A l’occasion de ce premier solo signature, Sarah Cerneaux interroge son corps, sa mémoire mais aussi son errance et ses transformations. Sur scène, sa danse composite, dynamique et mystérieuse invoque l’inconnu, le désir de se perdre et de se retrouver.
« D’une façon ou d’une autre », il fallait bien pour Sarah Cerneaux se lancer : créer un premier solo. Avec sa danse composite, ses origines réunionnaise et comorienne et son remarquable parcours d’interprète, elle se retourne un temps sur le parcours accompli. Comment se retrouver après avoir dansé pour différents chorégraphes, entre autres Abou Lagraa en France, Liz Roche en Irlande ou encore Akram Khan, au Royaume Uni ? Partie de cette question, la jeune artiste choisit d’explorer sa relation à la perte, le désir de s’égarer et les façons dont on parvient à se retrouver. En cheminant au cœur de sa propre geste – en recueillant traces, rituels, liens enfouis – Sarah Cerneaux fait de Either Way une quête intérieure qui, peau après peau, à force d’interroger le corps et le mouvement, de creuser dans la mémoire des gestes, la mène à découvrir son propre langage. Construit par étapes, ce solo est composé de petits blocs indépendants et modulables dont l’ordre peut se transformer sans perdre l’intention de l’interprète : « Ce que je ne peux vous dire, je vous le danse aussi gravement qu’une goutte d’eau qui s’abandonne à l’océan. »
Seule sur le plateau vide en jean et chandail, mèche sur les yeux, elle se pose, regard perdu, animée de micro-mouvements imperceptibles, de toutes ses articulations en éveil, orteils fabuleux en éventails hyper mobiles...Happée comme en transe, inspirée, mue par des aspirations modulées, gracieuses, fluides, offerte, abandonnée dans des rebonds résonnants dans tout le corps. Elle pétrit l'espace ou tranche l'air, orchestre ses propres gestes, s'étire, s'acharne en tension-détente, boxe sur un ring. Autant de suggestions abordées en filigrane dansé.Se suspend en apnée, s'agrippe à elle en accolade, embrassade, s'affole électrifiée, s'élance en bondissant sur place, féline, animale...Les contrastes dans les alternances d'énergie sont sidérants; de recroquevillée à déployée...Puis c'est le silence dans le recueillement compact du corps sculpté par la lumière qui succède à cette vision dynamique et prolixe."Nomade" dit-elle en voix off pour mieux fouler le sol, s'y lover en terre nourricière, maternelle. Elle se prépare un jardin de projecteurs, intimité des faisceaux protecteurs, s'isole sur fond de musique baroque, ombres portées aux murs, surdimensionnées. Comme une fleur de lotus au dessus des eaux, de la mêlée, Vénus noire convoitée.Se cambre, se déploie, toujours ses fabuleux orteils et doigts de la mains ouverts, prenant le sol.D'un sac de plastique d'exilés, elle sort des manteaux dont elle se fait une seconde peau, les agrafe, les enroule et devient déesse, statue majestueuse, d'un rituel de grâce et de beauté tranquille, magistrale et sobre à la fois. Boltanski de la danse, vêtue des attributs de la fuite, de la fugue ou de l'abandon des ses origines, déracinée, exilée.Le récit borde ses gestes princiers, altiers, plein d'allure ancestrale, noble, fière et humble à la fois.Reine assise, posée, sculpturale.Elle fond lentement, se dissout, se liquéfie, se répand,au ralenti dans une énergie puissante de sens, de poids et d'appuis.Beauté picturale qui semble s'ignorer."Métissée, déracinée" nous souffle la voix off:elle ramasse son "fatras" d'oripeaux et part vers l'ailleurs, "repasse par chez elle"...D'une présence rare, Sarah Cerneaux se défait de ses atours, disperse ses agrafeuses, tisseuses d'ourlets éphémères, coutures provisoires de sa peau "d'âne" comme dans un conte de fée édifiant, conducteur de vie, de "mode d'emploi" de l'urgence ou de la résilience. C'est touchant, émouvant et profond.Seul le bruit de ses pas résonne dans le noir en écho et prolongation de cette performance de soliste, riche d'authenticité, de gravité et d'espérance.
A pole Sud dans le cadre du festival extradanse le 12 Mai
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