dimanche 31 mars 2019

"La Dame aux camélias" rougit de velours et s'abandonne: sans fleur ni couronne..


"La Dame aux camélias est un roman d'Alexandre Dumas fils paru en 1848, qu'il a adapté pour le théâtre en 1852. Il raconte l'amour passionnel entre un jeune bourgeois, Armand Duval, et Marguerite Gauthier, une demi-mondaine atteinte de tuberculose. L'auteur s'est inspiré de sa liaison avec la courtisane Marie Duplessis et l'a écrit quelques mois après sa mort. Le metteur en scène Arthur Nauzyciel porte à la scène cette grande histoire épique et tragique en interrogeant son contexte : comment la société bourgeoise a-t-elle fabriqué et institutionnalisé la prostitution ? Dans un dialogue entre littérature et cinéma − via un film original − il questionne la dualité entre réalité et fiction."




Ce sera le rouge, la couler dominante de cette pièce; devant  le rideau de scènec'est elle, Marguerite qui apparaît, vêtue de blanc, robe longue légère, bretelles fines comme une robe de nuit , d'intérieur pour un huit-clos, pièce de chambre, en vase clos, maison close.
Au travers de ce voile rouge translucide, un amas de corps nus se meut dans une lenteur simulée: corps désirables, canoniques, beaux, sensuels animés d'une mouvance suave, langoureuse. Ils se déploient et bordent une voix off qui conte la destinée de Marguerite, cette courtisane, libertine,prostituée des grands boulevards parisiens, grisette de la rue d'Antin.
Ambiance boudoir baudelairien assurée: une sculpture, grand pénis dressé comme une balançoire annonce la "couleur" et les intentions de mise en scène.Matrice rouge, tapis et estrade moquettée, plafonds molletonné, capitonné comme de la ouate pour apaiser les bruits sourds de cette communauté, vouée au plaisir , à la débauche stylée. Marguerite est "soutenue" entretenue , choyée protégée par ses souteneurs et l'ambiance "foyer" de l'opéra de Paris ou de la salle Favard est fort bien rendue.Les corps alanguis s'animent et les personnages se dessinent peu à peu.Comme dans un hammam, ils bougent lentement dans ces vapeurs chaudes où la luxure baigne Les tableaux de Chassaignac en tête pour cette communauté érotique et sulfureuse viennent à l'esprit: la chorégraphie de Damien Jalet, souligne discrètement la langueur, la sensualité de ces corps à demi nus qui chuchotent leurs désirs et cette histoire machiavélique.On y chante le plaisir, sur les visages filmés au plus près dans la jouissance des nuques, cous et parties de corps érogènes Les images en noir et blanc, le décor qui s'y profile, chambre d'amour, boudoir , loge, baignoire et balcon de théâtre, seront les lieux, endroits où ce "milieu" évolue. Armand, l'amant enserre de ses bras, Marguerite déjà absente par la maladie qui la ronge.Oisif, ce petit peuple parle, danse, partage le même sort: l'argent y est déterminant et l'on achète le sexe, pas l'amour!
Calfeutré, confiné dans son altérité, ce micro-monde s'ébat, se donne à entendre et voir avec doigté, sensibilité, finesse.Dans leur fauteuil rouge sang, les deux protagonistes, agenouillés confessent leur passion: rendez-vous manqué. Le père de Armand vient mettre de l'ordre dans cette débauche, débâcle de corps vendus, prostitués. Et les menaces tuent, déchaînent les passions que l'on sait. Très proche du récit fort connu de cette Traviata, Viloletta, fleur éclose puis fanée, l'intrigue va bon train.Fleur cueillie, coupée, arrachée.
Images d'exotisme pictural pour cette "entreprise" du sexe, ce commerce lucratif, spéculatif qui entretient les femmes: "paye moi" si tu ne m'aimes!
L'esclave Marguerite s'exclame, rugit , se rassure aussi en regagnant sa condition initiale et sa mort prochaine.
La campagne mettra une parenthèse salvatrice à tous ses ébats mais vite le naturel reprendra le dessus. Sens dessus dessous chacun regagne sa case départ, son destin et la fatalité de quiproquos désolants. La belle vie en images filmées, animées de bal, danse, visages défaits par l'extase et les orgasmes Le duc refait surface, avec fortune et salut, Armand cherche de quoi acheter sa belle qui flétrit, s'étiole, se fane et dont les pétales ne disent plus: "je t'aime, un peu, beaucoup, à la folie....pas, plus du tout". On danse encore le madison débridé, Prudence, l'amie qui trahit donne encore quelques conseils fallacieux, en médiatrice avisée, payée par ce "monde" infernal, implacable plaque tournante du commerce du vice. Images salvatrices de campagne, d'arbres qui cachent la forêt des mensonges et personne n'est dupe.
 La peau du monde, à fleur de désirs, les corps toujours livrés à s'adonner à la chair...L'univers semble se rétrécir autour d'eux: le plafond rouge, calfeutré s'abaisse, prison, geôle parfaite de ce huit clos kafkaien en diable.
Les comédiens-danseurs se meuvent à l'envi comme des créatures de rêve dans des alcoves, loges de théâtre où il fait bon se réfugier.
Une version attachante de l'odysée de cette dame aux camélias à qui on ne fait pas de fleurs... Ni fleurs, couronnes pour sa mort annoncée...

Au TNS jusqu'au 4 Avril



D'après le roman et la pièce de théâtre La Dame aux camélias de Alexandre Dumas Fils
Adaptation Valérie Mréjen, Arthur Nauzyciel
Mise en scène Arthur Nauzyciel
Avec Pierre Baux (M. Duval), Océane Caïraty (Nanine), Pascal Cervo (Le Docteur / Olympe), Guillaume Costanza (Arthur de Varville), Marie-Sophie Ferdane (Marguerite Gautier), Mounir Margoum (Gaston Rieux), Joana Preiss (Prudence Duvernoy), Hedi Zada (Armand Duval) 
Scénographie Riccardo Hernandez
Lumière Scott Zielinski
Réalisation, image et montage film Pierre-Alain Giraud
Son Xavier Jacquot
Costumes José Lévy
Chorégraphie Damien Jalet

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