Anna-Marija Adomaityte Suisse solo création 2020
workpiece
Dans workpiece, sa seconde création après Daurade, Anna-Marija Adomaityte interroge les conditions physiques et sociales de la productivité, leurs effets sur les corps au travail dans les fast-foods. Une pièce poétique et documentée basée sur son expérience et des témoignages de femmes.
«
J’aime mon uniforme vert pomme. Son col, ses boutons fermés jusqu’à la
gorge. Avec lui, je crois que ce n’est pas moi qui suis là. » Rouvrir la
boite noire du corps au travail, en croisant sociologie et danse,
détermine l’espace particulier de workpiece. Un quelque part qui
oscille entre aliénation et agir créatif, à l’image du texte, un extrait
d’interview, que la jeune artiste d’origine lituanienne installée en
Suisse fait circuler autour de ce solo : « Ce mal de dos est mon
dinosaure de compagnie. Mes collègues sont pleins d’optimisme. La
meilleure employée du mois sourit sur la photo au mur, entre elle et moi
il y a un nuage de parfum bon-marché. Le travail consume mon corps ;
love is stronger than hatred. Les lendemains passent en drive-in, je
m’en souviens. »
De quoi est faite l’expérience sensible et
incarnée du corps au travail, comment le corps peut-il résister de
lui-même au geste de la productivité ? Autour de quels mots, gestes,
parti pris chorégraphiques peut-on en rendre compte ? C’est à cette
tentative que se consacre workpiece.
Elle tient le plateau, debout sur son seul accessoire: un tapis roulant de sport, "intelligent" qui lui obéit en se calant à son rythme.Jean et chandail rouge, queue de cheval: imperturbable figure d'un robot consentant, sur fond de musique répétitive, grondement sourd de machinerie infernale.Le regard fixe, animée de micro-mouvements rigides, imperceptibles orientations mécaniques, robotiques.Regard dans le vide, pétrifié, médusé par l’absorption de sa concentration figée.Tics directionnels des traits du visage, comme la tête d'un oiseau qui bouge en segments.Les bruits et chocs lancinant de ses pas réguliers sur le tapis roulant égrènent la cadence, le tempo qui s'accélère, décélère à l'envi.Elle semble programmée à des taches répétitives, un trajet fixe, parfois entrecoupés d'embûches qu'elle détourne, irrévocable pantin désarticulé, rechargé à bloc par un mécanisme extérieur...C'est hypnotisant cette coordination fébrile des mouvements imperturbables, dictés par un génie de la robotisation du travail taylorisme féroce des usages du travail à la chaine ou du service inodore et incolore des chaines de restauration fast-food...Une amplification du rythme va crescendo, envoutante, magnétique: tétanie et fixation des gestes en catalogue restreint d'un vocabulaire gestuel ficelé, entravé. La fascination de la redite, de la répétition en strates sans variation apparente est opératrice: quand cesse soudain le bruit du moteur "à réaction", elle parcourt toujours sa surface de réparation inamovible, puis a-rythmique, saute dans des accents et pulsations accidentelles. Mais qui ne la feront pas dévier du chemin, de l'autoroute à péage: le son cavernicole, chaotique pour mieux affecter le cerveau, assujetti à ces taches abrutissantes, aliénantes, prisonnière et captive enchainée par la robotisation du monde du travail, des corps façonnés pour être productifs, obéissants. Soumis, dépendants, performants et pliés aux lois du profit et de la rentabilité Karl Marx, comme spectre de la dénonciation de l'ère industrielle et du travail à la chaine, du "patronat" de cette danse inouïe et sans concession sur l'esclavage.Anna Marija Adomaityte, marionnette idéale, ne rompant pas et quittant le plateau sans avoir pourtant été achevée ni démantibulée par cette vision de la perte, de la dépense. En serait-on frustré par hasard. La peine et la sueur comme spectacle de l'homme au travail pas pour autant jusqu'au boutiste....
A Pole Sud dans le cadre du festival extradanse le 12 Mai
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