lundi 26 juillet 2021

La Danse au Festial IN d'Avignon 2021: être "ensemble" ! Et cheffes de file !

 


"Any attempt will end in crushed bodies and shattered bones" de Jan Martens: résiste !

Le nombre de danseurs est important: 17 sur un grand plateau pour travailler sur l'individu!Plusieurs générations de corps, tous différents, petits ou grand gabarit, sexualité dégenrée, âges variés....Pas de "canon de beauté" à l'horizon de ce travail colossal sur la masse, le groupe qui avance  se déplace, se décale comme des vagues passées au peigne fin de croisements savants hypnotiques; sur une musique de Goreki "concerto pour clavecin et orchestre"   Mouvement choral de résistance, de soulèvement qui gronde.Et surgit en contrepartie, une immobilité sereine qui laisse s'échapper respiration et temps de pose-pause.Sous tension comme un sit-in en opposition à la marche-démarche populaire.Pièce de groupe hallucinante, concentrée, d'une rare efficacité visuelle,qui laisse fuir aussi les différences de corpulence de chacun. Tout se tricote, se tisse et semble se fondre dans la foule. C'est impressionnant et dérangeant.Fascinant à coup sûr!Cette vision de l'humanité en proie au mouvement est faite aussi de diversité et non d'anonymat dans les costumes à la fois haillons autant que fantaisie en rouge pour chacun sans pareil.De quoi méditer sur le nombre, son impact, sa force en se laissant aller dans cette beauté fluide et émouvante.Les circulations savantes augurant d'un ordre consenti pour arriver à ses fins: la force du groupe est unique et sujet à une composition chorégraphique émerveillante

A la cour du lycée Saint Joseph.


"Lamenta" de Rosalba Torres Guerrero et Koen Augustijnen: perte et retrouvailles

Une fois de plus l'être ensemble dans une communauté fait office de pré-texte, de pré-mouvement issu de la culture populaire grecque. A partir de l'étude approfondie du "miroloi" de l'Epire, danse ancestrale qui évoquent le départ, la perte et l'absence.La terre, les racines, la nostalgie y sont convoquées sur une musique lancinante, chants de lamentation. Une danse incarnée, faite de rituels pour se reconstruire dans le groupe!Résonances qui se retrouvent sur le plateau, ici et maintenant pour une transposition contemporaine de toute beauté, les costumes y ajoutant des touches de couleurs virevoltantes.Un marathon de danse fusionnelle entre les corps sur le plateau nu, danse "étrangère" à la culture des deux chorégraphes, auscultée avec respect, pertinence.S'emparer d'un matériau existant pour le modeler, le transmettre et interroger la notion d'héritage, voilà le propos très convaincant de cette démarche artistique . La danse y est fulgurante, hypnotique, performante, fougueuse Folie, sorcellerie à l'appui pour se perdre dans l'épuisement, le don de soi, la perte.Être ensemble pour se tenir debout, faire la ronde ou dévoiler sa virtuosité en solo, tout concourt ici à la vision d'une certaine utopie de la communauté retrouvée Du moins, celle des danseurs arpentant le plateau à l'envi.

A la cour minérale Avignon université

 

"Sonoma" de Marcos Morau: la faculté de l'imaginaire

Dans la cour du Palais des Papes, le choix d'une "signature" chorégraphique est fondamental.Sur le plateau immense sont lancées comme des catapultes des personnages tourbillonnants, glissant sur le sol comme des poupées jouets téléguidées Effet de choc sur fond sonores d'exclamations tonitruantes.Un déferlement d'énergie féminine en vision d'images cinématographiques inspirées du cinéma de Bunuel que le chorégraphe chérit et admire.Séquences oniriques, rituels très construits, les péripéties de ce petit monde vont bon train.Tambours battant, tout s'agite, se meut parfois de façon mécanique, intrigante. Toutes ces femmes fébriles oscillent, se débattent obéissent à une loi de la vitesse extrême, de la virtuosité. C'est une perspective envahissante, à la démesure du plateau judicieusement investi. Le rythme sauvage et tenace tient en alerte instinctive face à l'absurde, à la désorganisation apparente des séquences.Du Christ à Dionysos sont convoqués des tableaux surréalistes, des scènes décousues s'enchainent pour planer dans le rêve et l'irréel.Religion paysanne et brute comme credo spectaculaire, naïf, bon enfant comme ces déplacements robotiques, costumes délirants de rondeur, de crinoline blanche vaporeuse et tournantes si fascinantes.Sonoma comme figure de proue d'une expression contemporaine des coutumes métamorphosées.Révolution de palais au coeur de la cité papale!

A la Cour d'Honneur

LES CHEFFES DE FILE DU FESTIVAL IN


"Liebestod" de Angelica Liddell : Belmonte de toréer et de travers !

On la retrouve avec curiosité, ce trublion, électron libre du théâtre dansé, de la satire, de la diatribe Politiquement et poétiquement incorrecte Angélica se frotte ici au toréro, figure masculine par excellence, figure du condamné à mort volontaire, macho, puissant ou désuet devant la bête.  Taureau de pacotille pour partenaire sur fond de barrières d'arène frontale, de rambardes protectrices révélant d'autres icônes cachées Car elle y va bon train nous traquant, public, spectateurs, gens du spectacles pour mieux insulter, vilipender le petit microcosme environnant!Sa parole est de taille, sa voix tonitruante qui ne lâche pas le morceaux plus de deux heures durant.Un homme entouré de chat pose en figure sculpturale et passe en traversant la scène...Les visions et images sont incongrues, décalées, surréalistes.Angelica conte et raconte en même temps qu'elle trempe son pain dans le sang de ses menstrues.Imperturbable, indévissable, elle éructe, piaffe, hurle son désaccord, sa désaffection pour ce monde.Abrupte parodie, brute de coffrage, sans concession.Un taureau pour partenaire, une Carmen à vif, mordante, incisive, calomnieuse, injurieuse, féroce!En robe blanche à frou-frou, elle conte sans relâche, danse, se cabre et sans respect frappe et touche son entourage.Un cul de jatte l'accompagne et la transforme en vision de pieta, madre ou matrone, sainte ni touche sans gêne et sans vergogne.Sexe et beauté, rudesse douleur et rage font son fond de commerce, sa boutique fantasque, portes ouvertes.Angelica Liddell en toréador, costumée de paillettes, féminin ou masculin en figure de proue: la bête est féroce, l'ange est divin ou féroce.... Un rituel déflagrateur en hommage à l'art de toréer, de frôler la mort grâce à l'Art de vivre l'impossible dans l'acte de créer.Instant sublime de la transfiguration spirituelle, de l'offrande, du sacrifice.Angelica désire être possédée, fécondée par le taureau, l'homme.Ou son public avec qui elle entretient une relation phallique, érotique, pénétrante.Sur l'autel du plateau, elle se livre, se fait dévorer autant qu'elle dévore.

A l'Opéra Confluences


"La trilogie des contes immoraux" (pour Europe) de Phia Ménard: érection à gogo !

Phia de Saint Phallus!

D'un trublion à l'autre, il n'y a qu'un pas et Phia Ménard succède à Angelica Liddell avec une résonance particulière. Seule sur le plateau elle se met à tenter de maintenir, de construire une immense maison de carton prédécoupée, préfabriquée C'est "La ruée vers l'or" où Chaplin tient à bout de bras sa maison qui bascule. Travaux d'Hercule, rocher de Sisyphe, l'édifice chancelle puis se dresse enfin. Tronçonneuse au poing Phia Ménard, super woman, découpe son cocon en autant de pétales. C'est irrésistible de comique, de burlesque et de détachement La pluie tombe hélas sur sa niche utopique qui s'effondre en bouillie devant elle...Vision encore chapelinesque et performance technique gigantesque pour cette pluie battante qui transforme la scène en lac reflétant son image ! La séquence suivante s'enchaine, Phia disparait nous quitte pour une cantatrice conteuse japonaise qui va se faire bâtir par quatre esclaves en noir anonymes, des châteaux de cartes, des tours de Babel monumentaux A la démesure de l'évocation de la tour, de "la bite" en érection qui hante les fantasmes des architectes et de l'humanité!La construction à vue, sans filet de ses édifices inutiles est danger et risque permanent qui tient en haleine. Notre guerrière punk toujours sur le front de la lutte et de la désobéissance La maison mère qui s'écroule, autant que ce Parthénon qui s'érige font figure de mythe contemporain. Pour "un parlement des corps" une agora du politique, Phia Ménard est à l'endroit sur la place publique du théâtre pour signifier en XXL la petitesse ou la grandeur de nos actes. Un spectacle inoubliable, conte fantastique, science friction salutaire et vision dantesques à l'appui Du grand Art !

A l ' Opéra Confluences

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