On achève bien les chevaux Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger & Daniel San Pedro
Création mondiale. Production du CCN • Ballet de l’Opéra national du Rhin et de La Compagnie des Petits Champs. Coproduction avec la Maison de la danse, Lyon-Pôle européen de création, la Scène nationale du Sud Aquitain et la Maison de la culture d’Amiens, Pôle européen de création et de production.
D’après They Shoot Horses, Don’t They ? (1935) de Horace McCoy.
Règlement du marathon de danse à l’usage des compétiteurs : 1. La compétition est ouverte à tous les couples amateurs ou professionnels. — 2. Le marathon n’a pas de terme fixé : il est susceptible de durer plusieurs semaines. — 3. Le couple vainqueur est le dernier debout après abandon ou disqualification des autres compétiteurs. — 4. Les compétiteurs doivent rester en mouvement 45 minutes par heure. — 5. Un genou au sol vaut disqualification. — 6. Des lits sont mis à disposition 11 minutes durant chaque pause horaire. — 7. Baquets à glaçons, sels et gifles sont autorisés pour le réveil. — 8. Les compétiteurs se conforment aux directives de l’animateur. — 9. Sponsors et pourboires lancés sur la piste par le public sont autorisés. — 10. Des collations sont distribuées gracieusement durant la compétition. — 11. L’organisateur décline toute responsabilité en cas de dommage physique ou mental.
En 1935, l’écrivain américain Horace McCoy décrivait dans On achève bien les chevaux le
spectacle mortifère d’individus tombés dans la misère, réduits pour
quelques dollars à danser jusqu’à épuisement pour divertir un public en
mal de sensations fortes. Après une première adaptation au cinéma par
Sydney Pollack en 1969, Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger et Daniel
San Pedro s’emparent à leur tour de ce roman noir pour créer ensemble
une nouvelle forme de danse-théâtre, réunissant sur scène
quarante-cinq danseurs, comédiens et musiciens.
Un dernier coup de balai sur le plateau qui sera l'arène de toutes les aventures de ce "marathon" qui pour cette version scénique ne durera que moins de deux heures. Temps raccourci pour évoquer ce labeur olympique que représentaient en leur temps ces "fameux marathons de danse": des épreuves inhumaines liées à la pratique de la danse de couple dans des conditions draconiennes, un rythme effarouchant, une discipline de fer pour des couples désireux de gagner "la prime", leur casse croute quotidien et d'autres "faveurs" liées à la pénibilité de la tâche. Évocation très sociétale d'un phénomène inhabituel, devenu rituel et chalenge pour certaines classes sociales. Le maitre de cérémonie rassemble ses troupes, monsieur Loyal qui peu à peu s'avérera le pire des tyrans et manipulateur, déloyal, fourbe et calculateur. C'est Stock, Daniel San Pedro qui s'y colle et endosse brillamment ce rôle peu flatteur en matière de bonne mœurs laborieuses. Face à une population de danseurs performeurs si impliqués dans ce processus de "mise à prix" voir "mise à mort" pour l’appât du gain plus que pour la danse. Danse ici bien présente, incarnée par des personnages multiples, bien campés, le temps de les entrevoir parmi cette foule de postulants sélectionnées pour l'abattoir. Des danses de couples aux portés acrobatiques, des duos ou solo comme autant de numéros commandés par la direction au pouvoir de ces jeux de cirque. Le public augmentant au prorata des difficultés que traversent les pions de ce jeu d'hommes et de dames damé.Sur la piste, deux derbys font office de séquences d’abatage, de sélection des meilleurs: endurance, acharnement des corps en mouvement dans des courses folle en tenue de sport, dossards et shorts baillant. Un vrai cirque où ça grouille et ne fléchit pas, où l'on palpite devant tant de perte, de dépense d'énergie. Dans le seul but de gagner. Un mariage comme événement pour mieux médiatiser le phénomène; deux tourtereaux à la merci du bourreau pour la gloire éphémère de remporter quelque argent de plus. Un cortège nuptial s'organise, manège, plutôt sinistre et désorienté qui malgré tout se transforme peu à peu en parade jouissive: clin d'oeil à Kontakhof de Pina Bausch...Une Gisèle s'empare du plateau, esseulée parmi ce fatras d'individus en perdition. Phénomène surréel sur pointe, elle aussi en veut plus et rêve de ce numéro virtuose comme d'un trophée ou d'un échappatoire. Qui prouve quoi à qui? Au final un coup de feu alors que la formule "marathon" vient d'être destituée de son socle. Tous sont anéantis, transis, déçus, trahis, bafoués. Danse-théâtre signée Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro, voici un genre augmenté de tragédie chorégraphique insolent et rondement mené dans une scénographie sobre évoquant le stade ou l'aire de jeu olympique d'un concours tyrannique. Les olympiades de la danse comme relais et passation de flammes pour une prestation digne d'un récit sociétal fort éprouvant. Les danseurs et comédiens galvanisés par la présence d'un petit orchestre intriguant, support et soutient du drame, du jeu, de la manigance.
Strasbourg, Opéra
2 - 7 avril 2024
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