mardi 18 juillet 2017

Avignon le Off danse 2017: Dave St Pierre et la Manufacture

"Néant 360" de Dave St Pierre

L'hallali qui nous lie.
Le retour en Avignon du grand trublion québécois Dave St Pierre se fait par l'entrée des artistes, la petite porte du Théâtre de l'Oulle avec un solo. Et quel solo! Celui d'une biche aux abois, déjà présent dans la salle sur les gradins parmi les spectateurs vociférant bruyamment, ensaché dans un fourreau de plastique de buanderie, cintre au dos pour suspension: il est nu dessous comme un vers ou comme une infirmière sous sa blouse.Voix stridente qui dérange ou fait sourire, il interpelle le public retardataire avec distance, humour ou rentre dedans de plein fouet. Puis le voilà qui grimpe à l'assaut de la scène investissant son décor: une forme de coussin géant de plastique transparent, sculpture avec laquelle il joue de multiples apparitions-disparitions.Il se raconte avec ses mots méchants, drôles sarcastiques, son franc parlé au fort accent.Se dévêtit, tout nu et cru comme à son habitude, cible, lapin de garenne traqué, à vif, en alerte. Deux biches de pacotille, objet vernaculaires de foire comme compagnes dégonflables. De sa démarque légère, syncopée et sautillante il s'invente un être solitaire apeuré, furtif, futile, attachant, touchant. Un clin d'oeil à ses compères de scène, Fabre, Dubois ou de Keersmaeker pour feinte et le voilà enfilant son accoutrement plastique pour survoler la situation. Sa perruque blanche jaunie pour parure comme les ondes d' une méduse en lambeaux. Barbe touffue aussi comme autant de figures, de masques, de travestissements légers évocateurs.Des images vidéo affluent sur l'écran tendu de son corps, ange de l'anatomie, découpage introspectif de sa chair à vif.
Organique toujours, icône d'un art content pour rien, comptant pour rien.Performeur tendre et gonflé à bloc qui se dégonfle peu à peu, quitte sa verve de chasseur de trophée épique, pour un costume plus dérisoire: c'est l’hallali, la traque qui se termine, la criée qui s'apaise en curée grotesque, burlesque mais toujours vivante.Un moment d'intense émotion pour un solo, unique "numéro", parade ludique mais o combien dramatique de l'existence de ce grand artiste à nu.
Au théâtre de l'Oulle Avignon le Off

DANSE à la MANUFACTURE

"Circuit" de David Rolland


Méandres des coulisses
Nous voilà parti en navette privée pour le"château de St Chamand": mystère de banlieue, aventure matinale pour"parcours immersif pour un spectateur". Surprise à potron minet, spéciale cuvée off 2017 Avignon. La classe ! On est choisi et trié sur le volet par la motivation! Un par un les spectateurs sont invités à pénétrer l'univers de David Rolland à travers le miroir, les tentures, draperies et rideau de scène: du plateau aux coulisses le spectateur acteur est guidé par une voix charmante, bercé zen en training du danseur pour commencer l'aventure. Et l'on passe derrière le miroir comme Alice au pays des merveilles!Vivre une expérience unique, sensorielle, sensuelle et physique durant 45 minutes au sein d'un ingénieux dispositif digne des plus belles machineries déus ex machina, mécanique de l'Aurore des scènes anciennes.Boudoirs pour une visitée téléguidée par des bribes de voix de Catherine Deneuve, enchanteresse de l'instant.On est autonome de son être et état de corps: vivre en danseur ce parcours ou en simple curieux d'une expérience du plateau de scène. La blancheur des panoplies règne , des indices lumineux guident les déplacements comme un jeu de piste où l'on avance vers la résolution de l'énigme. Jeu de voiles magnifiques qui se dérobent, dévoilent ou masquent des silhouettes filantes, brèves apparitions de danseuses, guides de la déambulation. C'est mystérieux, haletant, dérangeant ou calmant: au choix de votre état d'équilibre!Derrière le rideau, l'ob-scène joue et gagne la curiosité, le désir.Entre les interstices, les entrebâillements des toiles tendues.Et quand de rêve éveillé, on retrouve la régie, c'est la fin de votre performance, très bien "conduite"^par ce dispositif complexe ingénieux de Dominique Leroy, sonore, musical et poétique, spatial et mobile comme une colonne vertébrale d'un reptile ondulant au dessus de vos yeux ébahis.

"Opium" de la Zampa


Désert désir.
Voyage au pays de Magali Milan et son complice Romuald Luydlin au pays du désert inspiré des textes de Hannah Arendt . Effets visuels et sonores garantis pour plonger dans des oasis de béatitude ou de chutes vertigineuses où le corps s'inscrit parmi les éléments d'un monde mobile comme un Calder suspendu au dessus de nos t^tes. Elle est rageuse, telle une Brigitte Fontaine dans un univers lézardé qui se déchire et se scrute sans fin le nombril. Les tableaux se succèdent emportés par la musique live éclatante de Benjamin Chaval, sans cesse titillée par les décibels revigorants. C'est une étrange forme que cet "opium" du peuple, agora poétique et politique qui fait mouche sans qu'on sache vraiment pourquoi.La danse y dépose son butin, plutôt aguicheuse et illustrative mais ce cabaret bizarre n'en a que faire quand l'édifice tient debout avec ses fondations bien ancrées dans l'art de la représentation multimédia.

"Aucun lieu" de Franck Vigroux  Cie d'autres cordes


Territoires oniriques
Entre opéra vidéo et concert chorégraphique voici un opus étrange, inouï, fait de couches et de strates d'images vidéo en palimpseste pour créer une atmosphère et un univers singulier: flottant, flouté, zen et translucide, harmonieux, serein et inédit.Chorégraphiée par Myriam Gourfink, dansé par Azusa Takeuchi, l'opus oscille entre rêve et réalité: leurre des images de corps qui se surexposent, s’entrelacent, réalité d'un corps présent qui se fond dans les mises en abîme des plans et points de vue
Le trouble de la perception de l'espace ainsi engendré donne naissance à une spatialisation étonnante, mouvante, en perpétuelle transformation. Des corps spectraux s'y rencontrent, peuple d'ectoplasmes envahissants. L'ambiance est feu follet et imaginaire fertile d'une nuit agitée d'esprits mouvants.
On assiste à la fusion de mondes tangibles et virtuels grâce aux splendides et très travaillées  images vidéo signées Kurt D'Haeseleer, dans une totale fusion des éléments. L'alchimie opère pour un monde onirique, planant, déroutant très esthétique , voyage dans des sphères inconnues, salvatrices et stimulantes. Une oeuvre entre virtuel et présence physique, pont tendu entre des mondes fait pour se rejoindre; le fantastique et le réel.

" Still in paradise" de la compagnie Yan Duyvendak


Même pas peur !
Il arpente les territoires du politique, de l'actualité et se frotte dans cet opus en constante mutation à l'Islam en compagnie de Omar Ghayatt soutenu par le performeur interprète Georges Daaboul.
Six fragments à choisir parmi douze épisodes crées pour l'occasion: le public réuni en choeur participatif vote à main levée pour choisir les plus attirants, présentés auparavant de façon ludique et débonnaire. Des lés de tissus feront office de décor, de tapis bigarré chaleureux pour cette agora, forum d'échanges entre les trois artistes et le public convoqué à agir, réagir sans cesse Troi heures durant, on jouit des points de vue des auteurs sur le politique, à chaque séquence, on bouge, on se déplace, on change de direction mais pas de cap: l'authenticité, la sincérité des propos et des échanges fait légion. De "Ma vie secrète" épisode sur les émois sexuels de compère égyptien, on passe au drame du 11 Septembre, vécu par les deux protagonistes et contés dans une sincérité troublante. Comment adopter un réfugié sera le fragment commun final: un déploiement d'objets vernaculaires pour conter les péripéties d'un migrant, rejeté de toutes part. C'est une expérience unique à vivre absolument, si possible dans son intégralité de 4H 30, tant chaque épisode nous met face à nous même, convoqué par des artistes performeurs dont le secret est bien la franchise, l'audace et le talent de la mise en espace Pour récompense, un thé glacé et l'on s'abreuve encore de questionnement les lendemains durant !

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