"Y aller voir de plus près" de Maguy Marin: radioscopie du politique.
Elle franchit les frontières, dépasse les bornes et nous tend des pièges salutaires.A sa manière, toujours, en mixant les disciplines, les faisant se rencontrer, se bousculer gaiement au coeur de l'histoire, de la mythologie Étonnante prise de plateau pour cette "conférence" révérencieuse sur un pan de l'histoire ancienne: celle des Grecs qui occupe et préoccupe son propos à travers différents médias.Du lecteur-conter, au musicien, des images enregistrées aux panneaux indicateurs Pour se frayer son chemin dans ce chaos visuel.La guerre du Péloponnèse est au cœur du sujet.Vue par Thucydide et corrigée par Maguy Marin qui transpose allègrement Sparte à Sarajevo ou Madrid Les guerres sont véhicules de réflexion sur l'être ensemble, les prises de pouvoir, la question de l'effacement, de l'oubli, du déni Pour y faire face et prendre "position" au bon "endroit", la voilà qui ausculte les textes et nous les livre en intégralité, le temps d'une écoute attentive de la part du public.Réconcilier, réparer aussi pour bâtir et avancer.De ce souffle épique, nait une forme réduite, efficace, opérationnelle.Le souffle des vaincus, l'allégresse du ton de la pièce combative, rehausse l’intérêt d'un spectacle inédit, militant pour de bon dans les sphères du politique, ce qui se passe dans les mailles des filets des conquerants autant qu'entre les mains des opposants.De l'ouvrage qui se regarde aussi sous de multiples poits de vue aiguisés par une mise en espace respectant chacun dans son altérité.
Au Théâtre Benoit XII
"Archée" de Mylène Benoit :un gynécée débordant de vie
Anthropologue, fouilleuse, chercheuse, Mylène Benoit offre à l'occasion de cette pièce des visions picturales et plastiques, fortes, sensuelles qui touchent et impressionnent le regard Tel un gynécée d'êtres vivants qui se mêlent à vivre leur sexualité joyeuse et partageuse.Se servant allègrement de la plasticité des corps des danseurs, elle parvient à rendre des ambiances et univers singuliers, marqués par sa griffe aiguisée au mouvement.Et la voix d'y trouver son chemin naturel pour attirer, séduire, émettre cris et mélodies de toute beauté et authenticité.Sur un dispositif au coeur du cloitre des Célestins, les corps se glissent, évoluent langoureusement en autant de petites cérémonies ou rituels bien dosés.Libérer les corps dans des expériences nouvelles et faire don de cela.Les femmes au coeur du sujet, archaïques phénomènes indomptables au delà des pouvoirs exercés sur elles.Mettre au monde, un privilège inaliénable et riche de tant d'émotions et d'impression.Ensemencer, semer, cultiver dans une archéologie de l'avenir pour créer des fondements nobles et vrais.Ces paysages comme des touches mouvantes s'impriment et se distillent à l'envi comme des toiles où la peinture serait projetée par la force et l'énergie des danseuses Une fratrie se dessine où les échanges sont ceux d'une joyeuse intimité dévoilée le temps d'ouvrir les possibles.
Au cloitre des Célestins
"La Cerisaie" de Tchekov mise en scène par Tiago Rodrigues : la charge du patrimoine
La cour d'Honneur pour écrin, pour recevoir une version parmi tant d'autres de références...Challenge, inconscience ou tout simplement courage et volonté de rendre contemporaine et crédible une histoire de famille, complexe, tribale, triviale, veule pleine de cupidité, de malversation, mais aussi d'amour filial Des chaises pour asseoir cet "état de siège" de jeu de chaises musicales où chacun défend sa place, perd ou gagne, s'exclue ou prend le pouvoir...Un agent immobilier qui conseille à une mère de famille de rentabiliser son bien: pourquoi pas, si tout se noue pour réussir ou échouer, pour se lier ou se haïr.Isabelle Huppert comme égérie, femme débordante et sautillante, pleine de rigidité autant que de rebonds. Frêle silhouette pour habiter tant de fatalité, d’obéissance.Autour d'elle gravitent d'excellents comédiens, arpentant le plateau, féroces partenaires ou tendres filles et fils héritiers de cette demeure et propriété "la cerisaie". Lioubov, héroïne tragi-comique se fraye un chemin dans la jungle familiale et tire son épingle du jeu, son épine du pied avec ténacité. Ses silences sont éloquents, ses attitudes corporelles à fleur de peau.Un rôle à facettes multiples pour une comédienne hors pair.Chœur à corps, accordé pour créer une partition chorégraphique fine échafaudée par des déplacements en diagonale, des perspectives frontales où tout s'ouvre sur des possibles.
A la cour d'honneur
"Outremonde de Théo Mercier: sablier du temps suspendu.
Il investit cette année les sous-sols de la fondation Lambert pour des installations in situ dans quatre "chambres" dédiées à l'élément "sable". Tel ce marchand de sables mouvants, il fait vivre le temps d'une performance, les personnages de ces univers de dunes, de constructions éphémères évoquant l'archéologie, le mythe, le souvenir Une plage de sables fins qui engloutit, ensevelit l'espace: sables conquérants, envahissants C'est un enfant qui danse, cheveux blonds bouclés comme ceux d'un ange qui sera le guide de ce paradis secret. Il dialogue avec les femmes, imitant leurs gestes ou s'imprégnant de leur sagesse et immobilité.Dans la salle du "pendu", c'est d"un sablier qu'il égrène le temps, clepsydre minérale par excellence Le public est invité à une promenade sensitive dans cet univers factice aux confins de l'irréel.Les architectures de sable comme immergées d'une cité engloutie, perdue, foulée par les pas d'un intrus venu d'autres temps L'enfant comme une bonne étoile, un petit prince du désert C'est un voyage dans le temps, la matière, enfouissement d'où jaillit un être humain, ressuscité des périodes révolues. Une performance rare où le feu de la dernière salle brûle encore en scories, en matière frémissante de lumière.
A la Fondation Lambert
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