se jouent du sujet en malaxant sons et références de musique à foison. L'histoire est sociale et humaine et il déborde de générosité à travers le prisme de son corps massif et rebondi, chaleureux, partageux Des chutes vertigineuses dans sa danse, de l'humour, une présence singulière, pétrie de bonhomie, le tout dans une semi obscurité mystérieuse.
 "Impure Compagny" berce son projet avec conviction et engagement et l'on ne peur qu'y souscrire!

"Figure a Sea":la mer qu'on voit danser!


Le Cullbergbaletten et son directeur artistique Gabriel Smeets collabore avec Deborah Hay pour cette évocation de la mer, figure ouvrant la danse vers l'infini Une figure incontournable de la danse d'aujourd'hui pour évoquer les possibilités multiples et infinies du geste chez les danseurs
Un mouvement sans fin sur une musique de Laurie Anderson, au cœur du Théâtre de l'Agora, en plein, en plein ciel, dans l'infinitude de l'espace et des astres
17 danseurs traversent le plateau, s'immobilisent, se fondent dans l'espace ou se perchent au creu de l'architecture en niveau de ce creuset magique.Comme des électrons libres, même avant le "lever de rideau"; des caractéristiques de costumes forment de petites cellule familiales: shorts, chemises, noires, grises, sobres et simples. Éparpillements des propositions chorégraphiques, mouvements singuliers, griffé Déborah Hay et de l'humour peut aussi surgir de l'abstraction!
Arrêt sur image, focale sur un danseur immobile, le spectateur se tisse sa narration visuelle et la magie magnétique du spectacle opère.Unisson ou couples, groupe ou singularité, le collectif se déploie avec aisance, grâce dans la linéarité, la continuité
Dessiner la mer et son étendue incommensurable comme les échos et résonance de la danse à travers les corps de ceux qui dansent et ceux qui regardent!

"And so yousee.....Our honourable blue sky and ever enduring sun....Can only be consumed slice by slice..."
L'un des paons, danse!
"Et donc voici...Notre ciel honorablement bleu et notre constant soleil....Qui ne peuvent être consommés que petit à petit..."
Une création hors norme de Robyn Orlin, énorme et hybride pièce à conviction sur l'art et la manière de la chorégraphe sud américaine de conter fleurette sérieusement ou pas !
Dans un fauteuil club, un personnage, prisonnier, ficelé dans du plastique, film alimentaire: de la chair qui exulte, pétrie, comprimée, confinée, peau noire épaisse et grassouillette: c'est le géant Albert Ibokwe Khoza dans les tonalités lumineuses rouge orangé;
Une caméra renvoie en direct sur un écran, les images de ce "monstre", vu de dos, donc ici visage dévoilé
Il dévore goulûment des oranges pelées au couteau ,saignantes, qu'il avale avec frénésie et appétit de vie et de mort.
Jouissances, hurlements de la satisfaction ou de l'être repus.Il danse, se lève: l'un des paons danse, ouvre sa queue en panache, l'exhibe, éructe des sons, vocifère.Monstre, ogre, il se peinturlure, joue d'un miroir, ses mains dansent un ballet de joaillerie ludiques.Reflets, rituels, digressions et transgressions se succèdent à l'envi.Les couleurs et saveurs d'un corps différent qui appelle à la rescousse deux spectateurs pour le lécher, le sécher, le laver tendrement avec des gants de toilette. Enfant, bébé, aimable et plein d'humour et de distanciation l'acteur jouit d'une réelle empathie avec le public conquis Poutine lui aparait et met son grain de sel dans cette aventure spectaculaire, objet de foire et de gloire, en bleu, éteint, apaisé de sa fébrilité compulsive, contagieuse et vivante.
Le requiem de Mozart en ouverture de la pièce en fait un hymne à la candeur et menace de mort, un être de chair, futile, de sueur de sperme, fort attachant!Quasimodo avec trop de corps, androgyne à souhait, les genres sont abolis, les frontières tombent. Pour quelle renaissance?
Comme une momie que l'on dépèce, fait sa mue, enfant dont on ôte les langes: il en sera de même avec le film alimentaire qu'il découpe lui-même en se ciselant, comme pour sortir de sa chrysalide!
Métamorphose du hors norme comme une reine des thermites, gonflée, enflée à bloc: les visions de Robyn Orlin sont démoniaques, charnelles, triviales et ces 7 péchés capitaux bien présents pour une cérémonie païenne, un requiem pour l'humanité , insolent, tiraillé entre péché, transformation, déclin et éclats!
Ce soir là au Théâtre Gramont, l'ambiance est au sommet du politiquement incorrect, de l'artistiquement culotté!

"A mon père, une dernière danse et un premier baiser": à "mon vieux"!



Radhouane El Meddeb signe un solo touchant, seul sur scène, de dos toujours, torse nu, pantalon noir Sur un carré blanc au sol, entouré de noir comme un faire part de décès. Immobile puis hochant frénétiquement la t^te par saccade, il frémit, bouge, se meut, renaît? Des bribes de piano égrenées, du JS Bach brisent un lourd silence opaque. Danser de dos, comme Trisha Brown, ne jamais dévoiler sa face, son visage, son identité ou son chagrin, pudiquement: na pas montrer que l'on pleure la mort d'un père!A part le temps d'un petit tour furtif, d'un face à face éphémère avec le public.On découvre cependant, enfin, son corps, luisant de sueur, corps non canonique, banal: celui d'un homme qui danse la tristesse, l'absence, la disparition de son père, compagnon de vie. La scénographie de Annie Tollerer, propose pour évoquer cette culture arabe, la carcasse d'un mouton décapité, tout de plâtre, purifié, poussière des siècles et du temps, objet de rituel et de cérémonie liée à l'image du père conduisant son fils voir les sacrifices halal des moutons pour l'Aid. Au sol, gisant silencieux, éteint, mort.

En apnée, en suspension, on la quitte tout en retenue comme du Bach: les pieds en cinquième position classique, cambré, il rend hommage à la vie, la disparition inéluctable de ceux que l'on a aimés, chéris
Émouvants adieux funèbres, tremblants et plein de secrètes confidences de corps!

"Farci.e" , farsi ?

Sorour Darabi joue sur la corde raide du genre, androgyne à souhait, venue d'Iran, elle offre au studio  Cunningham de l'Agora, une performance remarquable, fouillant un seul sujet jusqu'à épuisement et c'est bien ainsi.
Le genre, dans sa langue maternelle, on ne connait pas alors que le neutre existe en allemand par exemple; "Même les objets ont un sexe", un genre!
Alors dans son solo, il, elle, nous, voyageons dans le silence, sur les frontières; un "personnage" asexué ? semble vouloir tenir une conférence : table, chaise et un tas de notes à lire.
Elle entre en scène comme une autiste, la démarche de biais, mal centrée, sans maintien, ni soutien. Différente? Assurément car une heure durant elle va explorer les fins fonds du geste déséquilibré, gauche, maladroit pour mieux aller au but: dévorer sa littérature, déchirer, dépiauter ses notes, se les approprier en les mâchant, avalant.
Une communion solennelle privée où l'hostie est du papier alimentaire à ingurgiter
Seule devant ou sur sa table, le regard interrogeant son public, la voici actrice de nos fantasme, témoin de nos clichés et agitatrice de nos cerveaux embrumés par les conventions sur le genre
Jamais de trop, son jeu est solide, juste, va droit au but, se répète, va et vient, toujours dans le silence du plateau nu
On en sort intrigué mais convaincu qu'un vrai sujet, approfondi, décortiqué, malaxé, mâché, vaut mieux qu'un catalogue de savoir faire!

"Time Out", temps mort: la jeunesse au poing


Oumaima Manai au Théâtre de la Vignette, propose une balade dans l'enfance tunisienne, ses bruits, ses sons, ses jeux, ses parfums de femmes.La tradition, le fil à linge, la marelle, les tissus suspendus: un univers qui colle à la mémoire, à la peau.Un univers culturel se dessine où transparaissent joie, innocence, quiétude mais aussi fantasme et danger: l'homme et le "loup" rode dans ce joyeux gynécée.Revirements de situations un peu mimétiques ou illustratifs fondent une narration légère en filigrane.Trame sans beaucoup de matière cependant où la chaîne manque pour tisser une dramaturgie solide. Ça pêche par la profusion de propositions énoncées, non abouties , ni achevées.
De belles images non exploitées: tout passe trop vite et lasse, hélas!, pour ces cinq femmes, pour cet homme perdu qui tournoie comme un derviche tourneur, aux abois.Des citations trop nombreuses au langage d'autres chorégraphes y sont redondantes On doit resserrer le propos et faire de cette joyeuse assemblée fragile comme un balbutiement de création, l'agora d'un vrai discours sur l'identité et la culture des origines.

"Still Life": Absurde Sisyphe, incisif, décisif!


Seul sur l'immense plateau du Corum, il nous attend, une pierre entre les mains.Un énorme nuage blanc flotte au dessus de lui;rocher ou pierre menaçante? L'homme réaparait, transportant une pierre carrée comme le Christ, sa croix. Épreuve ou destin? La matière minérale, crisse par des bruits cassants Il ploie sous le poids de la matière, notre Sisyphe!Puis transperce ce mur, accouche de lui-m^me par une maïeutique des mystère du monde. Pigmalion de la vie qui reprend éternellement le rythme du supplice, de la tache, éternel retour. Le comique de répétition opère pour ce personnage, costume-cravate, moustache à la Chapelin, Keaton, Tati, le cinéma muet sont ici convoqués par Dimitris Papaioannou, chorégraphe grec qui avoue aussi sa complicité de toujours avec la bande dessinée, racines de son travail.Son Sisyphe, c'est le travail à la chaîne, la répétition,


La vanité de la vie, c'est la nature morte, c'est la punition. Le poids de la pierre, l'effort physique, l'équilibre à garder en permanence, tout ceci est la lourde tache du héros Balance entre légèreté et gravité, bascule du poids. La pierre c'est aussi l'élément scénique du dur, craquelé comme les os; le mou, c'est la chair. Et l'effort humain soutient le processus créatif de cet arte povera, cette pierre angulaire, ce chaos. En forme de Story bord de BD, la pièce fonctionne avec le suspens, les tensions.
Le cinéma muet, visuel à la Mélies, envahit le plateau, atmosphère absurde à la Ionesco ou Beckett.
Vêtus de noir et blanc, des acolytes rentrent en jeu pour un pêle-mêle, un méli-mélo désopilant, d'images de corps hybrides, morcelés comme des icônes réjouissantes, enfantines. L' origine du monde aussi et d'autres oeuvre picturales sont convoquées par cet amateur féru d'art académique. Le plâtre de la pierre blanche, karstique, poudre d'ange, poussière, imprime des ailes d'ange au dos des héros et divinités conviées au spectacle.Le vent se lève alors, les dieux sont en colère et hurlent par le truchement des bandes de scotch du tapis de sol Images surréalistes, fortes, plastiques à souhait. Le mythe de la muse Terspichore veille, accouche et fait naître des visions dantesques digne d'un très grand chorégraphe plasticien.
Au final, l'énorme rocher suspendu menace; une pèle pour le transformer en cratère de volcan inversé, comme une méduse à la Paul Valéry.
Sisyphe est une femme qui danse! Images de cariatides grecques anciennes: le musée s'agrandit, s'étoffe avec ces images de la mythologie: Odyssée de l'espace vaporeux, fumeux, impalpable matière.
 Des tableaux inouïs, du son à la John Cage, du Mélies avec sa lune blanche au poing, et le kinéma revient en force, dans ses racines grecques de "mouvement".Tout s'apaise et l'homme claudique avec son échelle pour cane de survie, escalade encore des pavés comme des marches fictives.
Le mystère s'achève en beauté!
Un chorégraphe visionnaire, démiurge est né!

"Inside": dehors, dedans.



Parallèlement au spectacle, un film vidéo de plus de 6 heurs est diffusé salle Béjart:une image fixe, plein cadre en 16 / 9 offre une perspective renaissance au spectacle filmé du même Dimitris Papaioannou. Une chambre, des personnages y entrent et sortent, s'allongent, se douchent.Femmes en peignoirs, hommes lascifs, atmosphère de grosse chaleur, diurne, nocturne L'univers prégnant où se répètent à l'envi les scènes de vie quotidienne est juste et fort présent à l'écran.
 Le cadre de l'image est celui de l’embrasure d'une porte fenêtre coulissante où se profile en arrière plan, la baie de mer, les toitures, un paysage: le temps s'écoule, linéaire Cela coulisse comme un décor de théâtre, virtuel, impalpable, futile, changeant.
A la Piero della Francesca, à la Edward Hopper, comme un livre d'images mouvantes, éclairé par les ombres et lumières de passage.
Voyage troublant dans l'espace et le temps, malgré l'unité d'action Une épreuve aussi pour celui qui ose tenter l'expérience de se plonger une ou deux heures durant dans cette atmosphère sereine, détendue , sensuelle et câline; épreuve très "zen" durant ce festival, si dense, si riche en rebondissements esthétiques multiples!






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